La passion selon Ivic

Formateur, coach à succès, tacticien hors pair, il a marqué l’histoire du football belge et mondial. Hommage.

« I t’s my boy. ..  » : c’était une des expressions préférées de Tomislav Ivic emporté par une crise cardiaque, le 24 juin à Split au c£ur de sa Dalmatie natale.  » C’est mon fils  » ( Moj sin, en croate) répétait-il avec fierté quand il croisait ou évoquait un des nombreux jeunes footballeurs qu’il lança au top. C’était un plaisir de l’entendre parler de Kenneth Brylle ou de Per Friman mais aussi des valeurs sûres qu’il emmena vers de nouveaux horizons tactiques à Anderlecht au début des années 80 : Morten Olsen, Ludo Coeck, Frankie Vercauteren, Juan Lozano, etc.

Une grande équipe révolutionnait l’histoire du football avec son implacable pressing sur le porteur du ballon. Le gotha des entraîneurs était pendu à ses lèvres, le rencontrait chez lui, jusqu’au bout de la nuit pour comprendre ses schémas, ses graphiques, ses occupations de terrain griffonnés. Johan Cruijff était un des plus assidus.

Cette boule de nerfs puisait de nouvelles idées dans d’autres disciplines sportives, principalement le basket. Plus tard, en 1998, c’est avec le même enthousiasme que ce diable d’homme se lança tête baissée, à 64 ans, dans une des missions les plus difficiles de sa carrière : reconstruire le Standard que Luciano D’Onofrio et Robert Louis-Dreyfus venaient de reprendre. Il ne restait que des ruines et Ivic a bâti une nouvelle équipe, réinsufflé un véritable esprit professionnel avec des joueurs souvent inexpérimentés venus de tous les horizons. Travail immense. Sous le poids du stress, son c£ur flancha une première fois au Standard :  » J’ai été soigné et sauvé en Belgique « .

Cela l’incita à peine à lever le pied. Avant de se retirer, il £uvra encore au profit des jeunes Liégeois à l’Académie Robert Louis-Dreyfus. C’était sa dernière mission et lui qui avait tout connu au sommet bouclait la boucle en faisant la même chose qu’à ses débuts : former ses jeunes, transmettre son savoir, offrir son énergie toujours vive malgré de premiers pépins cardiaques.

 » Je dois rendre au football une partie de tout ce qu’il m’a donné « , disait-il.  » Si j’ai avancé dans la vie, c’est grâce à ce sport universel qui n’a jamais été aussi attrayant. Le football de demain sera encore plus beau, plus intéressant, plus passionnant. J’observe des choses formidables partout, surtout en Espagne. C’est magnifique… « 

En septembre 2010, il nous reçut longuement chez lui, avant la visite européenne d’Anderlecht à Hajduk Split. L’homme était diminué mais sa passion du football le portait. De sa grande terrasse, il apercevait les navires de la compagnie maritime Jadranska qui se ravitaillaient avant de repartir sur l’Adriatique. Ivic savait qu’il venait d’atteindre son dernier port, même si une flamme dansait dans ses yeux :  » Je marche difficilement mais cela ira mieux : je m’entraîne, je travaille, je ne rate pas une séance de kiné. Ça ira, ça ira… « 

Diabétique, il nous montra la cicatrice qui barrait son dos :  » Ah, sans cette hernie discale…  » Cette attaque du temps le désolait. Etonnant bonhomme qui n’a jamais cessé d’étudier, de se remettre en question. Il avait un projet de livre à écrire en compagnie de son ami journaliste Zdravko Reic.

Chez lui, il nous montra sa collection de trophées et de souvenirs des quatre coins du monde :  » Tout cela sera remis à la Maison du Sport de Split. Je ne sais pas comment cela se fait mais il me manque une référence à mon passage au Sporting qui, comme le Standard, restera à jamais dans mon c£ur. Pierre, tu ne peux pas arranger cela ? » Et sur le moment même, nous avons contacté Herman Van Holsbeek qui précisa tout de suite au téléphone :  » Monsieur Ivic a marqué pour toujours l’histoire d’Anderlecht et c’est avec plaisir que nous lui remettrons un souvenir. C’est un gentleman et un géant de l’histoire du football mondial.  »

