» La police pensait arrêter Tony Montana « 

Après avoir passé un mois en prison, Hervé Kagé respire désormais à l’air libre. Il revient sur tout ce qui s’est passé dans sa vie depuis le titre avec Charleroi.

« J’ai directement voulu m’expliquer sur tout ce qui s’est passé « , balance Hervé Kagé. C’est à deux pas de chez lui, à Berchem-St-Agathe, qu’on le retrouve étonnement détendu malgré tout ce qu’il a vécu. Après un titre de champion de D2 et un mois derrière les barreaux, il est passé par toutes les émotions.  » Je n’ai aucun problème à raconter ce qui s’est passé. J’en suis sorti plus fort. « 

Une jeunesse turbulente et une adolescence tapageuse lui ont valu son bon de sortie de l’école des jeunes d’Anderlecht. Depuis qu’il est passé dans les rangs de Charleroi, il a pris une nouvelle dimension. Ce n’est pas ce mois en prison qui bouleversera son évolution.  » Au contraire même « , déclare fièrement le meneur de jeu carolo.  » Je compte utiliser mon expérience acquise derrière les barreaux. Hervé Kagé la racaille, c’est fini tout ça ! J’ai muri, je suis un adulte, un père et je peux encore évoluer. « 

Rassure-nous, tu as tout de même pu profiter du titre de champion avec Charleroi ?

Hervé Kagé : L’euphorie a été de courte durée pour moi, mais on a bien fêté ça après le match à domicile face à l’Antwerp. Je n’ai jamais vécu une telle ambiance, c’est superbe. On a tous été dans les business seats avec des coupes de champagne. J’étais plutôt bien arrangé. On a fini par aller boire un verre entre joueurs dans un café à Charleroi.

Tu as profité de la soirée pour nous gratifier d’une vidéo dans laquelle tu insultes Mons, Eupen et Roulers… (*)

On a vraiment été chercher ce titre avec nos tripes. On a été mal en point en début de saison et on s’est battu pour arriver à remonter en première division. La soirée du titre, on a tous lâché du lest. Je n’ai rien contre Roulers, mais ils nous ont battus 3-0 lors de la première partie du championnat. Là, j’ai pu leur répondre, montrer qui a dominé la deuxième division. Je n’ai pas directement su que j’étais filmé, mes déclarations devaient rester intra-muros. Heureusement, ça n’a pas porté à conséquence. Les gens savent que je suis comme ça et que je ne méprise pas les autres clubs. La vidéo a juste renforcé mon image de grande gueule.

Maintenant il va falloir continuer à vous battre pour garder votre place en D1 !

Le mental de l’équipe est sa principale qualité, on se donne tous à fond. On a plutôt intérêt à se baser sur notre envie de jouer que sur les qualités intrinsèques de l’effectif. Personne ne sait comment nous évoluons sur la pelouse, c’est un de nos avantages. Il faudra en profiter et se sauver au plus vite.

L’arrivée de Yannick Ferrera et de Luka Peruzovic a fait du bien ?

Pas qu’un peu ! Le nouveau coach prône un jeu technique et offensif, c’est très agréable pour l’équipe. Il a saisi que ma place de prédilection est dans l’axe de l’entrejeu. Il m’a montré ses schémas tactiques et je colle bien avec ses envies offensives. Son arrivée et le retour de Peruzovic ont apporté de la stabilité à un club qui en avait bien besoin.

À ce point-là ?

Ça a été le bordel lors de la reprise ! C’est indigne d’un club professionnel de proposer des conditions de travail pareilles à ses joueurs. Le groupe a vraiment galéré pour se concentrer à 100 % sur le football.

Entre les rumeurs de reprise, un groupe considéré comme trop faible pour l’élite et l’absence d’entraîneur, l’équipe a été déstabilisée…

Maintenant, tout cela s’est calmé. Le président Bayat est venu nous présenter le nouveau staff et nous a confirmé qu’il est toujours bel et bien le président du Sporting de Charleroi. Quant à l’effectif, c’est clair qu’on attend de nouvelles têtes, mais c’est à nous de prouver que nous sommes assez bons pour nous maintenir parmi les 16 meilleures équipes du pays.

Tu arrives à te concentrer sur le football malgré tout ce qui s’est passé pour toi ces derniers mois ?

La prison, c’est derrière moi maintenant ! Je te mentirais en disant que je n’y pense jamais. Ça m’arrive parfois d’avoir peur qu’on sonne à ma porte et que la police m’embarque à nouveau. Le reste du temps, je ne pense qu’au football. Je veux montrer sur le terrain que mon séjour en taule m’a rendu plus fort.

 » Les policiers ont débarqué comme des cow-boys « 

Comment s’est déroulée ton arrestation ?

