La révolution académicienne

Entraîneurs spécifiques, travail par cycles, formation à la française : sous la houlette de Christophe Dessy, l’Académie Robert Louis-Dreyfus change d’orientation.

L’arrivée de ChristopheDessy comme directeur technique de l’Académie Robert Louis-Dreyfus a amené une restructuration en profondeur du centre de formation des Rouches. Et un nouveau changement d’orientation, après celui apporté par Michel Bruyninckx, le Louvaniste qui avait été engagé en juillet 2011 mais a quitté après six mois. Ses idées ne passaient pas. Elles ont en revanche séduit les Qataris d’ Aspire, pour qui il travaille actuellement. Pour Dessy, il s’agit d’un retour : il avait déjà occupé le poste en 2004, avant de céder le relais à Tomislav Ivic deux ans plus tard.

On sait que l’ancien joueur du RJ Bruxelles, de l’Olympic et du Sporting de Charleroi, aujourd’hui âgé de 46 ans, qui a aussi coaché Mons et le Brussels, a été très marqué par son passage à l’AS Nancy-Lorraine dont il dirigea le centre de formation de 2002 à 2004 après avoir été adjoint. Formateur dans l’âme, il avait avant cela été le sélectionneur de l’équipe nationale belge U16 et a également dirigé le centre de formation de Mons de 2007 à 2008. On retrouve visiblement la French Touch dans les entraîneurs de jeunes qu’il a engagés pour le Standard. C’est en France, et plus particulièrement en Corse, qu’il a déniché celui qui s’occupera des U21 : Patrick Van Kets.

Van Kets, ancien attaquant du RC Malines, de Saint-Trond et du Beerschot, avait poursuivi sa carrière en France lorsque l’arrêt Bosman a ouvert les frontières : Le Mans, Niort, Ajaccio, Racing de Paris et Red Star de Paris. Il s’est établi en Corse à l’issue de celle-ci : d’abord comme entraîneur de l’Olympique Sartène (CFA et 150 jeunes) puis comme entraîneur de Porto Vecchio ces cinq dernières années (CFA et 300 jeunes). Diplômé de Clairefontaine, il est familiarisé au système français.

 » C’est un grand défi qui m’a été proposé et je m’apprête à le relever avec enthousiasme « , affirme-t-il.  » Le Standard a évidemment une tout autre envergure que les clubs corses pour lesquels j’ai travaillé. Je suis très fier d’avoir été choisi. Ma volonté est énorme. L’Académie Robert Louis-Dreyfus a une belle réputation, elle a déjà produit de nombreux jeunes et il faudra faire en sorte que cela continue. Je réside toujours en Corse actuellement, mais je me rendrai en Belgique cette semaine afin de m’entretenir avec Dessy et JeanFrançoisdeSart qui m’expliqueront ce qu’ils attendent de moi. La reprise est fixée au week-end prochain. Je n’ai jamais travaillé avec Dessy mais j’ai eu l’occasion de le rencontrer lors de tournois de jeunes. Ma connaissance des méthodes françaises devrait être un atout, tout comme le fait que je sois polyglotte.  »

Le Français LionelVitrant, qui s’occupera des U19, a lui aussi le profil de l’éducateur hexagonal. Il arrive de Mons, où il s’occupait des U21. Ancien joueur et entraîneur du FC Feignies, un petit club de CFA situé entre Valenciennes et Maubeuge (dont proviennent également deux joueurs de Mons, Mathieu Debisschop et feu Julien Bailleul), il se définit d’abord comme un formateur. Il a fait la connaissance de Dessy lorsqu’il entraînait les U16 des Francs Borains.

