La passion maladroite

Alph11 n’est pas un grand communicateur. Il dit des choses du genre « C’est pas l’Armée du Salut, ici! »…

Un noir d’encre entoure le Sart Tilman. Sur les quais, qui mènent à Liège en longeant la Meuse, le cortège des voitures à l’arrêt n’a pas encore formé de cordon rouge. Quant au stade de Sclessin, semblable à un château fort, il demeure englouti par la pénombre. Seule une tâche lumineuse indique la présence d’une activité au premier étage de la tribune 2.

Pour obtenir une interview avec Alphonse Costantin, il faut se lever tôt. L’horloge indique 7h15. Excepté une technicienne de surface, mettant un point d’honneur à faire briller le sol, il n’y a personne.

Sauf Alphonse évidemment! Présent depuis potron-minet. En forme. Frais et dispos. Prêt à parler de lui. A la façon de Jules César ou d’Alain Delon. C’est-à-dire en employant régulièrement la troisième personne du singulier à son sujet.

A quoi ressemblent vos journées types?

Alphonse Costantin: Costantin se lève à 5 heures du matin. Arrive le plus tôt possible. Travaille non-stop. Ne prend pas d’heure de table et quitte à 18, 19, 20 heures si cela s’avère nécessaire. En rentrant, il mange un bout. Puis va courir. Ensuite, il prend la serviette rouge que voici (mon fétiche qui m’accompagnera dans le cercueil); il emporte toujours divers documents. Durant deux heures, j’expédie le travail administratif que je n’ai pas accompli pendant la journée…

Vous vous reposez quand même, de temps en temps?

Le samedi, je le consacre à mon épouse. Hormis le match, évidemment. Le dimanche matin, je travaille puis, dans la mesure du possible, l’après-midi reste libre. Impossible de faire autrement. Des timings ont été promis à la direction. Si nous voulons les respecter, un rythme se doit d’être tenu. En arrivant, même si Costantin se refuse à critiquer ses prédécesseurs, il ne s’attendait pas à trouver une telle masse de problèmes. Nécessaire, dès lors, de consentir les efforts voulus afin de respecter les délais.

« Trois choses dans la vie »

Votre opération du coeur n’agit donc pas à la manière d’un frein?

Ah! Heureusement que j’étais couché lorsque le médecin m’a annoncé qu’il fallait passer sur le billard. Sans quoi, je serais tombé à la renverse. Deux artères totalement bouchées! Je pensais entrer en clinique en septembre. Un deuxième examen m’a propulsé au CHU le 11 juin. Il y avait réellement urgence. En me réveillant, j’ai pensé qu’à 56 ans, j’étais un peu fou de tenir un tempo effréné. Reprenant le travail parcimonieusement, je suis reparti comme une fleur. Je cours à nouveau 45 kilomètres par semaine.

Ce sérieux avertissement ne vous a rien appris?

Au contraire. Je retiens un grand enseignement. Trois choses comptent réellement. Un: être heureux dans la vie privée. A cet égard, j’ignore si je pourrai un jour rendre à mon épouse ce qu’elle m’a apporté dans les moments pénibles. Deux: s’épanouir dans le travail. Trois: vis un peu, Costantin! Raison pour laquelle je vais prendre régulièrement des mini-vacances en compagnie de ma femme.

Vous savez que vous faites un peu Inspecteur Colombo en parlant sans cesse de votre femme?

Elle le mérite. C’est un être merveilleux. J’ai bien appris à la connaître car elle fut ma secrétaire durant dix ans, avant le Standard. Pourtant, nous ne mélangions en aucun cas le travail et les sentiments.

Sauf une fois, quand même.

Evidemment, évidemment. Alors que nous nous installions en ménage, nos activités professionnelles communes furent rompues. En bossant l’un et l’autre de son côté, notre cohabitation a duré onze ans. Ensuite, vint la décision de nous marier. La noce a eu lieu le 5 mai dernier. Le jour où le Standard a battu La Gantoise. J’y tenais, à cette cérémonie. Un bon mariage représente un formidable support. Nécessaire à l’équilibre psychologique d’un individu.