Je reviens d’une interview à la foire de Charleroi, je suis crevé et je vais dormir. Durant mon sommeil, j’entends qu’on sonne avec insistance à ma porte. Je ne sais même plus si c’est le soir ou le milieu de la nuit, je suis complètement dans le gaz. J’ouvre et je vois huit policiers qui m’annoncent que je suis privé de liberté. Je n’ai rien compris, je n’ai vu qu’une seule chose : mon fils qui s’est mis à pleurer. Il a eu peur. Ils m’ont demandé de les suivre.

Tout s’est passé dans le calme ?

Ils ont fait du boucan. Huit policiers qui arrivent comme des cow-boys, ça surprend. À mon avis, ils pensaient arrêter Tony Montana. Ça m’a presque fait rire. Je suis resté très calme, mais j’ai tout de même eu droit aux menottes. Comme si j’allais me tirer. Mais pour aller où ? À l’entraînement ? S’ils veulent, je leur donne l’adresse du stade.

Tu étais encore sous le choc lors de ton arrivée au poste…

Je n’ai juste pas réalisé avant de débarquer au commissariat. Je me suis retrouvé devant le commissaire, un gars très sympa et plus calme que le reste de l’équipe, qui m’a expliqué ce qu’on me voulait. Sur le moment, tu es vraiment surpris et j’avoue avoir eu du mal à me souvenir des événements liés à ce qui m’est reproché.

En gros, tu es accusé pour complicité dans une affaire de  » faux et usage de faux  » !

J’ai accompagné une lointaine connaissance à la banque, car elle n’a pas de moyen de transport. Je reste dans la voiture avec un ami, sans savoir qu’au même moment elle réalise de faux crédits qu’elle a utilisé pour acheter du matériel informatique et le revendre par après. J’ai appris plus tard qu’elle est criblée de dettes et qu’elle a cité mon nom parmi ceux de ses complices. Elle a tout avoué, mais n’a jamais mis les pieds en prison. Mon ami et moi, on a trinqué. Je ne sais toujours pas comment ça se fait. J’ai mes idées, mais aucune réponse logique.

Ça reste tout de même louche. Tu n’as vraiment rien à voir là-dedans ?

Attends, j’ai la chance d’être footballeur et de bien gagner ma vie. Tu crois franchement que je prendrais des risques pour 3000 euro ? Si j’avais dû commettre un délit, j’aurais braqué une banque, au moins ça rapporte beaucoup d’argent. J’ai expliqué ça à la police. Ils n’ont rien voulu savoir. J’ai été envoyé en prison pour cinq jours. J’ai l’impression qu’ils ont voulu en profiter pour faire un exemple. Ils ont voulu prouver à tout le monde que personne n’est au-dessus de la loi, surtout pas un footballeur professionnel.

 » J’essayais de dormir, mais j’avais l’impression que les murs se rapprochaient de moi « 

Ces cinq jours en prison ont dû être compliqués à vivre…

Horrible est un terme plus approprié. Je n’ai pas su fermer l’£il durant les trois premières nuits. Je n’en pouvais plus, j’ai eu l’impression de devenir fou, comme si j’avais de la fièvre. J’avais l’impression de voir les murs se rapprocher de moi et m’écraser. Tout le monde m’a dit que je serais relâché après mes cinq jours, je n’y ai cru qu’à moitié.

Outre les nuits, comment as-tu vécu tes premières journées en cabane ?

À mon arrivée, j’ai vu une cellule avec deux Russes bâtis comme des armoires à glace. J’ai prié pour ne pas tomber avec eux. J’ai vraiment eu de la chance, on m’a enfermé dans la même geôle que deux gars de mon âge qui ne sont pas très dangereux. L’idée de pouvoir me retrouver avec un tueur ou un pédophile m’a terrifiée.

Ça a dû te faire un choc : passer de la vie confortable de football pro à celle de taulard !

C’est clair que le confort est rudimentaire. On était trois dans 10 mètres carrés. Je me suis bien entendu avec les gardiens et le directeur de la prison. Vu mon statut de joueur de foot, j’ai eu droit à quelques privilèges…

Comme quoi par exemple ?

J’ai pu aller à la salle de fitness tous les jours et nous avons eu droit à une balle de foot dans le préau. Je n’ai pas débarqué comme une star, je n’ai pas directement mentionné ma profession. Les autres détenus se sont toujours montrés très sympas avec moi, je n’ai eu aucun souci avec eux. Dès qu’ils ont su que je jouais à Charleroi, ils ont voulu tester mon niveau. Ça a démarré par un petit match à la sauvette pour s’achever par un tournoi à plusieurs équipes. On s’amusait beaucoup. Tous les jours, un match à cinq contre cinq.

 » En taule, les matchs sont assez rugueux « 

Comment pourrais-tu qualifier le football en prison ?

