La revanche du petit combattant

Phil Jackson l’a remis au pas. Shaq a conduit les Lakers à leur premier titre depuis le départ de Magic Johnson.

La nouvelle n’a fait l’objet que d’un écho dans les journaux américains, à la fin de l’année: « Shaq » a achevé ses études à la Louisiana State University. Huit ans après avoir quitté l’école pour entamer sa carrière professionnelle en basket, Shaquille O’Neal a finalement obtenu ce bout de papier tant convoité.

« Je l’avais promis à mes parents et à moi-même. J’en suis très fier, même s’il m’a fallu huit ans pour l’obtenir. J’ai réussi! » L’anecdote caractérise O’Neal. Il préférait le basket aux bancs de l’école. C’est aussi significatif de l’influence qu’ont ses parents, qui l’ont baptisé Shaquille Rashaun O’Neal, ce qui signifie « petit combattant » en arabe.

Le petit Shaq a été élevé par son grand-père, un militaire américain de haut rang. O’Neal a passé sa jeunesse dans des casernes. Il est né à Newark, dans le New Jersey, avant de vivre en Géorgie, en Allemagne puis à San Antonio. Ses nombreux déménagements ont marqué sa jeunesse. Se faire des amis dans ces conditions n’est pas évident. Comble du malheur, à treize ans, il était une grande perche de deux mètres. Le sport est devenu son exutoire. Basket, base-ball ou football américain, qu’importe : il excelle dans toutes les disciplines. Pendant son séjour en Allemagne, il participe à un clinic de basket, dirigé par Dale Brown, de la Louisiana State University (LSU). L’entraîneur n’en croit pas ses yeux. Si jeune et déjà si grand? Le géant a déjà éveillé l’intérêt.

La carrière sportive de Shaq s’accélère lorsque sa famille déménage à San Antonio. Il vainc la maladresse inhérente à sa grande taille, à la Robert G. Cole Senior High School, et devient le ténor de son équipe. Grâce à sa taille et à sa puissance, il joue un rôle décisif dans le championnat de l’Etat. Shaq réussit 32 points, 22 rebonds et 8 blocs par match, en moyenne. Une fois sa dernière année à Cole terminée, il n’a que l’embarras du choix. Les collèges se l’arrachent. Mais il connaît déjà la LSU et il y répond aux attentes. Ses rebonds et ses blocs assurent sa célébrité. Pour la première fois depuis Charles Barkley, l’équipe a enfin quelqu’un qui remporte le plus de rebonds de la Conférence, trois années de suite. Toutefois, lors de l’élection des joueurs de l’année, il est éclipsé par Christian Laettner, de Duke. Cette distinction offre d’ailleurs à Laettner une place dans le Dream Team I.

Avant la fin de ses études en géographie et agronomie, O’Neal émerge en basket. Plus rien ne pourra l’arrêter. Le mastodonte a vingt ans. Les propositions ne manquent pas mais il arrête son choix sur Orlando Magic. Le longiligne joueur au visage d’olive fait son entrée en NBA. Il marque, il pousse, il tire, il casse la baraque. Il devient le premier joueur de la NBA à remporter l’ Award du Joueur de la Semaine dès son premier match. Orlando Magic vit une saison de rêve et le jeune joueur devient une vedette. Les résultats qu’il obtient dès sa première saison sont éloquents: 23 points, 14 rebonds, 3 blocs par match et le titre d’Espoir de l’Année.

Deux ans plus tard, Shaq dispute, d’après lui, sa meilleure saison. Il forme un duo brillant avec Anfernee Hardaway. Orlando Magic atteint la finale de la NBA mais l’équipe y est balayée par les Houston Rockets. Shaq n’a pas encore la pointure de Hakeem Olajuwon et consorts.

