LA REVANCHE des bannis

Après avoir longtemps hésité, le manager de ManU a finalement dégagé un système (4-4-1-1) qui fonctionne et qui repose sur les bannis de l’automne.

La scène se passe fin août. Manchester United doit se déplacer, en League Cup, à Milton Keynes pour un match  » gagné d’avance  » face au MK Dons, modeste équipe de League One (D3). Pourtant, ce jour-là, l’équipe touche le fond et est éliminée de la compétition. Deux mois plus tard, les Red Devils patinent toujours en championnat avec 13 points en 10 matches et Louis van Gaal se rend compte de l’étendue du travail à accomplir et surtout de l’immense déséquilibre de son équipe.

Manchester United vient de signer son plus mauvais départ en championnat depuis Ron Atkinson en 1986. Même David Moyes avait fait mieux la saison précédente. Et rien ne laisse présager une fin de saison au sein du Big Four. Neuf mois plus tard pourtant, force est de constater que United a redressé la barre et que LVG a réussi son pari, celui de qualifier les Red Devils en Ligue des Champions. Impensable en novembre, impensable il y a de cela encore deux mois lorsque Liverpool et Tottenham semblaient fondre sur cette formation inconstante et sans consistance.

Mais comment donc le stratège néerlandais a-t-il fait pour transformer cette équipe bien pâle, endormante à souhait et avec une défense exposée au moindre courant d’air, en une machine de guerre bien huilée délivrant une succession de vagues offensives ?

Un 3-5-2 qui ne fonctionne pas

C’est une équipe traumatisée par le remplacement de sir Alex Ferguson par David Moyes dont Van Gaal hérite en juillet. Auréolé d’une excellente Coupe du Monde et de nature trop confiant en lui, Van Gaal met le paquet en transferts. Il dépense sans compter (203 millions d’euros sur cinq têtes) et transpose sa tactique de 3-5-2, utilisée avec les Pays-Bas lors de la Coupe du Monde d’entrée de jeu lors du stage aux Etats-Unis. Pourtant, les départs de Nemanja Vidic, Patrice Evra et Rio Ferdinand ont laissé un grand vide derrière et la priorité a été mise sur des recrues offensives.

Les critiques s’abattent d’emblée sur la campagne de transferts. Pourquoi attirer Radamel Falcao alors que United dispose avec Wayne Rooney et Robin Van Persie d’une des meilleures paires du monde ? Pourquoi transférer Angel Di Maria alors que les flancs occupés par Juan Mata, Ashley Young, Antonio Valencia et la grande promesse Adnan Januzaj ne manquent pas de relief ? Pourquoi transférer deux backs gauches (Luke Shaw et Mario Rojo voire un troisième en la personne de Daley Blind qui peut occuper cette place et celle de médian défensif) alors que c’est dans l’axe qu’il faut apporter de la stabilité ? Est-ce qu’Ander Herrera et Blind ne se ressemblent pas trop ?

Outre ces questions, il y a aussi les prix déboursés. Après avoir largement perdu toutes les négociations la saison précédente pour s’être montrés trop regardants sur les sommes de transfert, les dirigeants mancuniens n’ont plus envie de se voir dribbler une deuxième fois par leurs concurrents européens. Il faut donc frapper de gros coups. Falcao et Di Maria en constituent deux. Et tant pis pour la défense !

Pourtant, c’est bien là que le bât blesse. Le 3-5-2 ne correspond qu’à des joueurs expérimentés. Or, United doit rapidement lancer ses novices Paddy McNair et Tyler Blackett, 19 et 20 ans, à cause des blessures. Les deux gamins ne manquent pas de qualités mais on ne leur fait pas un cadeau en les lançant dans une équipe en reconstruction.  » Tout le monde s’est vite rendu compte que jouer avec trois défenseurs derrière ne marchait pas. Mais Van Gaal s’est longtemps entêté « , explique Rory Smith, journaliste au Times.