« Un excellent contact avec mes patrons »

Surtout lorsque l’on sait que vous devez supporter une forte pression. Non seulement de la part de vos employeurs. Egalement en provenance du public. Le moins que l’on puisse dire: vous n’êtes pas populaire.

Je n’ai pas à me plaindre de mes supérieurs. Au contraire. Je bénéficie d’un excellent contact. Parlons des supporters à présent… Pas simple. Je peux faire face grâce à l’expérience acquise dans l’arbitrage. Pendant trente ans, un homme comme Costantin a été critiqué. Attention, je n’ai jamais été indifférent aux critiques, mais je montais sur le terrain sans le moindre a priori. A mes yeux, seul comptait le règlement. Désormais, je fais face parce que je sais que mes collaborateurs et moi-même travaillons pour le club. Je suis bien dans ma peau car depuis mon arrivée, nous avançons. J’estime qu’à 85%, nos sympathisants ont compris mon message. Par contre, il en reste pour clamer leur amour à l’égard du Standard alors qu’en réalité, ils n’aiment que leur petite personne. Ceux qui critiquent sont aussi ceux qui cherchent à se servir du Standard pour obtenir divers avantages. Ainsi, la Fédération des Supporters était un état dans l’état. Je leur demandais quoi? De travailler pour le Standard. Que se passait-il en réalité? Cette association critiquait sans cesse. Revendiquait. Tantôt des entrées gratuites. Tantôt des places de parking. Ici, ce n’est pas l’Armée du Salut! En demandant à Louis Smal de s’occuper de « La famille des Rouches », nous faisons mieux passer le message.

Quasiment depuis le départ de Michel Hody, sous l’ère de Roger Petit, votre club a totalement négligé la communication. Soit elle était orientée par des copinages, soit elle n’existait pas. Il était temps de remédier à cette lacune.

D’accord avec vous. Raison pour laquelle depuis le 1er août, Joseph Simul occupe le rôle d’attaché de presse. Quant à Louis Smal, il effectue un travail formidable vis-à-vis des supporters. Et il y a le délégué Sacha Feytongs aussi. N’étant pas un communicateur, je me félicite de la collaboration des trois personnes que je viens de citer.

« Le couac avec Bodart, c’était pas moi… »

Malheureusement, lorsqu’un dossier vous concerne directement, on assiste encore à des couacs de dimension. Ainsi, il apparaît que vous n’étiez pour rien dans le refus de fêter Gilbert Bodart lors du dernier Beveren-Standard. Et le Kop vous a néanmoins fait porter le chapeau…

Absolument! Enfin, je n’ai rien à dire à Beveren! Ce n’était pas ma faute, tout de même, si les Waeslandiens, en conflit avec leur gardien, ne souhaitaient pas le mettre en évidence.

Pourquoi ne pas rectifier le tir immédiatement? En vous murant dans le mutisme, vous entretenez le malaise.

J’ai réglé le problème en comité restreint. Excluant notamment deux membres de la « famille ». La tribune 3, regroupant le Hell Side et les Ultras, nous suit, nous soutient. A mes yeux, cela signifie beaucoup. J’ai autre chose à faire que me lancer dans des discussions à n’en plus finir. Par contre, je suis fier lorsque j’assiste aux tifos! Les animateurs disposent d’un pot destiné à financer les spectacles. Le marché est simple. Si nous devons payer des amendes suite aux débordements de nos supporters, nous puiserons l’argent dans ce budget. Ainsi, chaque partie se trouve responsabilisée. Et les comptes sont suivis.

Il n’empêche que les fans continuent à vous surnommer Adolf, Alph11 ou le Shérif. Vous réagissez de quelle manière?

Je n’accepte pas Adolf. Pour des raisons évidentes à comprendre. Alph11 me fait franchement rire. Bien trouvé! Quant au Shérif, j’aime assez. Cela véhicule une notion de justice.

« J’étais bien obligé de faire mal »

Vos détracteurs pensent autrement. Au lieu du juste, ils vous dépeignent en tueur. Vous avez fait le grand ménage en arrivant.

