LA PAROLE À LA DÉFENSE

Organisation défensive rigoureuse, minimisation du risque avec le ballon et différence offensive par les individualités. Voilà pour les symptômes. Le diagnostic semble implacable : nos entraîneurs seraient frileux. Visite médicale du coach belge.

« Depuis le début de la saison, je constate qu’il y a quand même beaucoup d’équipes qui proposent un jeu assez défensif.  » Les mots d’HeinVanhaezebrouck à LaDernièreHeure sont teintés de l’amertume de celui qui prêche seul dans le désert. L’évangile selon Hein, où les versets parlent de possession de balle, de football dominant et de travail des automatismes offensifs, tient plus de la secte occulte que de la religion d’État dans un pays où le football s’envisage avant tout à réaction.

Si la tactique du football  » à la belge  » devait être résumée par les idées d’un entraîneur, il faudrait regarder du côté d’Ostende. Homme fort du début de saison, YvesVanderhaeghe séduit avec un football à base de rigueur en perte de balle et de liberté d’expression balle au pied.  » Je trouve que la tactique est surtout importante sur le plan défensif « ,confiait récemment le coach à succès des Côtiers.  » Les joueurs offensifs qui possèdent de grandes qualités individuelles reçoivent un certain nombre d’options et sont libres de les utiliser comme bon leur semble.  »

Pendant qu’Ostende empile les buts à coups de reconversions offensives supersoniques, le 4-3-3 dominant de SlavoMuslin a été sacrifié sur l’autel d’un Sclessin qui ne jure que par le 4-4-2 et les longues courses. Seul AdrienTrebel, biberonné au fameux  » jeu à la nantaise « , semblait comprendre que la clé n’était pas un changement de système, mais un jeu de possession plus haut sur le terrain.

Mais en Belgique, la possession de balle est rarement une posture consciente. La saison dernière, seuls les Buffalos ont bouclé la phase classique au-delà des 55 % de possession moyenne (58,2 %). Souvent, le ballon est gardé par défaut, entre les pieds de l’équipe qui souhaite le moins rapidement s’en débarrasser. Même Anderlecht n’échappe pas à la règle.

Les seuls exploits des Mauves de BesnikHasi n’ont-ils pas été réalisés en Ligue des Champions et en reconversion ? YouriTielemans nous déclarait d’ailleurs récemment que  » chez les jeunes à Anderlecht, un milieu doit pouvoir apporter du danger, que ce soit un 6, un 8 ou un 10. Chez les pros, j’ai dû quelque peu freiner mon jeu « .

FRILOSITÉ TACTIQUE

L’ambitieuse formation belge serait donc entravée par des coaches de Pro League allergiques à l’audace et réticents à l’idée de mettre le pied sur le ballon et la main sur la rencontre. Avant les derniers play-offs, PeterMaes doutait d’ailleurs d’une équipe gantoise qu’il jugeait visiblement trop téméraire pour jouer le titre :  » Il faut voir s’ils pourront jouer de manière aussi dominante en play-offs 1. Je pense qu’ils vont devoir se donner un peu plus de protection.  » Comme si dominer ne rimait jamais avec gagner.

L’épidémie de frilosité tactique s’étend jusqu’au banc de touche de l’équipe nationale. Depuis trois ans, on parle d’une Belgique conquérante emmenée par des joueurs et un sélectionneur partisans d’un football dominant. Pourtant, les équipes et les déclarations de MarcWilmots hurlent souvent le contraire. Pratique-t-on un football d’audace avec quatre défenseurs centraux ?

Le sélectionneur n’a-t-il pas rapidement fait machine arrière après avoir tenté une approche plus ambitieuse après la Coupe du Monde ? Et comment comprendre cette phrase lâchée en interview après le couac gallois :  » Contre la France et au pays de Galles, on a joué trop haut  » ?

Si l’Espagne est le pays du toque, si les Pays-Bas cultivent leur 4-3-3, la Belgique est la patrie des actiespelers. Des joueurs offensifs avec assez de talent et de vitesse balle au pied pour malmener l’organisation adverse sans se découvrir démesurément, histoire de ne pas laisser trop de libertés aux joueurs d’action du camp d’en face.

Une tendance qui touche également l’équipe nationale, comme l’avouait Marc Wilmots à Het Laatste Nieuws après la Coupe du Monde :  » Face au bloc bas de l’Algérie, les joueurs devaient trouver des solutions avec leurs qualités individuelles.  » Yves Vanderhaeghe acquiescera sans doute sans broncher.

