LA PROVINCE AU POUVOIR

Dans quel monde baignent nos expatriés aux Iles ? Récit d’un voyage en Angleterre. Deuxième partie : les Midlands, le Sud et Londres.

Hawthorns, le port d’attache de West Bromwich Albion dans la grande banlieue de Birmingham. Au fan-shop, pas la moindre photo de Romelu Lukaku aux murs. Il n’est que loué par Chelsea et n’a pas la popularité de Marouane Fellaini à Everton. Ou de Christian Benteke à Aston Villa.

Contrairement à West Brom, qui réussit au-delà des espérances cette saison, les Villains vont mal. Idem, au demeurant, pour Birmingham City et les Wolverhampton Wanderers, tous deux pensionnaires de D2 à l’heure actuelle. Quatre clubs dans un mouchoir de poche, dans la deuxième ville la plus peuplée d’Angleterre, dont trois sont en ballottage défavorable. Pourquoi ? Nous posons la question à Matt, journaliste sportif au Birmingham Mail.

 » Nous n’y comprenons rien « , dit-il.  » Il y a quelques années, ces quatre-là nous représentaient encore en Premier League. Le problème de Birmingham est clair : c’est son propriétaire, Carson Yeung. Celui-ci a blanchi 70 millions d’euros et va comparaître en justice, en avril prochain, à Hong Kong. Il tente de vendre City « .

 » Concernant Villa, la relation entre son homme fort, Randy Lerner, et le manager Martin O’Neill a longtemps semblé idéale « , poursuit notre interlocuteur.  » Mais ils ont parié erronément sur une qualification en Ligue des Champions et, à présent, le club doit se serrer la ceinture. Quant aux Wolverhampton Wanderers, ils ont un point commun avec les deux autres : leur naïveté.

Lerner est américain et n’est présent dans le football anglais que depuis six ou sept ans, Yeung depuis deux ans et demi. Steve Morgan, le patron des Wolves, est nouveau aussi. Tous trois sont des hommes d’affaires, ce qui ne veut pas dire qu’ils sont de bons dirigeants.

Or, la Premier League n’est pas l’endroit idéal pour faire ses classes. Les clubs ont pris trop de mauvaises décisions ces dernières années. Ils produisent peu de talents alors que Villa avait acquis une certaine réputation en la matière. Joleon Lescott et Daniel Sturridge sont d’ici mais nos clubs n’ont plus les moyens de les retenir.  »

Mon oncle d’Amérique

Peut-on comparer Villa à Liverpool ? Matt trouve le parallèle intéressant :  » Deux propriétaires américains ambitieux. Ceux de Liverpool ont construit un stade. À l’arrivée de Lerner, on a cru qu’il allait investir des fortunes. On reprochait à son prédécesseur de gérer le club comme la boutique du coin, en comptant chaque centime. Lerner a vu grand mais a rapidement réalisé ce que ça coûtait. Quelqu’un a dit : – Quel est le moyen le plus rapide de devenir millionnaire ? Etre billionnaire et acheter un club de football ! C’est le résumé parfait de ce qui arrive à Villa. Lerner a fait illusion. Or, les supporters d’Aston Villa ne supportent pas d’être déçus.  »

En route vers le Sud. Direction Southampton, le nouveau port d’attache du Gantois Steve De Ridder. Ici, tout tourne autour du football et de la mer. Avec SeaCity, notamment, le nouveau musée maritime construit au coeur de la ville et qui consacre une expo au fameux Titanic.

Pas moins de 897 personnes ont travaillé autrefois sur ce fantastique navire qui allait sombrer, dès son premier voyage vers New York, après avoir percuté un iceberg. Les trois quarts de ces travailleurs étaient issus de la ville.

En 1912, quand le Titanic a lâché les amarres, la compagnie maritime HarlandandWolff n’avait aucun mal à trouver du personnel : Southampton, qui comptait 117.000 âmes, vivait du port. Mais les dockers et les loueurs de chambres connaissaient des temps pénibles car une grève sévissait alors dans les mines. Or, sans charbon, pas de trafic naval, à l’époque. Et donc pas d’argent, les dockers étant rémunérés à la prestation.

Travailler sur le Titanic offrait la garantie d’un salaire et de nourriture pour plusieurs semaines. 549 habitants de la ville allaient périr lors du naufrage.

De Ridder n’a pas encore visité le SeaCity.  » Mais j’ai vu le film « , rit-il. Il se produit pour le club depuis un an et demi. C’est ici que Gareth Bale a été formé, que Matt Le Tissier a marqué et que le légendaire Alan Shearer a inscrit ses premiers buts professionnels. Luke Shaw est le grand talent du moment. L’arrière gauche a 17 ans.