Le compliment de Michels

Sous le regard de sa femme, Régina, Ivic était aux anges :  » J’ai des amis partout. J’ai beaucoup voyagé sur tous les continents. Je ne connais qu’une chose qui paye : le travail.  » Tout avait pourtant commencé petitement pour lui. Son père est décédé durant la Deuxième Guerre mondiale lors de combats face à l’occupant nazi. Son corps n’a jamais été retrouvé. Il vivait dans une minuscule maison où il faisait très froid l’hiver venu.  » La famille Ivic ne roulait pas sur l’or « , souligne Reic, son confident.  » Ils avaient quelques animaux, une petite basse-cour, etc. Sa maman travaillait aussi dans un grand hôtel de Split : elle était cuisinière, je crois. Ivic a racheté un jour cet établissement : il y tenait pour rendre hommage à sa mère. Son enfance pauvre a forgé son caractère. Sa femme a aussi travaillé pour payer ses études de coach. Il avait parfois tout juste de quoi payer un aller-retour Split-Belgrade. L’étudiant était brillant et il entama sa carrière avec les jeunes du NK Split.  »

Il n’attendait qu’une chose : un emploi au Hajduk. Il y forma une génération exceptionnelle, hérita de l’équipe fanion avant de mettre ses grandes idées en place. Les titres se succédaient déjà quand Rinus Michels le recommanda à l’Ajax d’Amsterdam. Michels l’avait vu à l’£uvre lors d’un tournoi en Autriche où sa vision du jeu l’emballa :  » J’ai découvert un entraîneur révolutionnaire avec des idées modernes qui annoncent le football de demain.  »

Ivic était différent :  » On ne peut rien sans la possession du ballon. Mon principal souci a toujours consisté à le récupérer au plus vite. L’adversaire est souvent surpris par ce pressing haut. Et quand on a l’initiative, on pense et on joue plus vite. A Anderlecht, cela a demandé un changement des traditions mais ce fut une aventure exceptionnelle. Des joueurs comme Coeck ou Vercauteren, entre autres, ont beaucoup travaillé pour que le système se mette en place. A l’époque, pour évoluer haut, j’avais besoin à côté d’Olsen et d’ Hugo Broos d’un garçon rapide comme Luka Peruzovic pour que notre défense ne laisse pas passer des contres.  » Même Lozano changea sa façon de jouer.

Intéressant, entier, passionnant Ivic respectait la presse, admettait la critique, cherchait le dialogue pour convaincre ses contradicteurs, nombreux comme à la fin de son règne à Anderlecht. On lui reprocha d’être trop défensif, ce qu’il a toujours contesté :  » Ce n’est pas dans ma nature.  » Son tempérament de feu pouvait être épuisant, c’est évident. Il n’était jamais totalement content. Ivic était chaleureux mais revendiquait un engagement total. Son pressing était-il trop exigeant ?  » Mais… non « , disait-il souvent.  » Il faut utiliser sa tête. Je suis particulièrement fier du fait que beaucoup de mes anciens joueurs soient devenus de bons coaches. « 

Nous l’avons souvent rencontré dans les grands tournois internationaux. Entraîneur ou consultant, il étudiait sans cesse le football, était à l’affût de la dernière nouveauté. Même s’il a porté la parole foot un peu partout, la Belgique était devenue sa deuxième patrie :  » C’est un pays qui se trouve à la croisée de toutes les influences. Il y a toujours eu du talent et des joueurs bien préparés chez vous et leur avenir passera par une bonne formation. « 

Ivic parlait du Standard et de Luciano D’Onofrio avec émotion. Ces deux amis ont parcouru beaucoup de chemin ensemble. D’Ono l’appelait amicalement Ivan et a dit un jour la gorge noué et des larmes aux yeux :  » J’ai connu beaucoup de coaches, mais le plus grand, et de loin, c’est Ivic « . Pour la Gazzetta dello Sport, au vu de son palmarès, il était le meilleur entraîneur de tous les temps. Ivic aimait tous ses joueurs : les stars ou les jeunes footballeurs inconnus des centres de formation…

PAR PIERRE BILIC – PHOTOS: REPORTERS

Ivic aimait tous ses joueurs : les stars ou les jeunes footballeurs inconnus des centres de formation.

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