Allez, par contre, expliquer ça à un Hein Vanhaezebrouck qui passe des séances entières à travailler les automatismes offensifs de ses Buffalos. Dans le football des champions de Belgique, l’étincelle individuelle doit seulement venir couronner une préparation collective, pas surgir du néant.

LA DICTATURE DU RÉSULTAT

Il serait cependant malhonnête d’affirmer que cette approche frileuse est l’apanage de notre Pro League. La réalité d’un football qui se nourrit surtout de points et de victoires sans la manière dépasse largement nos frontières. Dans Onze Mondial, ClaudePuel dépeint cette réalité qui frappe aussi de plein fouet la Ligue 1 de nos voisins français :

 » Je pense que les entraîneurs sont aussi un peu frileux parce qu’on va leur demander des comptes, alors ils sont dans une recherche d’efficacité. Il est plus facile de faire une équipe avec une bonne organisation défensive qui va jouer le contre que de chercher à jouer haut.  »

 » C’est vrai qu’il y a souvent cette menace du résultat immédiat qui pèse sur les coaches « ,souligne KrisVanderHaegen, directeur de l’École fédérale des entraîneurs de l’Union belge.  » En Pro League, la plupart des entraîneurs ne travaillent pas pour développer des joueurs, mais pour obtenir des résultats.  »

Dans une compétition nationale qui semble plus serrée que jamais, où beaucoup de coaches viennent de s’installer aux rênes de leur nouveau club, la politique du résultat à tout prix semble en effet de rigueur. Un mauvais calcul, selon le directeur de l’EFE :  » Si on regarde ce qui se passe au plus haut niveau, on constate qu’une bonne organisation défensive fait parfois gagner des matches, mais que la possession fait gagner des titres.  »

Et si dominer était gagner… à long terme ? C’est en tout cas la philosophie inculquée aux nouveaux coaches belges, qui griffonnent leurs premiers schémas sur les bancs de l’École fédérale des entraîneurs :  » Notre philosophie de football, c’est d’avoir 100 % de possession de balle. On sait que c’est irréaliste évidemment, mais c’est un absolu : on veut toujours avoir le ballon.  »

Une approche ambitieuse qu’il est parfois difficile d’inculquer à d’anciens professionnels devenus entraîneurs, surtout marqués par une carrière de joueur essentiellement accomplie à l’intérieur des frontières belges.  » La Belgique a longtemps eu une quinzaine de coaches qui tournaient entre tous les clubs. C’étaient toujours les mêmes, et ils baignaient dans cette culture footballistique belgo-belge « ,analyse JeanMichelDeWaele, sociologue du sport à l’ULB.

INTERNATIONALISATION ET BELGITUDE

 » C’est vrai qu’il faut changer leur mentalité, ce qui rend les choses plus difficiles « , poursuit Kris Van der Haegen.  » Ils doivent être ouverts au changement, et ne pas seulement penser à préparer le match du week-end suivant, mais aussi à lancer un projet sur le long terme pour développer une vision autour des joueurs et du club.

Si je prends l’exemple de Stijn Vreven à Waasland-Beveren, il a dit dès son arrivée qu’il lançait un projet et il reste fidèle à sa philosophie de jeu. Oui, il perdra encore des matches comme ça a été le cas contre Ostende, mais il restera en accord avec sa ligne de conduite.  »

Les  » nouveaux entraîneurs « , purs produits de la formation de l’Union belge, seraient donc moins réticents à l’heure de prendre le jeu en mains. Certes, FeliceMazzù et YannickFerrera ont déjà marqué la Pro League en construisant des équipes à leur image et en mettant en place une philosophie de jeu et de travail partout où ils sont passés, mais leur maîtrise des événements se fait avant tout sans le ballon.

 » La culture belge est moins prégnante chez ces nouveaux entraîneurs, au vu de l’internationalisation du football « ,juge Jean-Michel De Waele.  » La Ligue des Champions est entièrement visible à la télévision, et cela donne de nouveaux modèles à ces jeunes coaches belges.  » Yannick Ferrera ne cache effectivement pas sa fascination pour le travail réalisé par DiegoSimeone à l’Atlético. Un Cholo dont la philosophie n’est pas franchement reconnue pour son audace offensive.

Notre consultant AlexTeklak décrit d’ailleurs le nouveau mentor des Rouches comme  » un coach rationnel, analytique et pragmatique  » qui avait bâti son STVV autour de la vitesse des reconversions après une perte de balle adverse, souvent occasionnée par un pressing ambitieux.

