La philosophie FERGIE

La base éthique est très claire :  » Si les joueurs ne s’engagent pas à 100 % à l’entraînement, vous n’êtes plus une équipe…  » Et puis, il y a la construction du jeu. Confessions passionnantes.

Il y a plus de 30 ans, peu après sa nomination d’entraîneur en chef du FC Aberdeen, Alex Ferguson avait annoncé à la TV son intention de remporter un trophée européen avec son club… ou tout autre club. Il s’était fixé un objectif et a tapé dans le mille à quatre reprises jusqu’ici ; une fois avec Aberdeen et trois fois avec Manchester United. La Coupe des Coupes fut remportée en 1983 quand les Dons battirent le Real Madrid en finale. Huit ans plus tard, les Red Devils d’Alex battirent le Barça dans la même compétition. Il confirma cela en remportant la Supercoupe de l’UEFA en deux occasions puis vint la récompense suprême : la Champions League contre le Bayern Munich en 1999 et Chelsea l’an dernier. Cela en plus d’une Coupe intercontinentale, de 13 titres nationaux et 21 coupes nationales des deux côtés de la frontière anglo-écossaise…

Pas étonnant que Sir Alex soit devenu le directeur honoraire du Cercle des entraîneurs de l’UEFA. Voici les principes de travail de cette icône du football mondial, une grande vedette de la zone verte…

Cela fait 26 ans que vous avez remporté votre premier trophée européen ; dans quelle mesure les ingrédients du succès ont-ils changé durant cette période ?

Alex Ferguson : Eh bien, ils ont certainement changé en termes de soutien nécessaire en particulier dans le domaine de la science sportive. L’information médicale, la nutrition et la préparation des joueurs ont atteint un autre niveau. Ce qui n’a pas changé, dans notre cas, c’est que les joueurs s’entraînent toujours à un niveau élevé et nous avons toujours visé la qualité à 100 %. Je n’ai jamais changé cette approche parce qu’à mon sens, ce que l’on fait sur le terrain d’entraînement se retrouve le jour du match. Nous n’avons jamais permis que les séances d’entraînement se déroulent dans la nonchalance. Pour moi, l’entraînement est une occasion pour les joueurs de s’exprimer en tant que professionnels. Les joueurs qui ne s’engagent pas à l’entraînement peuvent avoir une influence négative sur les autres et les choses peuvent dégénérer… Vous n’êtes plus alors un véritable club de football.

Tant à Manchester United qu’à Aberdeen, nous avons toujours eu un formidable esprit d’équipe. Sans ça, on n’obtient pas la perfection. Or, de nos jours, avec l’augmentation du nombre de joueurs égocentriques qui rendent la tâche plus exigeante, la situation peut être difficile pour pas mal d’entraîneurs. L’intrusion des agents et des représentants de joueurs signifie que certains joueurs n’ont plus la même responsabilité que leurs homologues d’il y a vingt ou trente ans. Par exemple : auparavant ils réservaient tous eux-mêmes leurs vacances, de nos jours ce n’est plus le cas !

L’un des grands changements, bien sûr, est l’augmentation du nombre de grandes vedettes dont on a besoin pour rivaliser au niveau de l’élite. Nous avons maintenant 18 nationalités au sein de notre club et c’est une évolution que je ne pouvais pas prévoir quand j’ai commencé le métier. Nous avons atteint une situation où j’ai deux recruteurs à plein temps au Brésil, un en Argentine, d’autres en Allemagne, en France, etc. J’ai des gens partout et cela montre à quel point la Premier League est devenue puissante et à quel point nous avons évolué en tant que club. C’est devenu une entreprise complexe. Cela a été bénéfique pour moi car je suis en contact avec différentes cultures et je trouve cela enrichissant du point de vue du métier. Ce n’est simplement plus possible d’être provincial.

 » Heureusement qu’il y aura toujours des Cristiano Ronaldo et des Messi « 

Du point de vue tactique, quels sont les principaux développements que vous avez observés en Champions League ces dix dernières années ?

La vitesse du jeu de transition est nettement plus élevée. Beaucoup de contre-attaques sont de nos jours différentes, contrairement au vieux style italien classique des années 1960 quand la balle était transmise via une longue passe à un attaquant isolé qui pouvait aller au duel sur un vaste espace. Maintenant, les joueurs se portent à l’attaque à partir du milieu de terrain ou de leurs positions en défense, la contre-attaque rapide étant l’affaire de quatre ou de cinq joueurs. Ce jeu de contre-attaque en groupe a vraiment été un grand changement dans le jeu.

