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La patte du gaucher

Ce 13 août, la journée internationale des gauchers a mis à l’honneur des profils qui restent une denrée rare. Tout ce qu’il faut pour faire naître un mythe. Celui selon lequel le pied gauche aurait forcément quelque chose en plus que l’autre.

Le récit commence mal. Même les langues se rangent du côté opposé. En Italie, terre où les artistes sont toujours regardés avec des yeux méfiants s’ils ne rentrent pas dans les plans tactiques du Mister, la gauche se dit sinistra. Le français n’échappe pas à la règle, puisqu’un homme  » gauche  » est simplement un maladroit. L’alphabet, les stylos, les ciseaux : tout est fait pour les droitiers.

La dictature s’évapore seulement quand une balle entre dans la danse. Là, les gauchers sont des denrées rares, et précieusement cultivées. S’ils sont à peine entre 10 et 15% sur la planète, ils prennent souvent une part plus importante du gâteau sur les terrains de sport.

Tout est question d’angle et de surprise. Au handball, les deux joueurs placés sur le côté droit du parquet sont généralement des gauchers, pour ne pas restreindre leur angle de frappe au but quand ils rentrent dans le jeu.

En escrime, les gauchers sont généralement proches des sommets, parce que leurs adversaires sont confrontés à des postures inhabituelles et voient leur défense chamboulée. Une théorie qui a aussi contaminé les courts de tennis, depuis que les coups droits croisés de Rafael Nadal ont rappelé les années de domination de John McEnroe.

Au football, certains se lèvent aussi du pied gauche. Sans les préjugés qu’un gaucher de la main devrait affronter au quotidien. On n’a jamais forcé un gaucher à oublier sa nature pour jouer du pied droit, parce que personne ne posait alors les pieds sur les bancs de l’école. La latéralité devient même précieuse, pour s’installer à certains postes-clés du terrain. Un coach ne crache jamais sur un gaucher.

Joueurs d’instinct

Courtisé pour sa rareté, le gaucher qui pose ses premières foulées sur les terrains de football se retrouve presque naturellement installé dans le couloir. Rares sont les pieds gauches qui entament leur carrière au coeur du jeu. Plus fréquents sont ceux qui se retrouvent arrière latéral parce qu’ils n’ont pas le talent pour briller devant, mais l’alibi du pied gauche pour s’installer sur le côté d’une défense à quatre.

Peut-être est-ce pour cela qu’on parle rarement de la vision du jeu des gauchers. Par contre, on parle de leur pied. Qui devient  » la patte gauche « . Comme le signe de joueurs d’instinct, au football animal. Armés d’un pied qui les rend différents.

Il y a évidemment les centres de Ryan Giggs. Ou les coups francs chirurgicaux de Sinisa Mihaijlovic et d’ Alvaro Recoba. Les frappes de mule de Roberto Carlos. Même Zinédine Zidane, pourtant droitier incontestable, a mis le but le plus instinctif – et probablement le plus beau – de sa carrière du pied gauche, reprenant de volée un centre finalement propulsé dans la lucarne du but du Bayer Leverkusen en finale de Ligue des Champions.

La plupart des gauchers de légende ne s’embarrassent pas du développement de leur pied droit

Des joueurs de flair et de coups de génie, plus que des organisateurs méticuleux. Au sein du meilleur Barça de Pep Guardiola, équipe la plus méticuleuse de l’histoire en possession de balle, pas de gaucher en défense centrale ni même dans le triangle du milieu de terrain. En plus d’ Éric Abidal, arrière gauche parce que défenseur et gaucher, la seule patte gauche du onze était celle de Lionel Messi. La Pulga, chargée d’amener le chaos au bout d’une circulation de balle ordonnée.

Comme son prédécesseur Diego Maradona, Messi semblait ne rien interdire à son pied gauche. Parfois stéréotypé, mais toujours génial. La plupart des gauchers de légende ne s’embarrassent pas du développement de leur pied droit. James Rodriguez préfère toujours un bon extérieur du pied pour lancer un coéquipier vers le but, tandis qu’ Arjen Robben n’a jamais cessé de repiquer vers l’axe pour trouver son pied fétiche et enrouler le ballon dans le petit filet opposé.

Dynamiteur imprévisible

Longtemps cantonné au flanc gauche, et donc inévitablement homme de la dernière passe, du centre précis, le gaucher a connu une nouvelle vie quand il a pu quitter sa craie, devenant parfois numéro 10, parfois ailier droit. Toujours installé entre les lignes, pour mettre le feu au milieu d’une forêt de droitiers bien organisés, le gaucher a renforcé sa réputation de dynamiteur imprévisible.

Depuis l’axe, il peut trouver des angles de passes qui sont naturellement invisibles pour les droitiers, et donc amener les défenseurs à réfléchir différemment, à boucher d’autres espaces. Dans un sport où tout se décide parfois en une fraction de seconde, l’avantage est indéniable.

Le mythe a parfois dépassé la réalité, amenant l’idée que chaque gaucher a quelque chose en plus. Certaines études se sont même penchées sur le sujet, sans jamais pouvoir affirmer scientifiquement la supériorité sportive de la patte gauche. Parce que tous les gauchers ne sont pas des artistes, et qu’il y en a également chez les droitiers. Heureusement pour l’équipe nationale belge, dont le répertoire offensif de gauchers se limite aux exploits irréguliers d’ Adnan Januzaj et aux buts sans poésie de Romelu Lukaku.

Même si deux des plus grands joueurs de l’histoire se sont levés du pied gauche sur les terrains argentins, l’équilibre international bascule forcément en faveur des pieds droits. Plus nombreux, et donc plus souvent sacrés. Au XXIe siècle, Messi a été le seul joueur à conquérir un Ballon d’or grâce à son pied gauche.

Sur les pelouses belges, seul Milan Jovanovic a mis un terme, l’espace d’un an, à l’hégémonie des droitiers. Un slalomeur imprévisible, électron libre et dynamiteur de défenses. La gauche, c’est aussi le côté du coeur. Peut-être une bonne raison pour aimer les gauchers un peu plus que les autres.

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