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LA PANTHÈRE JAUNE

Le Joueur africain de l’Année est le produit de multiples influences. Il est né en France, a entamé sa carrière en Italie, représente le Gabon, joue actuellement en Allemagne et, qui sait, émigrera peut-être en Espagne l’été prochain.

Quiconque a un coeur pour l’AC Milan efface une larme en entendant parler des prestations récentes de Pierre-Emerick Aubameyang, le buteur de Dortmund, Joueur africain de l’Année en titre, dont le coût est estimé à 50 millions d’euros.

Avant qu’il ne devienne un des joueurs les plus convoités du monde, au point d’intéresser le Real et Manchester City, d’après les rumeurs, PEA, comme on le surnomme, était un apprenti chez les rossoneri. Il n’y a jamais franchi le stade des équipes d’âge et a finalement été loué à une volée de clubs français : Dijon, Lille, Monaco et Saint-Étienne. Il ne s’y est pas davantage imposé et a sombré dans l’oubli.

La vedette, née en France, est un de ces joueurs dont Milan n’a pu détecter le talent. Cela suscite des regrets au sein d’un club qui a trop longtemps négligé la formation des jeunes pour chercher, souvent en vain, des gloires déjà passées.

 » Depuis, il a pris sa revanche « , a raconté son meilleur ami, Gianmarco Campironi, l’ancien gardien des U19 de Milan, en 2014, dans une interview à Planeta Milan.  » De nos jours, un footballeur comme lui rejoindrait les professionnels de Milan. Bien que les difficultés économiques du club aient joué un rôle, les jeunes y reçoivent plus facilement une chance. A l’époque, Milan n’avait pas précisément une politique de continuité et s’est débarrassé de jeunes comme lui.  »

Aubameyang a joué dans la même équipe d’âge que le futur international Matteo Darmian (Manchester United) et l’actuel avant de l’Atalanta, Alberto Paloschi. Il n’est resté que 18 mois chez les rossoneri mais il a impressionné ses coéquipiers. Wilfred Osuji, le médian nigérian, était convaincu qu’on verrait partout le nom de PEA en capitales, tandis que l’attaquant Emanuele Orlandi se souvient de ses qualités de vitesse.

 » Il faisait tout à très vive allure « , a raconté Orlandi au magazine français So Foot.  » S’il se trouvait face à son stopper, il le passait par sa vitesse. On voyait qu’il avait un avenir mais je n’aurais quand même pas osé imaginer qu’il se produirait pour le Borussia Dortmund.  »

Le chef-d’oeuvre de sa période milanaise est sans conteste la Champions Youth Cup 2007 en Malaisie. Il y a inscrit les sept buts de Milan, contre Flamengo, l’Ajax, Arsenal, le Bayern et la Juventus. Il a conduit son équipe en demi-finale à lui seul, quasiment, et a été sacré meilleur buteur du tournoi. Mais Aubameyang n’allait pas faire mieux pour Milan que pendant ce tournoi en Asie du Sud-Est.

LES TROIS FRÈRES

Comparé aux grands noms qu’alignait alors Milan en attaque (Ronaldinho, Pato, Inzaghi, Shevchenko), le jeune avant ne représentait rien. Après une série de locations, il a fini par signer son transfert à Saint-Étienne en 2011. Son entraîneur d’alors, Filippo Galli, un excellent défenseur central du grand Milan des années 80 et 90, regrette que le jeune homme n’ait jamais eu l’occasion de montrer l’étendue de son talent à San Siro.

 » Ce n’est pas moi qui ai décidé de le laisser partir. Pierre était un joueur utile, un attaquant doté d’un grand potentiel, qui écoutait, était soucieux d’apprendre et s’intégrait très bien. J’ai été son premier coach et j’ai conservé un lien fort avec lui.  »

PEA a longtemps eu le sentiment que Milan ne l’avait pas traité correctement. Il l’a expliqué en long et en large à La Gazzetta dello Sport en 2012, quand le journal avait été interpellé par ses prestations à Saint-Étienne.  » On ne croyait pas en moi « , s’était-il écrié.  » J’ai donc voulu prouver que les dirigeants avaient commis une erreur.  »

Il a maintenant 27 ans et est au sommet de son art. Ses sentiments à l’égard de son rejet par Milan se sont apaisés.  » En France, beaucoup de gens disent que Milan ne m’a pas accordé ma chance « , a-t-il dit à So Foot.  » La vérité, c’est que le club avait tellement de bons footballeurs qu’il n’avait pas de place pour moi. Où m’aurait-il aligné ?  »

Pierre-Emerick est le troisième enfant de la famille Aubameyang à avoir atterri à Milan. Son père Pierre Aubame, ex-international gabonais résidant en France, travaillait pour le club comme scout. On dit qu’il a obtenu le job durant un entretien avec l’administrateur Ariedo Braida, à l’aéroport de Venise.