Au fil des années, une chose est claire, en tout cas: Shaq se sent comme un poisson dans l’eau dans le glamour et les feux de la rampe. Il joue ses matches mais il a d’autres centres d’intérêt. La gloire des salles de basket ne lui suffit pas. Sa stature imposante et son regard malicieux font des ravages. Il est submergé par les affaires. Malin, l’esprit porté au commerce, il décrit sa formule magique:  » Play hard, drink Pepsi and wear Reebok. » Bon acteur, joueur de rap, il n’hésite pas à faire connaître ses talents. En 1996, les Los Angeles Lakers s’intéressent à lui. Voilà qui n’est pas pour lui déplaire. Dépourvu de manager, il peut ainsi réaliser un coup fumant et il quitte le pays de Walt Disney d’Orlando pour le Hollywood de LA. Non sans succès.

Ses chansons, généralement consacrées au basket, font sensation. Ses CD et ses Greatest Hits font un tabac au hit-parade. Ses films, Blue Chips, Kazaam et Man of Steel font l’objet de critiques plutôt mitigées mais Shaq ne s’en soucie guère. Il fait ce qui lui plaît, c’est tout. Il devient un demi-dieu et il déborde de confiance. Sur son biceps, un tatouage: le logo de Superman. Les textes de ses chansons sont éloquents:  » I hate to brag but damn’ I’m good« , ce qui signifie: « Je n’aime pas bluffer mais qu’est-ce que je suis bon » ou encore  » Who the hell is Shaq Attaq? You better read the paper… »

Le basket, Hollywood. Tout ça confère un statut à Shaq mais aussi beaucoup d’argent. Il suit l’exemple de Michael Jordan et se lance dans les affaires. Dans ce domaine, il fait preuve d’une prudence remarquable. Loin des feux de la rampe, il y réfléchit à deux fois avant de signer un marché. Il fonde sa propre ligne de vêtements, qu’il appelle The World is Mine (TWIsM). Il achète une série de restaurants McDonald et quelques tea-rooms.  » MagicJohnson m’a donné une idée. Une fois, il est entré dans le vestiaire alors que j’étais occupé à donner des interviews et il m’a dit que je n’étais nulle part. Il m’a dit: -Tu veux posséder des choses?. Puis il est parti. Sans rien ajouter ».

Remonté, il achète des parts d’A&M Records, la société qui édite ses disques. En 2000, Shaq prend l’initiative de relancer Planet Hollywood. « Je veux faire avec Planet Holywood ce que j’ai fait avec les Lakers », explique-t-il sur son site Internet. La chaîne doit sortir du rouge pour devenir une entreprise florissante.

Débordé par toutes ses activités extrasportives, Shaq n’apporte plus aux Lakers ce qu’ils attendaient de lui. Certes, il marque ses points, il conserve un rôle important mais il n’a pas la stature d’un véritable leader. Jusqu’en 1999, quand Phil Jackson, l’entraîneur qui est à la base des succès des Bulls, fait son entrée à LA. Jackson connaît l’essence de sa mission: reconcentrer Shaq sur le basket. Jackson met O’Neal au repos, pour que ses (légères) blessures puissent guérir. Ensuite, il lui fait perdre plus de dix kilos, pour affûter sa forme, et il lui rappelle l’époque où il vivait à l’armée. Il lui remet en mémoire la discipline qui y régnait, discipline dont son grand-père était l’exemple incarné.

Les six titres NBA de Jackson emportent l’indécision de Shaq. Le message passe. O’Neal: « Peu avant le début de la saison, j’ai rendu visite à Jackson chez lui, dans le Montana. J’ai vu le soleil briller sur toutes ses coupes. Elles formaient une masse imposante. Que faire sinon obtempérer quand un homme qui affiche de tels états de service vous demande quelque chose? Il sait de quoi il parle, et moi, je sais que j’atterrirai sur le banc, à ses côtés, si je ne lui obéis pas ».

O’Neal ne déçoit pas Jackson. Celui-ci est le commandant en chef, mais sur le terrain, O’Neal est le général. Aux yeux de Jackson, il est le fer de lance de l’attaque des Lakers. « Je sais que je ne peux pas tout faire seul. Je le pensais au début de ma carrière, mais entre-temps, j’ai compris l’importance de l’aide que me procurent mes coéquipiers ».