En plus, les qualités des entraîneurs se sont améliorées et grâce à la science sportive et à la technologie, nous pouvons étudier nos adversaires de manière plus approfondie. Nous pouvons obtenir les temps de course et les statistiques de chaque joueur que nous affrontons. C’est une information phénoménale pour tout entraîneur. Nous examinons chaque détail et pouvons analyser tout ce que nous avons besoin de savoir. Cela a eu un impact sur la tactique. Mais la seule chose qui ne change jamais c’est l’espoir que vous trouverez toujours un Cristiano Ronaldo ou un Lionel Messi, des joueurs à même de faire basculer un match par une action individuelle et de contrecarrer l’impact tactique de tous les entraîneurs. Tenter de bloquer des joueurs comme Messi est vraiment un défi parce qu’il y a toujours des moments durant le match où il se dirige vers vous avec la balle et vous vous dites : – Oh non, il est de nouveau là ! Tous les grands joueurs tels que l’Argentin ont une part de courage qui les place au-dessus de tous les autres. Cela en plus de leur extraordinaire habileté.

Quelles qualités faut-il posséder pour être un joueur de premier plan dans le football européen de nos jours ?

Il y a des joueurs tels que Kaká, Messi et Ronaldo dont le talent est inné. Mais ce n’est pas suffisant et l’entraînement revêt une très grande importance. Si vous regardez Cristiano Ronaldo, il s’entraîne seul après chaque séance d’entraînement collective et peu d’autres joueurs en font de même. En tant qu’entraîneurs, nous consacrons une partie de l’entraînement à améliorer la touche de balle, le mouvement, les passes et la vitesse de jeu mais la qualité particulière, le détail dépend de la volonté du joueur de consentir des sacrifices après l’entraînement. C’est la marque des grands. Si les talents ne comptent que sur leur habileté naturelle ils n’auront pas ce petit plus.

 » La Champions League est meilleure que la Coupe du Monde « 

A quel niveau situez-vous la Champions League par rapport aux EURO et Coupe du Monde ?

Certains des tours finaux de la Coupe du Monde et même un ou deux tours finaux de l’EURO ont été un peu décevants. La dernière grande Coupe du Monde s’est déroulée en 1986 au Mexique quand l’Argentine a battu l’Allemagne 3-2 en finale. Il n’y a rien eu de comparable depuis lors. Bien entendu, certains affirmeront que de nos jours il est beaucoup plus difficile de jouer contre la plupart des équipes nationales et que les standards de base se sont améliorés. Mais quand vous regardez la Champions League et voyez la qualité, certains matches ont été absolument fantastiques. Nous parlons véritablement de grands matches. Notre confrontation avec Chelsea l’an dernier a été l’une des finales les plus disputées de la Champions ces dernières années. Bien sûr, nous oublions une ou deux des finales disputées il y a vingt ans quand les matches étaient négatifs et se terminaient par l’épreuve des tirs au but après un prudent 0-0. Mais songez au 3-3 entre Liverpool et l’AC Milan : quel match à rebondissements ! Ou à la partie entre nous et le Bayern Munich avec deux buts dans le temps additionnel pour remporter le trophée.

Il y a beaucoup de bons matches à la Coupe du Monde mais, en général, la qualité dans les grands matches de la Ligue des Champions est, à mon sens, supérieure. Je n’ai assisté qu’à deux finales de Coupe du Monde. Tout d’abord en 1998, quand la France dévora le Brésil alors que toute la discussion tournait autour de Ronaldo et de l’impact qu’il avait sur l’équipe de Mario Zagallo. Toutefois, je dois dire que j’ai trouvé la dernière finale entre la France et l’Italie captivante du point de vue tactique. Ce fut un match d’une très grande intensité et la décision de Marcello Lippi en deuxième mi-temps d’aligner trois joueurs en ligne intermédiaire dans l’entrejeu a été décisive car cela a stabilisé l’Italie à un moment où la France commençait à la dominer. En réponse à la question initiale, je pense que, dans l’ensemble, la Ligue des Champions est difficile à battre en termes de constance, de qualité et de rebondissements. La Coupe du Monde se dispute tous les quatre ans et d’importants changements interviennent toujours avec le départ de nombreux joueurs et entraîneurs et la continuité en souffre…

Quelles sont les principales difficultés auxquelles un club doit faire face en étant engagé dans une compétition européenne ?

La principale difficulté est la préparation. Parce que nous sommes engagés dans une ligue nationale tellement intense, avec des exigences constantes et un excès de matches, nous avons un temps limité pour préparer les matches de la Ligue des Champions. Néanmoins, il n’y a pas de véritable handicap. Par exemple, je pense que les standards de l’arbitrage se sont améliorés. Il y a un plus grand respect entre les arbitres et les joueurs. L’organisation est très bonne et il y a rarement un problème à cet égard. La seule chose qui, parfois, me préoccupe est le stade où nous nous entraînons la veille du match parce qu’il y a trop de gens autour et qu’on ne peut accomplir beaucoup de travail sérieux. Les caméras de TV disparaissent après quinze minutes mais l’intimité n’est pas toujours garantie.