De Ridder se sent comme un poisson dans l’eau. Il habite au centre, près du port. Southampton n’est pas une cité balnéaire mais portuaire.  » Pas comme Brighton, à une heure d’ici, idéal en été. Par contre, c’est ici qu’il y a la plus belle collection de bateaux. Nous avons effectué une visite guidée en équipe et quelqu’un a essayé de me vendre un bateau mais je ne gagne pas assez pour m’en offrir un !  »

Génération 1987

Il raffole du football anglais.  » Je connais beaucoup de joueurs de D1 en Belgique. Combien d’entre eux ne m’ont-ils pas confié qu’ils rêvaient de l’Angleterre ? Moi, j’ai forcé cette chance.  »

De Ridder est issu de la fameuse génération 1987. Il a joué en pointe à l’EURO polonais des U19.  » Mirallas jouait en soutien, Legear à droite et Lamah à gauche. Nous alignions également Vermeulen, Pocognoli, Bolat dans le but. Fellaini en était mais Dries Mertens n’était pas repris. Dembélé bien ainsi que Vertonghen. Après l’EURO, chacun a poursuivi son ascension. Moi aussi, à ma façon.  »

C’est bien dit : à sa façon. Il a débuté à Gand puis a été loué à l’Eendracht Alost, en D3. De retour à Gand, il n’a pas reçu sa chance sous la direction de Georges Leekens et a rejoint Hamme, en D2. Il a marqué pendant un an et demi puis a mis le cap sur De Graafschap. Il a eu des contacts avec à peu près tous les clubs moyens du Benelux mais a préféré Southampton.  » J’ai d’abord refusé car j’étais sur le point de signer à Zulte-Waregem mais le club m’a conseillé de prendre l’avion. J’ai été séduit.  »

La région et le club sont chouettes mais il ne parvient pas à s’imposer, même pas sur le banc. Il a effectivement dû attendre le match contre Sunderland, le 22 décembre, pour avoir droit à ses premières minutes de jeu.  » Je n’ai encore jamais connu un tel professionnalisme. Après un match, on nous expose tous les détails : les kilomètres parcourus, le nombre de mètres sprintés, l’intensité… Ils calculent tout par ordinateur. C’est génial mais voilà : en février, j’aurai 26 ans. Il me reste à peu près sept ans et je pense que c’est le moment de relancer ma carrière.  »

Il suscite un certain intérêt mais ne sait trop qu’en faire.  » C’est une décision difficile car je suis en Premier League, quand même. En janvier ou en été, j’ai la possibilité d’être loué pour six mois. Entre les deux périodes, une location plus courte, d’une semaine à trois mois, reste possible mais j’hésite. Si je quitte le club, je veux que ce soit pour une période plus longue. Faire la connaissance de l’entraîneur, des autres joueurs et des supporters prend du temps. Un mois passe vite. Il faut pouvoir jouer mais je ne veux pas non plus afficher une liste interminable d’équipes sur mon CV. Quand Dominic Foley a débarqué à Gand, il avait été loué une quinzaine de fois. Ça ne fait pas bonne impression.  » Il n’envisage pas de revenir en Belgique, même si son amie retape une maison à Mariakerke.  » L’Angleterre est trop belle pour que je la quitte sans y avoir réussi. J’ai le sentiment de ne pas encore avoir dit mon dernier mot.  »

London underground

Il nous conseille de profiter de Londres. Une heure plus tard, nous nous installons à Feltham, notre ultime étape. D’ici, le train nous emmène à la station de Waterloo, au coeur de la capitale, en une demi-heure. De là, le tube conduit à tous les stades de football. Nous avons l’embarras du choix mais trois clubs s’imposent : Tottenham, Chelsea et Arsenal où nos Belges se distinguent.

Arsenalse trouve sur la Picadilly Line, Highbury sur la Victoria Line. Arsenal, c’est Arsène Wenger. L’entraîneur des Gunners a fait construire un superbe centre d’entraînement à Colney, non loin de St-Albans. Les gens l’appellent le NicolasAnelkaTrainingGround car il a été bâti lors du transfert du Français au Real Madrid, pour une somme colossale. Wenger a également pesé dans la décision d’ériger l’Emirates. Les joueurs sont choyés dans de vastes vestiaires ultra-modernes mais Wenger s’est contenté d’une pièce de petite taille.

Le budget réservé aux transferts est également modeste. L’Alsacien ne croit pas aux équipes achetées de toutes pièces. Il veut les former et les faire progresser. Il consacre l’essentiel du budget aux salaires. En moyenne, les joueurs d’Arsenal gagnent très bien leur vie. Wenger veut également prolonger les contrats mais pas comme il y a dix ans quand Bergkamp, Henry, Pires et Cie restaient fidèles à Arsenal coûte que coûte. Arsenal ne remporte plus de prix, se plaint un supporter, alors que le prix des billets a augmenté de 6 %, malgré des tarifs déjà élevés. Arsenal ne parvient plus à conserver ses vedettes. Van Persie, Fabregas, Clichy, Nasri, tous sont partis.

