LÀ OÙ TOUT A COMMENCÉ

Tout le monde connaît la super star Robert Lewandowski (27 ans). Mais ses racines ? Tournée des clubs de l’attaquant du Bayern, du Partyzant au Znicz.

Il n’est pas facile de maîtriser le présent quand le passé vous rattrape sans cesse. Il y a les reporters de l’étranger, qui posent partout les mêmes questions, là où tout a commencé, à Leszno, à Varsovie. Et il y a les records.

Robert Lewandowski en bat tellement qu’il ne laisse pas le passé en paix. 2013, sous le maillot de Dortmund, en demi-finale de la Ligue des Champions face au Real : 4-1, quatre buts. Du jamais vu ! Il y a un mois, sous la vareuse du Bayern, contre Wolfsburg ? Cinq buts alors qu’il n’était pas titulaire. En huit minutes et 59 secondes. Record ! Hat-trick en trois minutes et 22 secondes. Record ! Par la suite, neuf buts en trois matches de Bundesliga. Record ! Quelques jours plus tard, la Pologne bat l’Irlande 2-1. Lewandowski marque le but de la victoire, son treizième des qualifications. Record !

BOBEK

Krzystof Sikorski et Sylwiusz Mucha-Orlinski sont témoins de l’époque où Lewandowski n’était encore que Bobek. Quand le Petit Castor a quitté son barrage pour devenir une star mondiale.

Petit Castor sonne plutôt bien mais Bobek signifie en fait crotte de lièvre, petite merde. Pourtant, c’est ainsi qu’on appelait l’attaquant. Quand Krzystof Sikorski a vu le superbe but de la tête de Lewandowski contre l’Irlande, décisif pour la qualification de la Pologne, il a eu une impression de déjà-vu.  » Mais où était-ce ?  » C’était Bobek, en 2003, contre Karczew. Sikorski a été le premier entraîneur de Lewandowski au Varsovia Varsovie, le premier club officiel de la star. Si on interroge Sylwiusz Mucha-Orlinski au sujet des cinq fameux buts, l’homme se rappelle les cinq goals inscrits par Bobek à l’âge de 17 ans, en 2006, dans un tournoi en salle. Mucha-Orlinski, au ventre aussi rond que la tête, n’est pas seulement solide. Depuis des années, il est l’homme fort du Znicz Pruszkow, un club de banlieue. Znicz signifie lumière et en 2006, Orlinski en a vu une. Lors du fameux tournoi.  » Le garçon était si bon. Cinq buts, inscrits contre des pros, alors qu’il était encore junior. Incroyable « , répète-t-il encore aujourd’hui, admiratif. Lewandowski jouait alors dans l’équipe B du Legia. Orlinski l’avait remarqué un an plus tôt au Delta mais le Legia l’avait emporté. Six mois plus tard, le talent a pourtant rejoint le Znicz, en D3. Il a été le meilleur buteur de la division, a contribué à la promotion du club et a été sacré meilleur buteur de D2.

Tout ça parce qu’il n’avait pas réussi à intégrer l’équipe-fanion du Legia à l’été 2006. Pourquoi ? Les versions divergent. Une seule chose est claire : de nos jours, beaucoup de gens continuent à se poser la question car c’est en quelque sorte le seul accroc de Lewandowski, qui n’avait fait que progresser jusque-là.

UN CHAMP DE PATATES

Tout a commencé à l’âge de huit ans au Partyzant Leszno, là où habitait Lewandowski, à quelque trente kilomètres de Varsovie. Le Partyzant évolue en D7 et ça se voit au terrain : un champ de patates d’un autre âge, quelques rangées de sièges par-ci, un banc de touche miteux et au fond, l’école, où les parents de Robert enseignaient : Iwona et Krzyszstof, décédé d’une attaque en 2005.  » Il n’y avait pas de meilleur professeur de sport que le père de Robert « , témoigne Kamil Matusiak. Il est né en 1986 et a donc deux ans de plus que Robert Lewandowski. Ils ont joué ensemble au Partyzant mais Robert n’était pas encore affilié. Matusiak ironise :  » Ça vaut mieux : qui sait s’il aurait réussi, autrement ?  » Il affirme que la différence d’âge ne s’est jamais fait remarquer. Le gamin était rapide, doué, intrépide. Plus tard, leurs pères les ont conduits à l’entraînement à Varsovie presque tous les jours.  » Robert a travaillé d’arrache-pied, y compris individuellement.  »

Matusiak est maintenant l’homme à tout faire du club, même si le colosse n’aime pas se l’entendre dire. Il préfère le titre d’entraîneur. La ville attribue 70.000 zlotys par an au club (20.000 euros). Au printemps, Matusiak a demandé à un agriculteur de refaire la pelouse. En octobre, elle n’est plus qu’un champ.  » Nous voudrions investir mais comment ?  » La mère de Lewandowski a récemment téléphoné pour demander si le club avait besoin de quelque chose. Oui.  » Je suis direct « , reconnaît Matusiak. Il a donc demandé que Robert passe.