Si l’on joue le samedi, le dimanche est jour de repos et s’il est prévu que nous jouions à l’extérieur le mardi en Ligue des Champions, nous n’avons que la séance du lundi sur le terrain adverse et on ne sait pas qui vous observe. Il est difficile de résoudre ce problème…

Modifiez-vous votre préparation pour les matches de Ligue des champions ?

Nous n’effectuons pas de travail tactique sérieux, comme je l’ai dit, en raison des contraintes horaires et de l’endroit. Il s’agit bien plus de récupérer et de parler du match avec les joueurs. Nous nous référons toujours à l’heure anglaise, quel que soit l’endroit où nous allons. Le jour du match est un peu allongé et la différence horaire n’aide pas. Les joueurs se lèvent vers 10 heures environ et nous procédons à une séance de mobilité en recourant au divertissement et à la musique. Puis, il y a l’analyse vidéo avant le déjeuner. Ce n’est qu’ensuite que je sélectionne l’équipe pour le match de la soirée.

Êtes-vous satisfait de la règle des buts marqués à l’extérieur ?

Je ne crois pas que nous nous soucions de cette question comme nous le faisions il y a vingt ans. En raison de la vitesse et de l’efficacité de la contre-attaque, ce n’est pas un désavantage aussi grand de jouer à l’extérieur que cela fut le cas jadis. Je ne m’inquiète pas trop de ça, mais c’est bien de pouvoir marquer un but à l’extérieur, bien sûr. Soyons clairs : c’est un avantage de marquer quand on n’est pas à la maison mais je ne ressens pas cette règle comme un poids gênant. Je ne pense pas qu’il faille la changer. Parce que cette petite récompense dissuade les équipes visiteuses de se replier dans leur propre surface de réparation durant la totalité d’un match.

Ces dernières années en Ligue des Champions, il y a eu une diminution du nombre de buts marqués sur coups francs : est-ce dû au hasard ou y a-t-il des raisons à cela ?

La seule raison à laquelle je peux songer est le manque d’entraînement. Comme je l’ai déjà souligné, Cristiano Ronaldo s’entraîne en permanence à tirer des coups francs et, à l’évidence, c’est la raison pour laquelle il atteint presque toujours la cible. Les gens disent que le ballon flotte beaucoup mais c’est le cas depuis ces deux dernières décennies… Je ne pense pas que le ballon soit un facteur important. La distance entre le mur et le ballon n’est pas en cause non plus parce que les arbitres effectuent en général leur travail. Non, pour moi, cela a davantage à voir avec l’entraînement et la chance.

 » Mon meilleur match en Champions League reste le 7-1 contre la Roma « 

Quelles sont les plus grandes différences entre la compétition nationale et la Ligue des Champions ?

La différence dans la préparation et l’ambiance dans les stades sont les deux principaux facteurs. Il suffit de songer au public à Old Trafford, au Nou Camp, à San Siro ou à Bernabeu un soir de Ligue des Champions et vous saurez de quoi je parle. De telles soirées vous donnent le frisson. C’est aussi une question de projecteurs, de circonstances et de compétition particulière entre les cultures du football. La Premier League est fantastique et très concurrentielle mais la plupart des rencontres peut être peu passionnante. En Ligue des Champions, la grande majorité des rencontres sont captivantes, pleines de rebondissements et de très haut niveau. C’est la Ligue des Champions et pas seulement une compétition de coupe.

Quel est le meilleur match que vous ayez joué en Europe ?

Sans le moindre doute, la victoire 7-1 sur l’AS Rome à Old Trafford en quarts de finale de la Ligue des champions 2006-07. Ce fut un résultat record pour ce stade de la compétition. Nous avons disputé un match contre une équipe italienne de premier plan qui nous avait battus 2-1 au match aller. Notre performance en première mi-temps devant nos propres supporters a été quelque chose d’extraordinaire et l’équipe de Luciano Spalletti a été traumatisée parce que notre jeu rapide à une touche de balle était exceptionnellement bon. Certains de nos buts ont été brillants, en particulier le jeu fluide à une touche de balle qui a conduit au but d’Alan Smith. Ce match sort du lot. Il en allait de même du match nul 3-3 à l’extérieur contre Barcelone qui aurait pu se terminer sur le score de 20-20 tant les deux équipes ont attaqué. Certains matches reflètent l’histoire des clubs. On ne peut pas oublier ces soirées magnifiques et particulières.

par andy roxburgh, directeur technique de l’uefa (the technician)

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