 » Dessy avait organisé un colloque pour présenter le centre de formation de Mons aux entraîneurs de jeunes des Francs Borains « , se souvient-il.  » Cela m’avait intéressé et je m’étais rendu au stade Tondreau pour le découvrir. J’y suis resté quatre ans : d’abord en U19, puis en U21. « 

Son passage au Standard, il le voit comme une opportunité à ne pas manquer.  » Outre la réputation de l’Académie, il y a la possibilité de pouvoir y travailler à plein temps, ce qui n’était pas possible à Mons. « 

Les entraîneurs des catégories inférieures seront plus couleur locale. Thierry Verjans, qui s’occupait des U19 du Standard, reste à l’Académie pour prendre en charge les U17. MarcChauveheid arrive de La Calamine où il coachait en D3 pour s’occuper des U16. Enfin, PierreFrenay, formé au Standard avant d’aller jouer à Waregem et au RJ Bruxelles, revient à 55 ans pour s’occuper des U15.

Deux entraîneurs spécifiques ont déjà été engagés. EricDeflandre, qui a mis un terme à sa carrière de joueur au FC Liège, dispensera des entraînements aux défenseurs dans les équipes d’âge, tandis que l’ancien gardien JeanFrançoisLecomte formera les gardiens des U15 aux U21. Un chef scout va aussi être engagé afin d’améliorer le recrutement des jeunes talents.

Jeunechamps claque la porte

Cette restructuration a conduit au départ de José Jeunechamps, qui travaillait à l’Académie depuis six ans (deux ans en U19 et quatre ans en U21) et qui a connu et dirigé d’authentiques futures vedettes (voir cadre).

A 45 ans, il est conscient qu’il prend un risque :  » Si aucun club ne me contacte d’ici la reprise du championnat, je devrai me représenter sur le marché du travail. Cela ne m’effraie pas. Je suis très bricoleur et disposé à bosser dur. Mais, dans le contexte de crise actuel, il n’y a aucune garantie d’être embauché. Beaucoup de personnes, y compris au Standard, ont cru que j’avais démissionné parce que j’avais trouvé mieux ailleurs. C’est faux. Mon plus grand souhait était de rester encore dix ans à l’Académie. Avec le secret espoir d’intégrer, un jour, le staff de l’équipe Première. J’espérais une promotion, on ne m’a proposé qu’une rétrogradation : on voulait me confier la direction des U17. J’ai directement répondu par la négative. Je ne pense pas avoir été prétentieux. Je sais que je n’ai ni les qualités ni l’expérience pour devenir T1. En revanche, j’estime que j’aurais pu devenir un bon adjoint. Après deux ans avec les U19 et quatre avec les U21, où mon travail a été unanimement reconnu, je connais la maison rouche. Le Standard a préféré chercher aux Pays-Bas un T3 qu’il avait sous la main. (NDLR : on parle du Néerlandais RaymondLibregts, qui suit RonJans un peu partout). Lorsque je vois que Geert Emmerechts, qui entraînait les Espoirs à Anderlecht, a été promu T3, je l’envie. Me confier les U17 aurait été une erreur de casting : j’ai moins de qualités pour entraîner des adolescents de cet âge que pour entraîner des Espoirs, qui sont déjà de jeunes adultes.  »

Paradoxalement, Jeunechamps ne se considère pas comme un formateur :  » Je ne me vois pas expliquer pendant une heure à un gamin comment il doit mettre son pied. Cela me saoule. Je ne me vois pas non plus entraîner les gardiens, alors que c’est le poste que j’ai occupé durant ma modeste carrière. Ce qui m’intéresse, c’est le coaching : encourager l’équipe à faire bloc, effectuer des changements judicieux, gagner. « 

Le directeur technique Jean-François de Sart a pris acte du départ de Jeunechamps :  » Nous étions satisfaits de son travail et nous avions l’intention de continuer avec lui. Certes, peut-être pas en lui confiant le poste qui correspondait à ses aspirations, mais il n’était pas question de le virer. Une restructuration est en cours à l’Académie : nous voulons travailler par cycles. L’Union belge procède d’ailleurs de la même façon avec ses entraîneurs de jeunes. José se serait vu confier la direction des U17 et aurait grandi durant plusieurs saisons avec ce groupe. Il voulait coacher des adultes, c’est son droit. Mais ce n’était pas possible au Standard. Le poste de T3 ? Lorsque Jeunechamps a démissionné, il était encore occupé par BernardSmeets, qui était T3 sous JoséRiga. Aujourd’hui, le poste est vacant. Rien n’est encore signé à ce sujet. Mais Jeunechamps est parti, comment pourrait-il entrer en considération ? »