Matusiak ne veut pas d’une petite aide ponctuelle, il veut lancer une dynamique. Grâce au nom de Lewandowski. Dans ce cas, pourquoi le stade ne porte-t-il pas le nom de la star ? Ça attirerait des sponsors. Il y a peu, les habitants ont tracé sur le terrain les lettres LEWY et ont posté la photo sur Twitter.  » Revenez en 2016 « , dit Matusiak.  » Pour la fête d’été. Nous serons peut-être plus avancés.  »

Lewandowski a fait son chemin. Du Partyzant, en 1997, il est passé au Varsovia. Marek Krzywicki, maintenant directeur, l’a entraîné sept ans, Krzystof Sikorski, devenu président, a pris le relais pendant six ans. Le club est modeste, situé en face du puissant Polonia, qui n’a toutefois pas d’équipe juniore.

Le Varsovia bien mais le club est dissimulé par de vieux arbres. Les habitants de Varsovie le dépassent sans même le distinguer, à bord des bus des lignes 6 et 18, pour se rendre au boulot. La façade du foyer a un petit air scandinave. A l’intérieur, le linoléum et les rideaux respirent le charme de la période soviétique. Un parking non asphalté mène aux vestiaires, installés dans des conteneurs. Un seul radiateur offre un peu de chaleur. Il fait froid. Tout est resté comme à l’époque, sauf le terrain : c’est maintenant une pelouse artificielle, financée par la ville. Dans le temps, le terrain était poussiéreux et sautillant  » mais ça ne dérangeait pas Bobek : ça lui a permis de perfectionner sa technique « , explique le président et ex-entraîneur Sikorski.  » Elle était tout simplement exceptionnelle. Il était toujours mon capitaine alors qu’il évoluait avec des garçons qui avaient deux ans de plus que lui.  » L’homme aux yeux clairs est conscient de sa chance : le père Lewandowski voulait caser son rejeton au Polonia.

Comme le grand club ne s’occupait que des professionnels, Sikorski a décroché le job de sa vie.  » Le gamin était sec mais très volontaire, engagé. Il devait toutefois améliorer son tir. Il était petit mais avait de grands pieds et il lui arrivait de rester coincé dans l’herbe.  » L’équipe a marqué 150 buts en une saison. Lewandowski en a pris 60 à son compte, alors qu’il jouait souvent dans l’entrejeu.  » Pour qu’il apprenne à penser collectivement et à sentir comment on prépare un but.  »

LE DRAME

Début 2005, il a seize ans et passe au Delta (D4). Le président Andrzej Trzeciakowski :  » Lewy sentait le ballon.  » A peine était-il arrivé que le club, en proie à des difficultés financières, se séparait de son équipe Première. Pourtant, un joueur comme Lewandowski touchait tout au plus quelques centaines de zlotys par mois. Chapitre clos, à peine entamé. Pire : au printemps, son père meurt.

Un brin d’espoir est revenu en été, avec son transfert au Legia. Ce cap était logique, puisque Trzeciakowski et Mazurek travaillaient également au Legia. Lewandowski a obtenu un contrat d’un an. Salaire : 600 euros. Ce qui est anormal, c’est qu’il ait échoué : en été 2006, il n’a pas été repris en équipe A. Pourquoi ?

 » Comme d’autres, je continue à me le demander « , répond Mazurek. Il pense qu’il y avait trop de décideurs au sein du club. Il ne digère pas que le Legia l’ait laissé filer malgré son rapport.  » J’avais noté qu’il était dynamique, créatif, discipliné.  » En plus, c’est lui qui a été chargé de pousser le joueur vers la sortie. Il n’a plus jamais parlé de lui. Il aimerait le faire mais  » le sujet est tabou au Legia.  » Il dirige maintenant une nouvelle école des jeunes. Il ne tolérera plus d’accroc de ce genre. Sur ce, il se rend à un match du Legia contre Litex, en UEFA Youth League.

A Leszno aussi, on lève le camp.  » J’espère que le nom de Lewandowski va faire bouger les choses.  » Sur ce, Kamil s’en va : il a encore du boulot.

Au Delta, Trzeciakowski commente :  » J’ai planté un arbre, construit une maison, conçu un fils et j’ai eu Lewandowski. Je trouverai d’autres talents.  »

Au Znicz, Sylwiusz Mucha-Orlinski est plus présomptueux :  » Je vais trouver un nouveau Lewandowski.  » Au Varsovia, le directeur Marek Krzywicki relève :  » Nous sommes un petit club mais nous avons formé un des plus grands joueurs.  » Il en veut davantage : l’indemnité de formation de 50.000 euros reçue quand Bobek a quitté Lech (D1) pour Dortmund en 2010, a été intégralement consacrée à la formation des jeunes.

Entraînement des U11. A côté de Krzywicki, Igor jongle. Il est le meilleur de la levée. La télévision est là. Igor déclare :  » Lewandowski est le meilleur mais je vais le surpasser.  » Lukasz et Hubert :  » Nous deviendrons meilleurs qu’Igor.  » C’est ainsi que vivent ceux qui veulent être les stars de demain.

PAR JORG WOLFRUM ET ROMAN KOLTON – PHOTO GETTY

 » Nous sommes un petit club mais nous avons formé un des plus grands joueurs du monde.  » – MAREK KRZYWICKI, EX-ENTRAÎNEUR DU VARSOVIA.

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