Des transferts boiteux

Depuis la Coupe du Monde, Van Gaal est persuadé par ce système. Le 3-5-2 permet à ses deux latéraux de monter en même temps, au contraire du 4-4-2 où les backs montent en alternance. Pourtant, en décembre, Gary Neville,qui l’a peu critiqué, séduit par sa méthode et sa personnalité, insiste pour qu’il abandonne son 3-5-2,  » trop prévisible « .

Dans le 3-5-2, les défenseurs centraux, plus libres que les autres joueurs, étaient les dépositaires du jeu au point de faire deux fois plus de passes que les autres défenseurs de Premier League (quatre fois plus qu’Arsenal !). Durant la première mi-temps à QPR, les fans entonnent même  » 4-4-2 « . Lors de la même rencontre, la blessure de Johnny Evans force LVG à opter pour un 4-4-2.

Une minute plus tard, Fellaini offre l’ouverture du score à Mata. Pendant six mois, Van Gaal a alterné les deux systèmes avant que la victoire à QPR ne clôture le débat en faveur du 4-4-2 ou un 4-4-1-1, et pourtant même avant cette victoire, ManU marquait plus (2 buts par match, contre 1,3 dans le 3-5-2), et gagnait davantage (60 % contre 42 % dans le 3-5-2) avec quatre hommes derrière.

Autre pierre d’achoppement : le rendement des transferts.  » Il ne faut pas oublier que United a dépensé sur le marché des transferts cet été plus qu’aucun club anglais ne l’a jamais fait « , explique Rory Smith. Or, on peut toujours estimer que cet argent a été jeté par les fenêtres : Angel Di Maria et Radamel Falcao sont sur le banc ; Luke Shaw plus souvent à l’infirmerie que sur les terrains, Mario Rojo est loin de faire l’unanimité et Danny Blind est brinquebalé de la défense à l’entrejeu, de droite à gauche.

Seul finalement Ander Herrera après des mois comme remplaçant a trouvé la bonne carburation.  » Cela a pris beaucoup plus de temps que prévu à cette équipe avant de trouver une forme d’identité et de système. Et on a longtemps pointé Louis Van Gaal pour cela. Pour beaucoup d’analystes, c’était en partie sa faute si cette équipe de milliardaires n’arrivait pas à se montrer plus spectaculaire et productive. Il y a eu beaucoup d’étranges décisions sur le plan tactique.  »

De l’intuition à la réflexion

Pourtant peu à peu, l’équipe prend forme. Dès son arrivée, Van Gaal explique sa vision : vouloir supprimer l’intuition chez les joueurs et la remplacer par la réflexion. Faire d’un joueur quelqu’un qui sait ce qu’il fait et pourquoi il le fait. Il sait que cela prend du temps. Et dès le mois d’août, il affirme que cela ne va pas se faire en un jour et que toutes ses équipes ont mal débuté. Les tactiques se succèdent les unes aux autres (3-5-2, 3-1-4-2, entrejeu en diamant, 4-2-3-1 avec un entrejeu en triangle).

 » Longtemps, on s’est demandé où Van Gaal voulait en venir « , explique Ian Herbert, journaliste au Telegraph.  » Le discours était plaisant à écouter, la vision semblait claire mais on ne voyait rien sur le terrain. Je me demande d’ailleurs si lui voyait quelque chose. Mais ça s’est mis en route en février. Contre Tottenham et à Liverpool, on a enfin vu une équipe qui dominait son sujet. Et contre Aston Villa, quand on voit le premier but d’Herrera, avec une passe de Mata et un décalage de Rooney, là, on se dit que les joueurs ont enfin assimilé la méthode Van Gaal « .

