La nouvelle sensation

Après une année d’adaptation, l’attaquant argentin est-il pour de bon la coqueluche du Parc Astrid ?

C’est avec les pieds que Matías Suarez s’exprime le mieux. S’exprimer par la parole, ce n’est pas trop son truc. Mais qu’importe pour les supporters anderlechtois, s’il leur offre à chaque apparition un récital comme celui offert lors du match aller face à Sivasspor. Ce soir-là, le public belge a découvert pour la première fois le Mati que les recruteurs du Sporting avaient vu à l’£uvre en Argentine, sous le maillot du Belgrano de Cordoba, et qui les avait tant séduits.

Matías, est-ce un autre Suarez que l’on voit aujourd’hui, par rapport à la saison dernière ?

MatíasSuarez : Non, je suis toujours la même personne. Cela n’a pas toujours été simple pour moi la saison dernière ( NDLR, 11 apparitions en championnat et un seul but), mais je me suis accroché. J’ai beaucoup travaillé et j’en ai été récompensé.

Sur le terrain, en tout cas, vous n’êtes plus le même. Est-ce le changement de système qui vous a été bénéfique ?

C’est l’une des explications. La confiance en est une autre. C’est un élément très important pour un attaquant. Elle ne peut s’acquérir qu’en jouant des matches. Il faut aussi que je ressente cette confiance auprès de l’entraîneur, de mes coéquipiers. Et pour l’instant, c’est le cas.

 » Deuxième attaquant, c’est ma place préférée « 

Contre Sivasspor, vous avez été aligné à votre place de prédilection, celle de deuxième attaquant.

C’est celle que je préfère, oui. Celle que j’occupais déjà à Belgrano. Je suis heureux que l’on m’ait enfin offert l’opportunité d’évoluer à cette place avec Anderlecht. Contre Sivasspor, j’ai joué derrière Tom De Sutter, et cela s’était bien passé. Je comprends parfaitement que, la saison dernière, Ariel Jacobs ne pouvait pas chambouler un système déjà bien rodé, et le modifier en fonction de ma présence. J’étais un nouveau joueur qui débarquait, j’avais encore tout à prouver et c’était à moi à m’adapter. J’ai parfois été aligné comme avant de pointe, parfois sur les flancs. J’ai fait contre mauvaise fortune, bon c£ur, mais devoir m’adapter à un football différent en occupant une place qui ne m’était pas familière, n’avait rien d’évident.

Ce match contre Sivasspor, c’était le meilleur depuis votre arrivée en Belgique ?

C’est à vous de juger. Mais, comme je n’ai pas joué beaucoup de matches, il n’y a pas vraiment l’embarras du choix. Ce que je peux dire, c’est qu’il n’était pas encore parfait. Je peux encore améliorer pas mal de choses dans mon jeu.

Comme ?

Un peu tout, je ne peux pas réellement citer un point précis. Je suis déjà beaucoup mieux intégré que la saison dernière, mais le processus d’adaptation n’est pas encore terminé. On n’a pas encore vu en Belgique le Matías Suarez que l’on connaissait en Argentine.

Vous étiez bon, tout de même ?

Oui, mais c’était aussi grâce à l’équipe. Cela me gêne lorsqu’on m’attribue trop de louanges.

Comme les déclarations de Roger Vanden Stock, qui vous considère comme le meilleur transfert de cette saison ?

( Unpeugêné) Il a dit cela ? Bon, tant mieux, mais il ne faut pas me jeter trop de fleurs.

Et ce surnom de La Joya dont on vous avait affublé en Argentine ?

( Ilrit) Les supporters et les journalistes aiment bien donner des surnoms aux joueurs. Personnellement, je n’y ai jamais prêté attention.

L’an passé, du fait de la blessure de Frutos, on a d’emblée attendu monts et merveilles de votre part. Etait-ce trop tôt ?

Non. Si le Sporting m’a engagé, c’est qu’il croyait en moi. Cela ne s’est pas passé comme on l’espérait, c’est tout.

 » Halona a changé ma vie « 

Que retenez-vous de votre première saison en Belgique ?

Il y a eu des points positifs et des points négatifs. Lorsqu’on vit une première expérience à l’étranger, il y a toujours de bons et des mauvais côtés. Il faut s’habituer à un autre style de vie, découvrir son nouvel environnement, apprendre à connaître ses nouveaux partenaires. Cela ne se passe jamais sans l’une ou l’autre complication.

Quelles furent les points positifs ?

En premier lieu, la naissance de ma fille, Halona, il y a quatre mois. Elle a apporté un rayon de lumière dans ma vie, m’a conféré de nouvelles responsabilités. Je suis devenu un autre homme, son arrivée a changé jusqu’à ma personnalité. Je m’ouvre aux autres.

Et les points négatifs ?

Surtout, le fait que je ne jouais pas. C’était le pire : une partie de mes illusions s’envolaient. J’avais du mal à trouver mes marques dans un pays que je ne connaissais pas, où l’on parlait une autre langue, où l’on pratiquait un autre style de football, et où le style de vie et le climat étaient si différents.

Vous vous sentiez un peu perdu ?

Perdu n’est peut-être pas le mot qui convient. Mais un peu déboussolé, oui. Loin de tout : de ma famille, de mes amis… Lorsque mon épouse m’a rejoint après deux ou trois mois, cela a commencé à aller un peu mieux. Contrairement à moi, elle s’est très vite adaptée à la Belgique. Elle adore ce pays, elle a déjà visité les endroits les plus emblématiques comme la Grand-Place de Bruxelles, la ville de Bruges. Moi, je préfère rester à la maison.

A Dworp, c’est cela ?

Oui, exactement. Dans le Brabant flamand. Un endroit très vert, très agréable. Malheureusement, lorsque j’ai commencé à trouver un équilibre dans ma vie privée, c’est une blessure au ménisque qui m’a tenu éloigné des terrains pendant deux mois. Je n’ai pas eu de chance la saison dernière.

Pour oublier vos déboires, vous vous êtes mis à dessiner ?

C’est une passion que j’ai depuis longtemps. Cela m’a pris lorsque j’étais encore tout petit. Je dessine tout ce que je vois : des paysages, des portraits, des scènes de la vie. Il suffit d’un crayon et d’un bout de papier. Je suis le plus jeune d’une famille de six enfants. Mes frères aussi, aiment dessiner.

C’est un mode d’expression qui correspond à votre caractère solitaire ?

Oui, c’est possible. C’est vrai que je parle peu. Certains affirment que je suis timide. Personnellement, j’estime que ce n’est pas de la timidité. Je dirais plutôt que je suis introverti. Je garde mes problèmes pour moi. On me répète souvent que, quand on a des problèmes, on a intérêt à en parler, que cela peut aider à se soulager. Mais c’est plus fort que moi, je n’aime pas révéler mes états d’âme à des gens que je ne connais pas.

Votre autre mode d’expression, c’est le football ?

On peut le dire, oui. C’est ma passion depuis que je suis tout petit. L’un de mes frères joue également, mais pas comme professionnel. Par contre, le plus jeune de mes neveux me semble assez doué.

 » J’ai arrêté l’école à 13 ans « 

Vous êtes rentré en Argentine durant les vacances ?

Oui. J’avais besoin de ce retour au pays. Cela m’a fait du bien de revoir la famille et les amis, ne fût-ce que pour quelques jours.

Et maintenant, c’est votre maman qui est venue vous rendre visite en Belgique ?

Elle a passé deux mois avec nous à Dworp, mais doit bientôt repartir. C’est une femme d’un naturel réservé, un peu comme moi. Elle reste la plupart du temps à la maison, en train de boire le mate, une boisson typiquement argentine. Mais je suis content qu’elle ait pu venir. Elle était un peu inquiète de me savoir en Belgique, livré à moi-même dans un pays inconnu. En Argentine, l’insécurité règne dans beaucoup d’endroits, et elle va repartir rassurée après avoir découvert qu’ici, c’était très calme.

Votre père, malheureusement, est décédé il y a six ans…

Oui. Il travaillait comme peintre dans le bâtiment. Il est devenu de plus en plus malade. Son décès m’a fort affecté. 15 ans, c’est jeune pour perdre son père. J’avais une relation très forte avec lui. Il était mon premier supporter, m’accompagnait à tous les matches. C’était son rêve de me voir devenir footballeur professionnel. Je l’ai réalisé, mais il n’est malheureusement plus là pour le vivre. Je crois que, s’il peut me voir de là haut, il doit être fier de moi.

Qui s’est occupé de vous, après le décès de votre père ?

Un peu toute la famille : ma maman, mes frères, mes oncles…

A ce moment-là, vous aviez déjà arrêté l’école depuis deux ans…

Oui, j’ai stoppé les cours à 13 ans, mais c’est courant en Argentine, surtout dans une famille modeste comme la mienne. J’étais plus doué pour le football. Cela me plaisait mieux, aussi. Après, j’ai un peu regretté d’avoir arrêté les études aussi tôt, mais c’était trop tard pour revenir sur ma décision. Enfin, sait-on jamais : je pourrai peut-être les reprendre plus tard…

On ne vous a pas demandé d’aller travailler pour subvenir financièrement aux besoins de la famille ?

Non, par chance, je n’ai jamais dû aller travailler, étant enfant ou adolescent. Les membres de ma famille ont accepté que je continue le football et je leur en suis reconnaissant.

Se rendaient-ils compte que c’était en football que vous étiez le plus doué et que ce sport pouvait vous permettre de gagner votre vie ?

Le football n’était pas encore rémunérateur pour moi, à cet âge-là. Je gagnais un peso par ci, un peso par là. Un peu d’argent de poche, quoi. J’en étais content, mais je n’allais pas loin avec cela.

Quand avez-vous pris conscience que le football pouvait être un moyen d’élever votre statut ?

Beaucoup plus tard. Au début, on commence à jouer au football parce qu’on aime cela, c’est tout. Lorsqu’on gravit les échelons et qu’on se rend compte qu’on a un peu de talent, on s’aperçoit que ce talent peut se monnayer. Je n’en ai vraiment pris conscience que lorsque j’ai traversé l’Atlantique. J’ai consenti un grand sacrifice en venant en Belgique, j’ai tout laissé derrière moi. Ce sacrifice n’en vaut la peine que s’il permet d’aider la famille. Aujourd’hui, j’espère pouvoir rendre aux miens ce qu’ils ont consenti pour moi. J’envoie de l’argent en Argentine chaque fois que c’est possible.

 » Le français ? Cela vient, mais très lentement « 

L’école, ce n’est pas votre tasse de thé : aux cours de français, vous avez du mal aussi…

Je n’étais pas à l’aise lors des cours collectifs, je l’admets. Aujourd’hui, je suis des cours particuliers. Cela va un peu mieux, je progresse.

On peut continuer l’interview en français, alors ?

( Ilrit) De préférence, pas. Je commence à comprendre certains mots. Pour soutenir une conversation, c’est encore un peu tôt.

Cela se passe comment, avec vos coéquipiers, alors ?

Je comprends plus ou moins ce qu’ils me disent. Lorsque je dois répondre, j’essaie de me faire comprendre d’une manière ou d’une autre. Par des gestes, l’un ou l’autre mot qui me vient à l’esprit. Mon épouse est déjà plus loin que moi dans l’apprentissage du français.

On continue à suivre vos prestations en Argentine ?

La saison dernière, on s’inquiétait de savoir si je jouais. J’étais bien obligé de répondre que je ne jouais pas.

Vous vous imaginiez que ce serait aussi difficile de vous imposer en Europe ?

Je savais que ce ne serait pas facile. Toutefois, l’attrait de l’Europe reste toujours aussi fort auprès des footballeurs sud-américains.

Vous êtes passé de la D2 argentine à la D1 belge. Une étape intermédiaire, dans un bon club de D1 argentine par exemple, n’aurait-elle pas été souhaitable ?

On conseille souvent de ne pas brûler les étapes, effectivement. Mais une carrière ne se déroule pas toujours selon un plan élaboré à l’avance. J’ignore si des clubs de D1 argentine se sont intéressés à moi. Anderlecht s’est présenté, et puis voilà. C’est un club au passé prestigieux, qui joue régulièrement la Ligue des Champions. Il n’en fallait pas plus pour me convaincre. La présence de plusieurs compatriotes dans l’effectif a aussi joué un rôle dans ma décision.

Vous aspirez à jouer les compétitions européennes, mais il paraît que vous avez peur de l’avion ?

Autrefois, c’était le cas. Aujourd’hui, j’ai surmonté ma peur. J’ai parfois des maux de ventre lorsque je prends l’avion, mais je n’ai plus peur.

 » Marquer plutôt que délivrer des assists « 

Qu’attendez-vous de cette deuxième saison en Belgique ?

Je sais ce que cela fait un peu cliché : je veux prendre match après match. J’espère répondre aux attentes de l’entraîneur. Je sais que j’alternerai encore les bonnes et moins bonnes prestations, mais je donnerai toujours le maximum afin de pouvoir rentrer chez moi avec la conscience tranquille.

Vous êtes en passe de devenir la nouvelle coqueluche du Parc Astrid…

Non, n’exagérez pas. Si l’ovation que les supporters m’ont offerte, lors de ma sortie contre Sivasspor, m’a fait plaisir, ce n’est pas une raison pour pavoiser. Je dois encore confirmer.

Ce qu’il vous manque, c’est de la régularité, être titulaire à chaque match ?

Oui, il n’y a que de cette manière que je prendrai encore davantage confiance. Et si je pouvais jouer à ma place de prédilection, ce serait encore mieux.

Vous n’avez pas joué le match retour en Turquie…

Non, mais l’entraîneur m’a d’emblée rassuré : il voulait surtout me ménager en vue des échéances futures.

Vous vous êtes fixé un objectif en termes de buts et d’assists ?

J’espère inscrire le plus de buts possibles, sans fixer de chiffres. Et si je peux y ajouter quelques assists, ce sera d’autant mieux.

Qu’est-ce qui vous fait le plus plaisir : marquer ou faire marquer les autres ?

Marquer ! C’est sur les buts qu’il inscrit qu’on juge un attaquant.

Que ressentez-vous lorsque vous trouvez le chemin des filets ?

Une sensation très agréable, que je ne peux pas décrire. Je n’ai pas de manière particulière de célébrer mes buts, cela dépend de l’inspiration du moment. Je pense cependant toujours à mon père. Sous mon maillot, je porte d’ailleurs un T-shirt à son effigie. Je lui dédie chacun de mes buts.

C’est une nouvelle vie qui démarre pour vous, sur le plan privé comme sur le plan sportif ?

Ojalá ! La naissance d’Halona m’a conféré de grandes responsabilités familiales, et au club, je ressens aussi qu’on attend beaucoup de moi. J’espère être à la hauteur.

par daniel devos – photos: reporters/ gouverneur

« Je peux encore montrer beaucoup plus que ce que j’ai fait contre Sivasspor. »

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