Jeunechamps sentait aussi qu’avec Dessy, le courant passait mal.  » C’est d’autant plus étonnant que nous avons un ami en commun : Laszlo Bölöni. Mais j’ai ressenti une impression de mépris. Il n’est jamais venu voir l’un de mes entraînements, son opinion semblait faite. Dessy est un homme travailleur, attentif aux moindres détails, mais qui manque d’humilité. Je ne suis pas rancunier. Lorsque je le croiserai, je le saluerai. Mais si nous avions été amenés à travailler ensemble, la cohabitation aurait été difficile.  »

Un nobody aux dix titres de champion

Jeunechamps est un nobody. Il le sait.  » Mon grand problème est de ne pas m’appeler Philippe Léonard ou Alain Bettagno.  » Sa carrière de joueur, qu’il a dû arrêter à 32 ans après une rupture du tendon d’Achille et trois opérations, ne l’a pas mené plus haut que la Promotion : il a défendu les buts de Waremme. Sa carrière d’entraîneur l’a à peine mené plus haut : entamée dans plusieurs clubs de Provinciales liégeoises, il l’a poursuivie à Seraing en D3, d’abord comme adjoint de Thierry Verjans, puis comme T1. A cette époque, il combinait son hobby d’entraîneur avec un emploi de carrossier et, cela ne s’invente pas, c’est DominiqueD’Onofrio qui l’a convaincu de rejoindre l’Académie où, après trois ans, il est devenu le premier entraîneur de jeunes professionnel du Standard !

Il a ouvert de grands yeux :  » La plus belle chose qui me soit arrivée est d’avoir pu travailler durant un an et demi avec le regretté TomislavIvic. Un génie du football. Neuf fois sur dix, ce qu’il avait prévu se passait réellement. Son niveau d’exigence était énorme. Ce n’est pas pour autant qu’il ne vous aimait pas, au contraire : il voulait vous conduire vers les sommets. Le côtoyer fut une bénédiction, il m’a beaucoup appris. Je sais d’où je viens. J’ai coutume de dire que, si les jeunes joueurs viennent de la cave, moi je viens des égouts.  »

Mais il est sorti par la grande porte : avec un titre de champion U21 :  » Mon dixième titre, joueur et entraîneur compris. Pour moi, c’est important. Dire qu’un titre est accessoire, même chez les jeunes, c’est du grand n’importe quoi. Le talent est lié aux victoires. Si l’on joue en Espoirs au Standard, à Genk, à Bruges ou à Anderlecht, on se doit d’être champion. Plus on se rapproche des pros, plus on doit devenir une machine à gagner. Si les équipes belges, même nationales, ne gagnent plus alors qu’elles regorgent de talent, c’est peut-être parce qu’on ne cultive plus cette culture de la gagne. J’ai horreur d’entendre : – Onaperdu, maison abienjoué !  »