Quant à Felice Mazzù, il a qualifié Charleroi pour les play-offs 1 la saison dernière avec une possession de balle moyenne de 45,6 %, ce qui classait les Zèbres à l’avant-dernière place de ce classement particulier, juste devant le Cercle. Même avec leur TV branchée sur la piste aux étoiles européennes et un biberonnage à la possession, les purs produits de l’École fédérale des entraîneurs resteraient donc empreints de belgitude ?

LA BELGIQUE DE L’ACTIESPELER

Il existe une théorie selon laquelle les footballs nationaux seraient conditionnés. Géographiquement ou historiquement. Le kick and rush serait, par exemple, une tactique née sous les mythiques pluies diluviennes d’outre-Manche pour éviter au maximum les contacts du ballon avec un terrain boueux à la limite de l’impraticable.

Quant au catenaccio à l’italienne, il serait un héritage millénaire des tactiques de l’armée romaine, toujours prompte à se replier avant de surprendre l’adversaire pour remporter ses plus belles victoires.

 » Il est vrai qu’à une époque, chaque pays a produit par tradition une certaine sorte d’entraîneurs « , affirme Jean-Michel De Waele.  » Et si on doit appliquer cette théorie à notre pays, on peut en tout cas dire que le Belge n’a jamais été un grand révolutionnaire dans l’âme. La comparaison avec nos voisins hollandais, offensifs, aventureux et très sûrs d’eux, est assez frappante à ce niveau. En Belgique, le tempérament historique de notre football a toujours été plutôt défensif. Un football qui profite avant tout des erreurs de l’adversaire.  »

L’éclosion de la fameuse  » génération dorée  » ne semble finalement pas y avoir changé grand-chose. Marquée par son passé glorieux bâti avec des tacles et du courage, la Belgique voit dans les récentes performances décevantes des Diables rouges un manque de niaque plutôt qu’un manque d’idées. Un excès d’ambition dans un projet de jeu pourtant loin d’être ambitieux.

 » On peut effectivement remarquer que les Diables rouges ont du mal à prendre le jeu en mains « ,poursuit Jean-Michel De Waele.  » Mais en Belgique, on entre en situation de crise dès qu’on nous dit qu’on est les meilleurs. C’est quelque chose qui nous terrorise.  »

Emmenée par le talent gigantesque d’EdenHazard, la Belgique n’a donc foncièrement pas changé. La seule différence se situerait dans le niveau moyen de ses actiespelers. Effectivement, quand BartGoor et ThomasBuffel laissent leur place à Eden Hazard et KevinDeBruyne pour ouvrir des brèches, ça aide à retrouver sa place en Coupe du Monde. Mais la nature belge reste toutefois un frein.

Car comme l’affirme Kris Van der Haegen,  » il n’est pas évident de toujours se baser sur le talent, car l’individu se trouvera un jour devant une situation où il ne parvient pas à trouver la solution « .

L’EXCEPTION GANTOISE

Ce jour-là, les Diables l’ont connu en quarts de finale de Coupe du Monde. Et les grands clubs belges l’ont déjà rencontré à maintes reprises.  » Regardez Anderlecht contre Ostende « ,poursuit le directeur de l’EFE.  » Ils ont commencé le match avec de l’audace mais sans automatismes offensifs, et la somme de leurs talents individuels n’a pas suffi pour trouver l’ouverture.  »

La Belgique et ses Diables sont-ils prisonniers de cette encombrante étiquette collée sur le front de leur football ? Hein Vanhaezebrouck, à force de patience, de possession de balle et de résultats, tente à tout prix de prouver le contraire. Ses Buffalos représentent à merveille la Belgique sous les yeux de l’Europe, sans en donner une image réaliste. Car ilsrestent une exception dans un football avant tout organisé autour d’une prudence maladive.

Un Picasso au milieu de tableaux sans âme ne suffit pas pour ouvrir une grande galerie d’art. Sauf si les autres peintres jettent un coup d’oeil intéressé par-dessus l’épaule de Pablo avant de commencer une nouvelle toile.  » Parfois, je repense au premier match du Gand de Vanhaezebrouck « ,se souvient Van der Haegen.

 » C’était contre le Cercle. Ce n’était même pas mauvais, c’était archi-mauvais. Mais on l’a laissé travailler et petit à petit, les joueurs ont compris la philosophie du coach et l’ont appliquée. Et Gand est devenu champion.  » Champion avec le ballon. Et si dominer rimait vraiment avec gagner ?

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

La saison passée, seul Gand a bouclé la phase classique avec une possession de balle supérieure à 55 %.

Si l’Espagne est le pays du toque et si les Pays-Bas cultivent le 4-3-3, la Belgique est la patrie des actiespelers, les joueurs d’action.

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