LA PHILOSOPHIE KANTÉ

Aux premières loges de la Premier League avec Leicester City, Ngolo Kanté (25 ans le 29 mars) savoure sa réussite en toute modestie. Entre trottinette et club amateur, ses origines marquent son parcours.

Loin des yeux, près du coeur. Le joueur de Leicester est une bouffée d’oxygène sur la planète foot. Très discret dans les médias, le natif de la banlieue parisienne s’exprime davantage sur les terrains. Mais même à ce jeu-là, il fait parler les autres.  » Je dis toujours que c’est comme une sauce qui ne prend pas. On met une molécule et elle prend tout de suite. Ngolo, c’est la molécule « , explique admiratif Pierre Ville, son ancien dirigeant en club amateur à Suresnes.

Il ne semble pas être surpris par la réussite fulgurante de son petit protégé :  » Ngolo, c’est un exemple. Je dirai même un contre-exemple. Ce n’est pas un joueur bling-bling et méprisant comme on en voit beaucoup de nos jours. Vous ne le verrez jamais chambrer un adversaire quand il marque un but. C’est le meilleur récupérateur de Premier League et il n’a reçu que trois cartes jaunes. Ça veut tout dire. Ce qui l’intéresse, c’est le ballon et pas le joueur.  »

PROFIL ATYPIQUE

Travailler dans l’ombre vous éloigne malheureusement des projecteurs. Son profil atypique ne plaide pas en sa faveur. Pendant de nombreuses années, il grandit en amateur. Très vite, trop vite pour les autres. Ngolo Kanté est surclassé d’un an, voire deux, pour voir comment il réagit face aux difficultés. Mais le joueur ne parvient pas à séduire des formations plus huppées. Piotr Wojtyna, son éducateur à Suresnes, se montre compréhensif :

 » Ngolo a été refusé dans de nombreux clubs, que ce soit en Ligue 2 ou en Ligue 1, mais ça ne m’étonne pas. Sa petite taille, sa timidité et sa discrétion ne l’ont pas aidé. Le fait d’évoluer dans une équipe niveau district non plus. Les recruteurs et les entraîneurs sont assez limités par un stéréotype de joueur.  »

En attendant, le club amateur en profite pour polir son joyau. Son ancien éducateur et ami le prend rapidement sous son aile :  » Nous l’avons protégé dès l’âge de 13 ans. A la fin de chaque saison, il était sollicité par des clubs voisins qui évoluaient en Ligue. Nous avons trouvé un terrain d’entente avec Ngolo pour qu’il finisse sa formation à Suresnes. En retour, nous nous engagions à contacter des clubs professionnels.  »

Chose promise, chose due : il pose ses valises en 2010 à Boulogne. Relégué en National en fin de saison régulière, le club décide de faire confiance à son jeune espoir qui apporte rapidement un vent de fraîcheur dans le Nord.

UN BTS EN COMPTABILITÉ

Tout va plus vite. Mais le renard ne veut pas brûler les étapes. Il décide d’entreprendre en parallèle un BTS en comptabilité.  » Il n’avait pas d’horaires aménagés pour suivre ses cours et s’entraîner avec nous, alors à 16 h 30 il prenait sa trottinette à l’internat ou venait nous rejoindre en footing ! « , raconte Christophe Raymond, son entraîneur à Boulogne, au journal Ouest France.

Doté d’une soif d’apprendre et d’un encadrement de qualité, tout était réuni pour faciliter son éclosion. Pierre Ville témoigne :  » C’est clairement son éducation qui l’a fait réussir. Nous n’avons jamais vu les parents de Ngolo parce que nous n’avons jamais eu de problème avec lui. Je lui dis toujours quand il vient nous voir : ‘Ma plus grande fierté, c’est que tu aies réussi tavie d’homme’ « . Diplômé en 2013, le joueur peut soulever son premier trophée.

Lancé à pleine vitesse, le meilleur récupérateur de Premier League est prêt à s’arracher pour réussir dans le milieu. Son ancien dirigeant à Suresnes raconte :  » Jusqu’aux seniors, il ne se voyait pas professionnel. Alors, il a tout fait pour se garantir un avenir. Le jour même où il a reçu son BTS, il m’a dit : ‘J’ai fait mon cursus, je peux tout donner pour le foot maintenant’.  »

Un brin nostalgique, Pierre Ville complimente :  » J’ai un énorme respect pour lui. Il est arrivé chez nous à l’âge de 10 ans. Il est tout de suite devenu le chouchou du vestiaire grâce à son tempérament. Il montrait déjà que c’était un grand joueur sur le plan humain.  »

HUMBLE ET RESPECTUEUX

José Saez, son ancien coéquipier à Caen, rembobine :  » Il venait souvent discuter avec les anciens. Il voulait connaître notre ressenti sur l’ambiance dans les grands stades. Il a toujours été humble et respectueux. Je me rappelle qu’il m’appelait souvent ‘Monsieur’.  » Repas festif mais léger, Ngolo Kanté ne s’éternisait pas après un match :  » Ça pouvait lui arriver de venir boire un verre avec nous. Mais il ne s’attardait jamais très longtemps. Il préférait rester en famille.  »

Issu d’une famille modeste de 8 frères et soeurs, celui qui partage le milieu central de Leicester avec Danny Drinkwater a été élevé dans la foi.  » Il fait une lecture intelligente de sa foi « , précise Pierre Ville. Et force est de constater que le petit récupérateur semble être apaisé et bien entouré. Son ancien dirigeant à Suresnes regrette toutefois :

 » Le problème, ce sont les gens qui gravitent autour. Ceux qui ne veulent que faire de l’argent sur son dos. Mais Ngolo n’est pas bête, s’il hésite et pense qu’une décision ne sera pas bonne pour lui, il ne la prend pas.  »

Ses échecs d’hier ont forgé sa réussite d’aujourd’hui. Piotr Wojtyna se souvient :  » Un jour, un entraîneur professionnel regardait un match de Ngolo avec moi. Il avait 18 ans à cette époque. J’essaye de le persuader de le prendre dans son club, une équipe de Ligue 2, et il me répond : ‘On en a 20 comme lui chez nous, il n’a aucune chance’.  » Mais le joueur ne se démonte pas. Il sait qu’il n’est pas encore prêt.

 » Personnellement, j’ai toujours su qu’il arriverait loin. En réalité, je le pense depuis qu’il a signé à Boulogne. Depuis cette étape franchie, il peut jouer n’importe où. Mais personne ne lui disait à l’époque qu’il allait devenir un grand joueur « , insiste Pierre Ville. Jusqu’à ce qu’il prenne de haut la Premier League

PAR JASON VANHERREWEGGE – PHOTO REUTERS

 » Trois cartes jaunes pour un milieu récupérateur comme lui, ça veut tout dire. Ce qui l’intéresse, c’est le ballon et non le joueur.  » PIERRE VILLE, ANCIEN DIRIGEANT DE NGOLO KANTÉ À SURESNES

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