Du Preud’homme dans Riga

Jeunechamps a essayé, selon ses propres dires, de  » voler  » quelque chose à chacun des T1 qu’il a côtoyés : une attitude, un comportement, un choix tactique…  » Bölöni m’a souvent demandé de l’accompagner en stage, afin d’encadrer les six ou sept jeunes qu’il emmenait. J’ai apprécié son style agressif, qui me rappelait Ivic. D’Onofrio et Riga avaient d’autres approches, tout aussi intéressantes, mais auxquelles je m’identifiais moins. Dominique avait une sacrée force de caractère. Il le fallait pour supporter tout ce qu’il a vécu. L’épisode de la motte de terre est connu. Ce n’était pas un fait isolé : on a fait des griffes dans sa voiture, crevé les pneus, et j’en passe. Le comportement du public à l’égard de son fils François a été honteux. La saison prochaine, il rejoindra Olhanense. Et je vous garantis qu’il jouera en D1 portugaise. Quant à José, j’aimerais avoir 10 % de sa gestion émotionnelle. J’ai retrouvé du MichelPreud’homme dans sa façon de gérer le groupe. Avec moins de charisme, forcément. Mais il respectait autant le 17e joueur qu’un titulaire. C’était le problème de Bölöni : il avait son 11 de base et ne se préoccupait pas des autres. Lorsqu’il était obligé de faire appel aux réservistes, il ne devait pas attendre qu’ils mouillent leur maillot pour lui. Bölöni avait aussi du mal à gérer ses émotions. Il n’était pas le même homme après une défaite qu’après une victoire.  »

Parmi les joueurs descendus temporairement chez les Espoirs pour retrouver la condition, deux ont marqué Jeunechamps : Olivier Dacourt et Nacho Gonzalez.  » Le Français avait arrêté sa carrière professionnelle mais LucianoD’Onofrio a réussi à le convaincre de la poursuivre au Standard. Lorsqu’il a joué avec les Espoirs, il s’est toujours comporté en vrai pro. Tout comme l’Uruguayen : c’est lui qui entraînait le groupe par son enthousiasme. Il n’a joué que quatre matches, mais il a chaque fois fait la différence. Sans ses blessures à répétition, il ne jouerait pas en Belgique. Et puis, il y a Witsel : pendant sa suspension liée à l’affaire MarcinWasilewski, il est revenu jouer en Réserve. Il a fait une réflexion sur lui-même, avait besoin de parler et est finalement sorti grandi de cette péripétie. Il a appliqué une devise que j’adore : – Cequinetetuepas, terendplusfort ! D’autres, en revanche, traînaient leur ennui lorsqu’ils descendaient en Espoirs. Comme l’Israélien Salim Toama.  »

Rien à envier avec l’étranger

Jeunechamps promet encore un bel avenir à l’Académie :  » Si j’étais le père d’un gamin doué, je l’inscrirais au Standard sans hésiter. J’ai eu l’occasion de visiter plusieurs centres de formation à l’étranger. Deux centres nationaux, comme Clairefontaine ou Coverciano, et des centres de clubs comme Bordeaux, Lille, Nancy, Udinese, Fiorentina ou Empoli. L’Académie RLD n’a rien à leur envier. Et la collaboration avec le CHU de Liège s’est révélée très fructueuse : on a pu réaliser des batteries de tests physiques pour les jeunes qui n’ont pas leur équivalent dans certains clubs de D1. Un bémol : le recrutement. Trop de joueurs des alentours de Liège se retrouvent à Genk, Anderlecht ou Lille. Ce n’est pas normal. Il faudrait aussi améliorer le suivi psychologique mais de Sart pense à engager un coach mental afin d’aider les jeunes à équilibrer leur vie et gérer leurs études. Ce qui m’interpelle le plus, c’est le manque de continuité. En six ans à l’Académie, j’ai connu quatre directeurs : Ivic à mon arrivée, puis D’Onofrio, ensuite Bruyninckx et finalement de Sart en attendant l’entrée en fonction de Dessy. Ils étaient aussi compétents les uns que les autres, mais il fallait chaque fois recommencer différemment. La méthode de Bruyninckx était sans doute trop scientifique pour les décideurs… Pourtant, beaucoup de coaches qui travaillaient au quotidien avec lui avaient adhéré. Mais bon, le Standard continuera à produire de nombreux jeunes, car il y a du talent à profusion. « 

PAR DANIEL DEVOS – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Entraîner les U21 du Standard est le grand défi de ma carrière.  » (Patrick Van Kets)

Avant de devenir le premier entraîneur de jeunes professionnel de l’Académie, Jeunechamps était… carrossier

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