Le supporter nous recommande le livre Arsènal, très instructif, selon lui. L’ouvrage d’Alex Fynn et de Kevin Whitcher est consacré aux années Wenger et à la modernisation du club, qui a conçu les plans de l’Emirates dans l’espoir de mieux rivaliser financièrement avec Manchester United. Le club a même monnayé l’ancien Highbury. Mais, depuis, deux nouveaux acteurs de premier plan sont apparus : Chelsea et Manchester City. L’équipe de Wenger doit se contenter d’un budget limité et d’un centre de formation. Elle fait donc plutôt figure de Barcelone light. Arsenal se raccroche au fair-play financier de l’UEFA, en espérant qu’il va redistribuer les cartes. Un journaliste du DailyMail pense que Wenger va honorer son contrat jusqu’à son terme, en été 2014, puis qu’il s’en ira.  » À moins qu’il n’obtienne une autre fonction au sein du club, ce qu’il mériterait bien.  »

Mighty Blues Belgium

Le tube nous emmène de l’autre côté de la capitale, dans un club géré à l’opposé d’Arsenal. Fulham Broadway, sur la District Line. C’est le coin chic de Londres, là où les propriétaires agrandissent leur maison en sous-sol, faute de place plus haut. C’est ici que se dresse le Stamford Bridge de Chelsea, plus calme en ce vendredi glacial que lorsque nous avons assisté à la célébration du deuxième titre, en 2005. C’était l’époque dorée de José Mourinho, le Special One, dont le célèbre costume Armani gris est exposé au musée du club, comme le bureau qu’il aurait utilisé pour concevoir sa stratégie. Il a l’air si vieux et si minable que nous avons du mal à le croire. Mais bon, les Anglais sont férus de tradition. Après tout, l’Emirates utilise toujours les meubles de Highbury.

La Bentley de Marcel Desailly a franchi les portes du stade un jour, alors que nous interviewions Yves Makabu-Makalambay. Aujourd’hui, il n’y a pas l’ombre d’un joueur mais nous découvrons leur lieu de travail, les luxueux vestiaires. Chelsea regroupe ses joueurs par langues. Les Anglais sont à gauche. Eden Hazard est entre l’Espagnol Azpilicueta, originaire de Marseille, et Florent Malouda, tandis que le contingent brésilien est placé à droite. Les drapeaux des clubs de supporters flottent dans l’arène vide. Celui des Mighty Blues Belgium pend au-dessus de la loge de… Roman Abramovich. Il est vrai qu’il apprécie beaucoup les talents belges, ces temps-ci : Courtois, Hazard, Lukaku et De Bruyne.

Depuis l’arrivée de Wenger à Arsenal, le 1er octobre 1996, Chelsea a déjà connu treize managers. Les supporters n’ont toujours pas digéré le limogeage de Roberto Di Matteo.  » Jamais je n’entraînerai Chelsea « , avait juré Rafael Benitez, son successeur. Di Matteo a rang de héros aux yeux des supporters parce qu’il a offert sa première Coupe d’Europe au club et à la ville dans la foulée. C’est plutôt surprenant mais malgré sa pléthore de grands clubs et 7,8 millions d’habitants, aucun club londonien n’était parvenu à s’adjuger la Ligue des Champions avant Chelsea, en mai dernier. Et ce, contrairement à Manchester et Liverpool ou à de plus petites cités, comme Belgrade, Bucarest ou Eindhoven. Mais Londres… Jamais. Pourtant, ce ne sont pas les clubs qui manquent.

Ian Hawkey, qui a longtemps travaillé pour le Sunday Times, a tenté d’en trouver les causes. Il constate que Londres n’est pas la seule capitale dans ce cas : aucun club de Rome, ni la Lazio ni l’AS, n’a gagné la C1. Pas plus qu’une formation de Berlin ou de Paris. Par contre, Hawkey trouve freakish le fait qu’en vingt ans, Londres n’ait délégué un club en finale qu’à trois reprises, avec une seule victoire à la clef.

La province au pouvoir

 » Peut-être y a-t-il trop de clubs « , avance-t-il ? C’est ce qu’a toujours affirmé George Graham. L’ancien manager d’Arsenal et de Tottenham estimait que son équipe devait disputer trop de derbies intenses et s’épuisait donc sans rien en retirer. Sir Alex Ferguson a toujours joué la carte du provincialisme. Formé à Aberdeen, loin du centre écossais du football, situé à Glasgow, il a mené Manchester dans la cour des grands. Londres, c’est la puissance, la FA, les arbitres, l’arrogance… Hawkey, qui est un habitué de Barcelone, aborde les choses par le même bout de lorgnette :  » Barcelone contre Madrid, Munich contre Berlin, Marseille contre Paris, Porto contre Lisbonne, Manchester contre Londres. Les villes provinciales s’emparent souvent du pouvoir, y compris en football. « 

PAR PETER T’KINT, ENVOYE SPECIAL EN ANGLETERRE

A part West Brom, tous les clubs du grand Birmingham sont à la traîne.

Barcelone contre Madrid, Munich contre Berlin, Porto contre Lisbonne, Manchester contre Londres. Les villes provinciales s’emparent souvent du pouvoir.

Jan Vertonghen a d’ores et déjà la cote à Tottenham, contrairement à Moussa Dembélé.

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