Les frères aînés de Pierre-Emerick, Catilina et Willy, ont réussi à passer des équipes d’âge à l’équipe A, pour peu de temps. Catilina, un médian, a disputé quelques matches au début du siècle tandis que Willy, un attaquant, a couru les clubs, comme Eupen notamment en 2009-10, mais sans jamais s’installer dans la durée.

Si le frère cadet est devenu une machine à buts de classe mondiale, c’est aussi grâce au paternel, qui a endossé le rôle de manager de son fils. PEA l’appelle souvent le guide. Pierre suit son fils et ses pérégrinations. Son propre père lui avait toujours déconseillé de se lancer dans une carrière footballistique et il était enthousiasmé à l’idée que ses fils marchent sur ses traces. Il n’a jamais lâché PEA, ne cessant de le conseiller, de l’encourager et… de le faire profiter de ses contacts.

UN PÈRE PROPHÈTE

 » Mon père a fait de son mieux à chaque pas de ma carrière « , a raconté PEA cette année à L’Équipe.  » En 2012, alors que j’avais marqué beaucoup de buts pour Saint-Étienne, j’ai reçu une offre du Qatar, à dix millions d’euros par an. Si je l’avais acceptée, ma famille aurait été à l’abri du besoin pour toujours mais nous avons décidé que je resterais à Saint-Étienne, où je gagnais 70.000 euros par mois.

L’année suivante, les Verts ont voulu me vendre à Newcastle avant de préférer l’offre, inférieure, de Dortmund, parce que mon père avait étudié le style de jeu de Jürgen Klopp. C’est pour ça que je considère mon père comme mon prophète.  »

Aubameyang senior a encore joué un rôle crucial dans le choix de son fils pour une équipe nationale. PEA est né et a grandi à Laval, dans l’ouest de l’Hexagone, où son père était actif jadis. Il a disputé un match amical avec les U21 français en février 2009 mais, un mois plus tard, il a décidé de représenter le Gabon. Il a motivé sa décision par le fait que son père comptait 80 sélections pour les Panthères et qu’il voulait devenir un grand du Gabon, une version gabonaise du Camerounais Samuel Eto’o, un ami de la famille Aubameyang, ou de l’Ivoirien Didier Drogba.

PEA rappelle fréquemment son ascendance espagnole : il aurait également pu se produire pour La Roja. Sa mère Margarita est originaire d’Avila, en Castille. Son père José Crespos, décédé, était un fervent supporter du Real. Qu’il s’agisse du côté paternel ou maternel, la famille compte beaucoup aux yeux d’Aubameyang. C’est sur le sage conseil de son père qu’il a quitté Milan pour revenir en France. Il s’est épanoui à Dijon mais a eu plus de difficultés à Lille et à Monaco. La presse l’a souvent dépeint comme un footballeur qui s’appuyait sur sa vitesse mais manquait de sens du ballon et d’efficacité.

Pendant son court séjour à Monaco, il a paru progresser mais l’entraîneur Guy Lacombe a été remplacé par Laurent Banide et PEA a été écarté. Lacombe raconte que certains membres de son staff avaient tenté de le dissuader d’aligner Aubameyang quand il était encore entraîneur principal des Monégasques.  » Il était rapide, effectuait des rushes énormes. Techniquement, il n’était pas un Maradona mais je sentais qu’il avait quelque chose. Las, il n’avait encore que 21 ans et le club ne lui a pas gréé de temps. Quelqu’un ne l’aimait tout simplement pas au sein du club.  »

LE MOÏSE DE SAINT-ÉTIENNE

Début 2011, il est à nouveau loué, cette fois à l’AS Saint-Etienne. Ses six premiers mois n’ont rien d’exceptionnel mais au début de la saison 2011-2012, il émerge. Les Verts lui offrent un contrat et il commence à marquer à la chaîne : 16 buts cette saison-là, 19 la suivante. Il contribue aussi au succès du club en Coupe de France, en 2013.

 » Il peut marcher sur l’eau « , jubile Christophe Galtier, le coach de Saint-Étienne.  » Il est comme Moïse : il ouvre les mers.  » Plusieurs facteurs ont contribué à son éclosion spectaculaire à l’ASSE : d’abord, Galtier a décidé de l’exploiter sur l’aile droite. Ensuite, il est pour la première fois la propriété réelle d’un club, ce qui le booste. Et enfin, il adore l’ambiance du Stade Geoffroy-Guichard.

