LA PASSE DE 5

Vendredi, la France a découvert ses limites face à l’Allemagne, qui a disputé hier sa cinquième demi-finale consécutive dans un grand tournoi. Sans jamais gagner. Pourquoi ?

« Nous, favoris ?  » Les Français n’y comprenaient rien : voilà qu’on leur avait octroyé le statut de favori en quarts de finale. Parce que l’Allemagne avait peiné à se défaire de l’Algérie ? Ils ont jeté un coup d’oeil au noyau et au palmarès de leur adversaire. Depuis que les Pays-Bas et la Tchéquie ont mis un terme aux ambitions de l’Allemagne au premier tour de l’EURO 2004, la Mannschaft a toujours au moins atteint les demi-finales.

Mondial 2006 : défaite 1-0 en demi-finale contre l’Italie. EURO 2008 : revers 1-0 face à l’Espagne en finale. Mondial 2010 : défaite en demi-finale contre l’Espagne (1-0). EURO 2012 : défaite en demi-finale contre l’Italie (2-1). Elle a l’expérience des grands rendez-vous car elle a également été finaliste du Mondial 2002. Dans le camp du vainqueur, un certain Felipe Scolari, l’actuel sélectionneur du Brésil.

Voilà pour les statistiques. La formation de Joachim Löw, adjoint en 2006, a subi de profonds remaniements, même si la base n’a guère changé depuis 2010 : Podolski, Neuer, Khedira, Schweinsteiger, Ozil, Klose, Müller, Lahm, Mertesacker, Kroos, Boateng ont disputé le Mondial précédent. Le Bayern, le principal fournisseur de l’équipe, a disputé trois finales de Ligue des Champions en cinq ans. Il y a deux ans, son adversaire était le Borussia Dortmund, l’autre gros fournisseur. Alors, la France favorite ?

La force ne suffit pas

La France s’est présentée ici comme en championnat : dure, très physique. Jusqu’au match contre l’Allemagne, elle n’avait encaissé que deux buts, des oeuvres des Suisses alors qu’elle avait une avance de cinq buts. Comme lorsqu’elle s’est qualifiée pour la finale d’une Coupe du Monde : en 1998, elle n’a concédé que deux buts, en 2006 trois.

Sa jeune phalange donnait de l’espoir. Griezmann, Pogba, Varane, Sakho. Moins chevronnée que les Allemands mais aussi forte physiquement. Cela conférait un tel espoir qu’elle ne s’est plus souciée de l’absence de Franck Ribéry. La France avait perdu son étoile mais avait gagné en solidarité.

Pas vraiment. L’Allemagne a appliqué une défense basse et jamais les Français n’en ont trouvé la clef. Neuer a bien été sollicité quelques fois mais ses poings ont suffi. La dernière passe de Valbuena et Cie a manqué de finesse. Combien de ballons n’ont-ils pas perdus ? La France sera certainement plus loin dans deux ans mais elle aura toujours besoin du génie créatif de Ribéry. La force et la condition ne suffisent pas à ce niveau.

Des permutations nécessaires

Notre magazine ayant été bouclé lundi, nous ignorons le résultat du match Allemagne-Brésil mais la joute a certainement été passionnante. Jusqu’à présent, l’Allemagne n’avait jeté tous ses feux que contre le Portugal. Supériorité numérique après l’exclusion de Pepe, quelques blessures chez l’adversaire, un premier but rapide, un penalty, tout s’y était mis. La suite fut plus pénible : 2-2 contre le Ghana, 1-0 contre les USA, 2-1 aux prolongations contre l’Algérie, 1-0 contre la France.

Joachim Löw et ses hommes ont été critiqués au pays. L’euphorie qui avait suivi la victoire contre le Portugal s’était muée en scepticisme : l’Allemagne construisait trop peu de l’arrière.  » Pourquoi aligner quatre défenseurs centraux ?  » Au centre de la polémique, la position de Philipp Lahm, arrière latéral dans le passé. Löw avait déclaré au Zeit, avant le tournoi :  » Lahm est mon médian et je ne reviendrai sur ma décision qu’en cas de réelle nécessité.  » Il l’a fait contre la France, officiellement parce qu’il y avait des espaces sur le flanc et que Lahm les exploiterait mieux. Il a également fait comprendre que l’entrejeu français était très puissant. Dans pareil cas de figure, mieux vaut poster Bastian Schweinsteiger au coeur du jeu.

En proie aux critiques

Per Mertesacker, qui s’en était pris au journaliste de la ZDF après l’Algérie, a fait les frais de l’opération. Il avait répondu ne pas comprendre le pourquoi de toutes ces questions. L’Allemagne préférait-elle une équipe de carnaval, voulait-elle que son équipe développe un beau football mais soit éliminée ? L’Allemagne n’a pas été la seule en proie aux critiques. Après le match contre le Chili, Felipe Scolari a parlé une heure à la presse pour tempérer ses reproches. Au premier tour, Marc Wilmots avait aussi réagi. Pour les entraîneurs, seule compte la victoire.

Mesut Özil, si frais dans d’autres tournois, est conspué. Ici, il joue sur les flancs, à gauche ou à droite, mais il manque de présence. Löw persiste à maintenir sa confiance au médian d’Arsenal,  » parce qu’il est capable d’une action.  »

Or, si l’Allemagne est abonnée aux demi-finales, elle n’a plus gagné de tournoi depuis l’EURO 1996 et le Mondial 1990. Vendredi, un journaliste a demandé à Löw ce qu’il comptait faire pour réussir, cette fois. On aurait pu l’entendre réfléchir : nous sommes toujours parmi les quatre meilleurs, nous avons gagné 28 de nos 31 derniers matches en tournoi, comment être enfin reconnus ?

Pas assez de génie

L’Allemagne possède de très bons joueurs mais aucun d’exception, hormis l’imprévisible Thomas Müller. Au Bayern, il évolue sur l’aile, au service de Robben ou de Ribéry. Il sert. En Mannschaft, il doit être déterminant.

Löw a bien agi contre le Portugal, avec beaucoup de mouvements, de surprises et un Khedira excellent dans ses infiltrations. L’effet a disparu au fil du tournoi, avec le retour de Schweinsteiger. L’Allemagne a joué tous ses matches sous la canicule et s’y est souvent entraînée. Elle a perdu une partie de sa fraîcheur et elle laisse apparaître son point faible : le génie individuel. Celui qu’avait Balotelli en 2012 ou Torres en 2008, voire toute l’armada ibérique en Afrique du Sud.

L’Allemagne a du génie, comme en témoigne le but de Schürrle contre l’Algérie, mais il s’exprime trop rarement. C’était déjà le cas avec la génération Ballack. Contre la France et certainement hier contre le Brésil, c’était travailler, organiser, concéder peu d’occasions tout en essayant de s’en forger en comptant sur un avant qui a l’âge de la pension. Ou sur une phase arrêtée, via Hummels. C’est sans doute trop maigre pour décrocher la timbale.

PAR PETER T’KINT À SALVADOR ET À SAO PAULO

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