Les préceptes ont donc percuté. Le cerveau est devenu maître du jeu. Reste que le onze de base dégagé par Van Gaal ne l’a pas été en fonction de ses attentes mais un peu par accident.  » Finalement le succès est arrivé quand il a fait confiance à des joueurs (Herrera, Marouane Fellaini et Juan Mata) qu’il avait écartés ou qu’il considérait comme deuxième choix « , explique Smith.  » On peut se demander s’il s’agit d’un bon management ou simplement de la chance. Personne n’a vraiment la réponse.  »

Il a fait de Mata son homme providentiel, alors que les arrivées de Falcao (qui avait obligé Van Gaal à reculer Rooney dans l’entrejeu) et surtout celle de Di Maria l’avaient rejeté dans l’ombre. Un peu par hasard et à un poste surprenant puisque la concurrence semblait faire de Mata un joueur plus axial que décalé. Or, c’est sur la droite qu’il est devenu le dépositaire du jeu mancunien !

Quant à Fellaini, ses qualités ne sont pas de nature à plaire à Van Gaal. Longtemps, le Néerlandais n’a pas su quoi faire avec notre international.  » Il n’en voulait pas vraiment mais il n’a pas été non plus catégorique à son sujet. Si vraiment, il n’en avait pas eu l’utilité, il l’aurait envoyé à Naples « , ajoute Herbert. Oui mais voilà, dans son noyau, il n’y en a pas deux qui ont le même profil que Fellaini.

Et comme la sauce ne prend pas, Fellaini devient l’homme capable de débloquer les matches fermés. A plusieurs reprises, son entrée au jeu et son impact ont réveillé une équipe à la limite de l’endormissement. A tel point que même Van Gaal a reconnu qu’il ne pouvait plus le sortir de l’équipe.

Carrick, l’homme-clé

Mais si ces joueurs ont su prendre leur revanche, le crédit appartient quand même à Van Gaal qui a su les remotiver et les utiliser à bon escient. Il a également transformé Ashley Young en latéral complet, capable d’attaquer et de défendre. Lui aussi est un autre joueur ! Seul un manager avec une telle réputation a pu faire confiance aux  » rejetés  » au profit des stars.

A certains matches, Van Gaal n’a pas hésité à lancer le jeune James Wilson au détriment de la star Falcao.  » Qu’un joueur coûté 95 millions ou 5.000 euros, pour moi, ça ne change rien « , a-t-il d’ailleurs affirmé.

Les rejetés d’aujourd’hui ne sont pas seulement devenus les sauveurs de cette fin de saison. Ils s’inscrivent en maillon fort du système Van Gaal alors que les stars annoncées (Falcao, Di Maria et Van Persie) sont sur le banc ou blessées. Di Maria, paralysé par son prix de transfert (80 millions d’euros) n’a plus le même tranchant qu’à ses débuts. Il éprouve quelques difficultés à s’adapter à l’Angleterre et est sorti traumatisé d’une tentative de cambriolage. De plus, après avoir joué à sa meilleure position (sur la gauche), il a été déplacé à plusieurs reprises, à l’instar de nombreux joueurs.

Au milieu de ce puzzle à construire, un homme a acquis encore plus d’importance. Avec Wayne Rooney, Michaël Carrick représente la stabilité et la culture maison, très importante par le passé à United. Carrick stabilise le jeu et l’entrejeu. Les statistiques parlent d’ailleurs d’elles-mêmes. Avec Carrick, United a remporté 72 % des rencontres. Sans lui, le chiffre chute à 37,5 % !

 » Il n’apporte pas seulement du contrôle et de la maîtrise « , explique Gary Neville.  » Il y a aussi son apport offensif grâce à ses passes tranchantes, il sait envoyer très vite des ballons vers l’avant au bon endroit. Il trouve toujours l’espace libre. Même s’il s’agit d’une passe à dix mètres, c’est souvent à bon escient. A Everton et Chelsea, sans lui, personne n’a été capable de l’imiter.  »

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS : BELGAIMAGE

Van Gaal veut faire d’un joueur quelqu’un qui sait ce qu’il fait et pourquoi il le fait.

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