Mais PEA avance aussi une autre explication :  » Je suis devenu père d’un petit garçon. Sa naissance a changé ma vie « , explique-t-il au Progrès, un quotidien lyonnais.  » Je pense à lui et à son avenir. Je veux qu’il ne manque de rien et qu’il soit fier de moi.  »

Il a l’image d’un showman, d’un footballeur flamboyant qui fête ses buts de manière expansive, allant jusqu’à sortir un masque de Spiderman à Dortmund, en 2014. Son amour du bling bling, des bolides et des coiffures avant-gardistes renforcent cette impression mais quand on va au-delà des apparences, on découvre un garçon plutôt simple.

Plutôt que de passer ses vacances dans un resort all-in à l’autre bout du monde, il préfère retourner à Laval se détendre en famille ou avec ses amis. Quand il en a l’occasion, il assure la promotion d’oeuvres caritatives ou de projets sportifs.  » J’en éprouve le besoin « , a-t-il confié au journal Ouest France.

 » Je retourne quatre fois par an à Laval et je trouve ça fantastique chaque fois. Je m’y sens chez moi, loin de Dortmund. Avant, je prenais mes vacances ailleurs mais ça ne me plaisait pas alors que quand je quitte Laval, je me sens bien, mentalement et physiquement. Je reviens toujours à Dortmund plein d’énergie.  »

Laval est une ville de 50.000 habitants en Mayenne. C’est là que tout a commencé pour Aubameyang. A cinq ans, il tapait dans ses premiers ballons au club L’Huisserie, dans la banlieue sud de la cité. Il a ensuite rejoint la division scolaires du Stade Lavallois, le club pour lequel son père a sans doute développé le meilleur football de sa carrière.

On a donc reproché à Pierre-Emerick d’être privilégié, en sa qualité de  » fils de « , on lui a dit qu’il ne deviendrait jamais pro sans l’aide de son père, qui lui ouvrait des portes. Ce n’est qu’une petite partie de l’histoire.

ANDERSON ET GOVOU COMME MODÈLES

PEA avait la conviction intime que le football était sa vocation tout en étant conscient que le talent à lui seul ne suffisait pas et qu’il fallait travailler dur. Il a quitté l’école très tôt, à quinze ans. Il était si résolu à relever ses futurs défis que pendant six mois, il s’est imposé un lourd programme quotidien de course, de sprints et de tirs au but, un exercice durant lequel il tentait de copier les techniques des avants lyonnais Sonny Anderson et Sidney Govou.

Ses amis se demandaient s’il ne perdait pas son temps mais il n’en avait cure. Il a été vite récompensé de ses efforts : il a été admis à l’école de jeunes du Havre puis à celles de Bastia et de Milan. Ce sens du travail reste sa marque de fabrique. Il suffit de se remémorer sa réaction quand Jürgen Klopp l’a mis sur le banc à la fin de sa première saison à Dortmund.

Le coach lui avait dit qu’il devait apporter davantage que sa vitesse et qu’il ne travaillait pas assez en défense. PEA aurait pu se révolter ou râler mais non : il a fait des heures supplémentaires. Au début de la saison suivante, quand il est réapparu dans le onze de base, il maîtrisait mieux le système de Klopp.

Il s’est concentré sur les besoins de l’équipe, a acquis plus de sang-froid devant le but tout en étant plus flexible. Sa technique s’est également affinée. Cette saison-là, il a inscrit la plupart de ses 16 buts en Bundesliga après avoir délaissé le flanc pour l’axe.

 » Ce changement de position a constitué un tournant « , a déclaré Aubameyang cette année dans un entretien avec l’ancien international français Luis Fernandez dans un programme de Radio Monte Carlo.  » En fait, c’est ma position préférée. De là, ma finition est plus précise. A cette place, je peux constamment rester dans la zone dangereuse.  »

Quelques années après le départ du buteur polonais Robert Lewandowski au Bayern, le Borussia a enfin comblé ce vide. En plus, la saison passée, l’avant gabonais a été encore plus percutant sous les ordres de son nouveau patron, Thomas Tuchel. Toutes compétitions confondues, il a marqué 39 buts.

Aubameyang ne tarit pas d’éloges sur Klopp et Tuchel, qui ont retiré le meilleur de lui-même mais il doit aussi son éclosion au football allemand. Par sa dynamique, sa fraîcheur et son jeu offensif, la Bundesliga est taillée à sa mesure. Il sera intéressant de voir comment il se tirera d’affaire, dans un avenir proche, en Espagne ou en Angleterre, quand il devra ajouter une nouvelle influence à son melting pot.

PAR NICK BIDWELL – PHOTOS BELGAIMAGE

Amateur de bolides et de coiffures avant-gardistes, c’est aussi un gars simple qui aime se ressourcer à Laval.

Il veut être pour le Gabon ce qu’Eto’o et Drogba sont pour le Cameroun et la Côte d’Ivoire.

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