O’Neal n’est pas un meneur de la trempe de Jordan, qui n’hésitait pas à secouer verbalement ses partenaires à l’entraînement. Il n’a pas non plus les talents oratoires de Magic Johnson dans le vestiaire. A.C. Green, un ancien joueur des Lakers, explique: « Il a toujours quelque chose à dire aux moments décisifs d’un match mais il s’exprime très brièvement, directement. Il ne parle pas souvent, seulement quand c’est nécessaire et opportun. En ce sens, il est très utile ».

Les Lakers foncent vers le titre NBA en 2000, dans le sillage d’O’Neal. En finale, les Pacers de Rik Smits encaissent un 4-2. Shaq s’illustre en inscrivant 41 points dans le dernier match. Dans les finales, il a marqué en moyenne 38 points par match et pris 17 rebonds. Il est élu meilleur joueur de la finale à l’unanimité. Il a déjà reçu le prix du championnat régulier.

Le jeu d’O’Neal n’est toutefois pas dénué de défauts. Aussi athlétique soit-il sous le panier, il est faible de la ligne de tir. En plus de huit ans de NBA, son pourcentage de réussite ne dépasse pas les 50%, et la saison en cours est la pire de toutes. Jusqu’en janvier, il n’a converti que 30% de ses coups francs. Il est le talon d’Achille des Lakers car leurs concurrents misent sur cette faiblesse. Les défenseurs adverses commettent volontairement des fautes sur O’Neal, sachant qu’il ratera quand même ses tirs.

Shaq enrage de ces échecs à répétition, mais en plus, il est frustré par les attaques physiques dont il fait l’objet. « Je deviens dingue. Heureusement que ce genre de défense n’a pas marché l’année dernière. Je n’aime pas être sans cesse confronté à des statistiques. Je marque généralement quand il le faut et je sais comment me préparer pour le faire. C’est surtout une question d’ordre mental. Je ne dois pas m’attarder là-dessus ».

Kobe Bryant n’apprécie pas le rôle d’O’Neal. Le charismatique guard qui a ramené du showtime au Staples Center est entré en conflit avec lui. En jeu, la place de leader chez les Lakers. Bryant a déjà déclaré réfléchir à un départ. Une fois, les deux hommes en sont venus à se pousser et à se tirer à l’entraînement. Lors de la séance suivante, Shaq arborait un t-shirt frappé des mots Sumo-Shaq. Shaq ne veut laisser planer aucun doute: il est l’homme le plus important des Lakers, même si Bryant est devenu le meilleur marqueur. Shaq a toutefois un énorme avantage: Jackson a choisi le camp du colosse. Il a d’ailleurs l’intention d’intervenir énergiquement pour préserver la cohésion de l’équipe. Après tout, ce duo de vedettes est chargé d’apporter des titres à l’Ouest, pour estomper le souvenir de Magic et de Jabbar. La pratique montrera si c’est possible.

Malgré les doutes qu’il a exprimés quant à son avenir à LA, Shaq semble avoir l’intention de rester dans sa ville adorée. Et pourquoi pas, puisque peu avant le début du championnat, il y a prolongé son contrat de trois ans. Durant cette période, Shaq va toucher 4,3 milliards. « J’espère achever ma carrière chez les Lakers. Etre sacré champion une fois, c’est comme avoir une seule auto. Je ne m’en satisfais pas. Les Lakers ont pris un nouveau départ la saison passée. J’espère que nous allons poursuivre sur notre lancée », a-t-il déclaré en signant son contrat.

Mais Shaq est orgueilleux et il poursuit bien d’autres objectifs: « D’ici quelques années, j’espère pouvoir accrocher ma vareuse au Staples Center, entre celles de Magic, de Kareem Abdul Jabbar et de Wilt Chamberlain » .

Wim Van Eck, ESM

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