LA PALME D’OR SANS SCÉNARIO

Mateo Kovacic est un acteur qui n’a pas appris son rôle, mais qui impressionne trop les caméras pour rester hors-champ. Un génie en construction suffisant pour séduire Madrid ?

Trop loin du but pour être décisif, trop près du sien pour ne pas être pointé du doigt en cas de maladresse, Mateo dribble en finesse. Ses crochets semblent naître dans l’ouate, tant les adversaires sont exécutés sans la moindre douleur. Mateo Kovacic est ce qu’on appelle un  » beau joueur « . Trop beau pour ne pas porter les maillots les plus prestigieux de la planète. Le problème, c’est qu’il ne sait toujours pas vraiment à quoi il joue.

Quand il débarque à l’Inter contre onze millions d’euros en plein hiver, Kovacic n’a que dix-huit ans. Un diamant brut que le Dinamo Zagreb a laissé briller sans trop oser le polir. Titulaire et buteur à seize ans malgré une fracture de la jambe quelques mois plus tôt, puis capitaine à dix-sept.

Mateo conduit le ballon comme un mannequin qui défile sur un podium, et ne peut donc se retrouver que dans la capitale de la mode. Massimo Moratti tombe amoureux pour la dernière fois de sa présidence, et dépose les millions sur la table en janvier pour griller le Real, qui avait une option pour emmener le Croate au Bernabeu l’été suivant.

L’HOMME SANS POSTE

C’est le début de deux saisons et demie de coups de génie sur courant alternatif et de quête du poste parfait, comme un Graal que le Meazza ne trouvera jamais. Kova enfile sans pression le numéro 10 de Sneijder, et est installé devant la défense par Andrea Stramaccioni. Largué sur la scène nationale, l’Inter finira neuvième avec la décence de laisser grandir son diamant croate.

Amoureux éperdu du joueur, Strama ne peut que le mettre sur le terrain.  » C’est un milieu intérieur extraordinaire dans un milieu à trois « , affirme aujourd’hui le jeune coach italien.  » Il a le don rarissime d’effacer un homme en un-contre-un pour créer une supériorité numérique « . Loin du but, Mateo tire peu (0,5 tir par match) mais élimine beaucoup (4,4 dribbles) et casse les lignes adverses à la manière de Luka Modric, son aîné et idole.

Quitte à s’attirer les foudres de certains tifosi quand il en fait trop.  » Parfois, il m’arrive de me rater parce que je pense à me divertir sur le terrain avant de penser au résultat « ,s’excuse presque le Croate. Pardonné, parce que Il Capitano Zanetti a rendu une sentence sans appel :  » Je n’ai pas vu de talent plus prometteur depuis Ronaldo « .

UN HAMSIK SUR LE BANC

Quand Walter Mazzarri débarque avec son 3-5-2 et ses idées musclées au coeur du jeu, on se demande si Kovacic aura la moindre chance d’être son Gokhan Inler en bleu et noir. Mais le projet de WM pour son numéro 10 est bien plus ambitieux :  » Kovacic sera mon Hamsik « .

Trop haut sur le terrain, trop souvent dos au but, Mateo ne casse plus les lignes ni les reins. GiovanniTrapattoni a beau le décrire comme un hybride improbable,  » un mélange entre Kaka et ClarenceSeedorf « , la créature passe beaucoup de temps sur le banc de l’Inter, dans un rôle de spectateur  » privilégié  » pour voir ZdravkoKuzmanovic et SaphirTaïder enchaîner les mauvais choix au milieu.

Les supporters nerazzurri, en conflit ouvert avec leur coach, débarquent même au centre d’entraînement de l’Inter avec une banderole #SaveKovacic. Et ce slogan empli d’amour désespéré :  » Fais-le au moins jouer les matches d’entraînement « .

La saison mazzarrienne est terriblement longue pour Kovacic, trop rarement en pleine lumière. Comme pour remercier le Capitano pour ses compliments, le Croate récite sa plus belle partition nerazzurra face à la Lazio, pour le dernier match de Javier Zanetti au Meazza. Passes de l’extérieur du pied, roulettes insaisissables et dribbles de top model : Mateo ne sait toujours pas où il joue, mais est un acteur indispensable pour les matches de gala.

MANCINI L’INSATISFAIT

Troisième saison, et troisième entraîneur. Au tour de Roberto Mancini de trouver une position viable dans son onze pour Kova. En losange puis en 4-3-3, le Mancio teste son numéro 10 en trequartista et même sur l’aile dans un derby insipide :  » Il a des qualités techniques importantes, il est jeune et il peut jouer partout. Il ne doit pas se limiter à un seul poste « .

Mancini exige plus de vitesse et moins de touches de balle. Plus près du but adverse, Mateo tire plus souvent (1,2 par match) mais finit presque par oublier de dribbler (2,6 par rencontre). Et quand il sauve l’Inter d’une volée majestueuse face à la Lazio, les compliments du Mancio sont étouffés par un reproche :  » Mateo ne doit pas jouer un seul bon match, il doit en jouer trente « .

Pointé du doigt pour un jeu trop insouciant pour être italien, le génie des Balkans trouve du réconfort dans les paroles de ses compatriotes :  » Il n’a que 21 ans, ce n’est pas l’âge de la continuité « , déclare Milan Rapaic dans les colonnes de la Gazzetta.  » Pour moi, il est comme RobertoBaggio, il a besoin de liberté pour bouger derrière les attaquants « .

Pourtant réputé avare en compliments, Zvonimir Boban est plutôt patriote quand il évoque le 10 nerazzurro sur Sky Italia :  » Ce n’est pas un meneur de jeu, il n’est pas encore assez complet. Mais il va vite, très vite. Il doit travailler, mais il a le football dans le sang « .

QUEL RÔLE AU REAL ?

Le dernier compliment sera le plus important. Selon AS, Luka Modric en personne aurait glissé à l’oreille présidentielle que Kovacic remporterait le Ballon d’Or dans les deux ans. Il n’en fallait pas plus pour convaincre le riche FlorentinoPerez de déposer 35 millions d’euros sur la table pour attirer un deuxième Croate au Bernabeu.

Rafael Benitez et son travail à la calculatrice pourront-ils occulter un maigre total de huit buts et onze assists en 97 matches à l’Inter ? Et surtout, comment un entraîneur obsédé par l’organisation utilisera-t-il un génie qui ne connaît toujours pas son meilleur poste ?

La rotation chère à Rafa sera sans doute le salut de Mateo. Dans l’immuable 4-2-3-1 de Benitez, Kova fera sans doute office de vice-Modric. Reste à trouver de la régularité et un jeu défensif digne de ce nom, histoire de casser les lignes en toute tranquillité. De toute façon, le Real était son destin. Tous les joueurs de cinéma finissent un jour à la Casa Blanca.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTO BELGAIMAGE

 » Je n’ai pas vu de talent plus prometteur depuis Ronaldo  » JAVIER ZANETTI

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