Parfois contre mon gré. Je pense notamment à Christian Labarbe. C’était quelqu’un d’important. Que j’ai défendu. Alex Czerniatynski aussi. Là, il s’agissait d’un motif budgétaire. Autrement, j’ai énormément de considération pour lui. Par contre, je me refusais à mélanger quantité et qualité. Avant la restructuration, tout le monde faisait ce qu’il voulait, dans cette maison. Sans cohérence. Sans complémentarité. Une soupe! Dans divers services nécessitant la présence de deux personnes, je dénombrais huit postes! Incroyable, non? Les employés arrivaient quand ça leur plaisait. Le personnel donnait son avis sur tout. Le plus souvent de façon négative. Un écrémage devenait obligatoire. De façon à me rendre compte de « qui était qui », j’ai demandé une check-list à chacun. J’ai remarqué des doublons, des fonctions triplées. Faut rester sérieux! Certains ne méritaient nullement la place qu’ils occupaient au sein de l’entreprise. D’autres devaient être repositionnés. Deuxième cas de figure: les bénévoles. Ah, les bénévoles! J’ai consulté le Larousse. La définition donnée par le dictionnaire ne correspondait nullement au statut des personnes concernées, si vous voyez ce que je veux dire. A la manière du shérif auquel vous faisiez référence, j’ai dégainé mon revolver pour faire feu. De sorte que des accidents d’une extrême gravité ont été évités (sic). Comment, notamment, peut-on être inconscient au point de laisser des individus, empestant l’alcool, véhiculer les jeunes joueurs? Régulièrement pleins comme la Pologne, je vous l’assure! Je pourrais écrire un livre sur ce que j’ai vécu. Les intéressés ont eu le toupet de se lamenter ici et là. Pleurnichant: -Me faire ça à moi, qui suis au Standard depuis 20 ans. Eh bien, le Standard prenait un fameux risque. Si j’avais été à la place des parents, je changeais de club car il y allait de l’intégrité physique, de la vie des gosses. Ces véritables dangers publics se doublaient d’une troupe, impensable, d’inutiles. Inutiles quoique protégés parce que nous avions affaire au cousin du frère de la belle-mère de X ou Y. Et alors? Peu m’importe! Je préviens une fois, deux fois, trois fois. Passée cette limite de tolérance, j’appelle qui de droit dans mon bureau pour l’avertir que je vais demander son départ au Conseil d’Administration.

On ne me marche pas sur les pieds! Même les interventions politiques m’indiffèrent. Au cas où je devrais subir des influences non en concordance avec mes convictions, je ferme mon agenda, je rentre à Braine-le-Château et j’aide ma femme à planter ses fleurs! Elle adore son jardin et y travaille beaucoup.

« Preud’homme ne doit pas être négatif »

Et au plan sportif, quelle est votre implication?

Nous avons la chance de nous appuyer sur une personne extrêmement puissante en Europe au niveau des transferts. J’ai de fréquents rapports avec cette personne – NDLA: Alphonse Costantin ne citera pas le nom de Lucien D’Onofrio… Nous déterminons ensemble la politique. Pour le reste, il appartient à l’entraîneur de présenter la meilleure formation possible. A cet égard, je viens d’avoir une discussion avec le groupe. Je ne suis pas content. Le noyau possède suffisamment de qualités pour jouer le titre. Or, nous accusons un retard de six points par rapport à la saison dernière. J’apprends que des joueurs sont démotivés. Je veux savoir pourquoi! L’entraîneur a les coudées franches. Logique qu’il rende des comptes. Et je me refuse à paniquer et à acheter n’importe quoi pour me retrouver avec 35 pros sous contrat…

J’attends de Michel Preud’homme qu’il trouve des solutions. Me parler de la chance, des blessés, de la partialité des arbitres, non! Ce n’est pas en ayant des réactions négatives que l’on met les hommes en noir de son côté. Ils sont honnêtes, mais essuyer sans cesse des critiques, voir un coach se lever, gesticuler, shooter dans le sac du soigneur, ça agace. Indispose. Après, faut pas se plaindre!

Daniel Renard

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