Les matchs sont assez rugueux. Dix prisonniers autour d’un ballon et aucun arbitre en vue, ça fait des étincelles (rires). Tout s’est toujours déroulé dans une ambiance correcte même si on veut tous gagner. J’ai profité de ces tournois pour faire l’un ou l’autre geste envers d’autres codétenus. Je leur ai offert de petites choses comme mes vareuses, par exemple. Ce n’est pas grand-chose quand on sait qu’ils n’ont ni famille ni logement en dehors du mitard, mais ce sont des attentions qui leur font plaisir et qui me font du bien.

L’attente a dû être pesante !

Au terme des cinq jours, mes bagages sont prêts. Quand les responsables de la prison viennent m’annoncer que mon séjour à l’ombre est prolongé d’un mois, je me suis mis en colère. J’ai juste voulu tout exploser autour de moi. J’ai réussi à garder mon calme, car je sais que l’isoloir m’aurait accueilli à bras ouverts en cas de débordement. Imagine-toi en slip dans un cachot microscopique plongé dans le noir. Rien que le fait d’y penser te calme directement.

Comment ta famille a-t-elle vécu ton enfermement ?

Ma mère s’est retrouvée dans le flou, elle n’a jamais compris ce qui se passait. Elle m’a vu passer de champion de D2 à taulard. Elle a eu beaucoup de mal. Lorsqu’elle est venue pour les visites, j’ai eu l’impression qu’elle était elle-même derrière les barreaux tellement elle a dépéri en un mois.

Le Sporting de Charleroi et tes équipiers t’ont toujours soutenu. Tu n’as jamais eu peur de ne plus avoir ta place au Mambourg pour avoir terni la réputation des Zèbres ?

Tu sais, c’est Charleroi (il rit). Je plaisante, mais il y a eu pas mal de petits soucis autour du club et les rumeurs de reprises ont un peu étouffé l' » affaire Kagé « . Abbas Bayat ne m’a jamais poussé vers la sortie. Mehdi et lui m’ont soutenu, c’est d’ailleurs via eux que Me Mayence a défendu mes intérêts. Quand mes équipiers ont su ce qu’il s’est passé, ils m’ont directement fait part du fait qu’ils sont derrière moi quoi qu’il se passe.

 » Je mettais des posters de football dans ma cellule « 

Tu as réussi à t’habituer à la vie en prison ?

Au fur et à mesure, tu adoptes une vie routinière. Chaque jour, tu fais la même chose du café du matin au Monopoly du soir dans la cellule. On s’occupe comme on peut pour faire passer le temps. Le truc qui me gêne c’est le cadre. Il y a des graffitis partout sur les murs, on peut dire que c’est quand même un peu pourri. Je n’y ai pas laissé ma marque, car la légende raconte que ceux qui écrivent sur les murs de la prison y reviennent. Merci, mais sans façon ! Alors, j’ai accroché des posters de Sport/Foot Magazine. D’ailleurs, c’est assez drôle car au moment de mon arrestation, le classement des meilleurs joueurs de D2 est sorti. SFM m’a mis en tête de ce listing.

Ta famille a dû te manquer, mais le plus dur c’était de ne plus voir ton fils…

Au début, il m’a énormément manqué. Par après, j’ai décidé d’arrêter de penser à tout ce qui se passait à l’extérieur de la prison. Dès que je pense à mon fils qui est loin de moi, je deviens dingue. Je suis heureux d’avoir eu droit aux visites de ma famille et de ma femme au parloir, mais tu es encore plus mal quand tu vois les personnes que tu aimes partir en pleurant. Je refuse que mon fils, Noé, vienne dans une prison. Ce n’est pas un endroit fait pour un gosse de deux ans et demi. Il n’est pas conscient du fait que son père a été en taule. Sa mère lui a raconté que j’ai été à l’école durant un mois. Je lui expliquerai tout quand il sera plus âgé, afin qu’il n’atterrisse jamais derrière les barreaux. La prison m’a fait prendre conscience de l’importance de ma famille. J’en suis sorti grandi.

Justement, comment as-tu vécu ta sortie ?

La justice n’avait plus de raison de me garder mais je n’y ai même pas cru. Lorsque les portes se sont refermées derrière moi, je ne me suis pas retourné. J’ai eu peur que le directeur de la prison me dise :  » Arrête-toi ! C’est une blague, tu dois revenir « . Je me suis enfermé à la maison avec ma famille.

Tu as eu peur du regard des gens ?

Dès ma sortie, un vendeur m’a reconnu et a balancé des blagues vaseuses avec ses collègues. Je m’en tape de ces gars ! Les gens peuvent me critiquer. Je sais que je suis une grande gueule, un mec bruyant et grossier. Seuls mes proches comptent et eux connaissent toute la vérité et me font confiance.

* HERVÉ KAGÉ SPEECH AFTER CHARLEROI – ANTWERP ABOUT THE TITLE :

HTTP://WWW.YOUTUBE.COM/WATCH?V=W3-FD4X3HR8

PAR ROMAIN VAN DER PLUYM

 » Hervé Kagé la racaille, c’est fini tout ça ! «  » Fini les conneries de latéral droit ou de milieu défensif ! « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire