La mort du foot samba

Le Brésil ne commet pas d’erreur mais n’enflamme pas l’assistance. S’il gagne comme en 1994, certains diront que ce titre ne compte pas…

Tiens, comment va Robinho ? Son retour provisoire au Brésil a constitué une des plus grandes surprises du mercato hivernal. L’avant ne s’épanouissait pas à Manchester City et il est revenu à Santos, pour y retrouver le plaisir de jouer et le rythme des matches. Ce 7 mars, nous nous rendons au terrain de Portuguesa, pour voir ce que ça donne. Le championnat de Sao Paulo a débuté il y a plusieurs semaines et cet après-midi, Santos s’y déplace. Le mythique club paulista, rendu célèbre par Peléet maintenant par Robinho.

Nous avons passé la journée à l’Estadió do Pacaembu, rue Charles Miller, une artère baptisée du nom de l’Anglais qui aurait exporté le Futebol au Brésil. Pacaembu est impressionnant. Pas le stade car une arène vide est toujours triste, mais le Museo de Futebol. On y redécouvre en images l’histoire du Brésil et de son football. Les Diables Rouges sont repris quelques fois, au Mexique 1986 et au Japon 2002. L’exposition temporaire Ora Bolas, o Futebol pelo Mundo est une compilation émouvante de photos de football prises dans le monde entier, dans les coins les plus étranges.

A cinq heures, Portuguesa et Santos s’affrontent par 39 degrés. Deux supporters de Santos m’accompagnent au stade. L’anglais de Bruno, le plus jeune, est limité mais il suffit. Il me guide vers le stade et achète un billet au marché noir car les guichets sont fermés, puis il m’emmène dans le noyau dur de Santos, où le groupe m’accepte immédiatement.

Pour Bruno, avant le match, c’est clair : Santos est la meilleure équipe du monde. Il est de Sao Paulo mais au Brésil, tout le monde tient avec les Corinthians (Sao Paulo) ou Flamengo (Rio). Au repos, l’équipe locale mène 1-0. Bruno :  » Santos very bad but we will be champions. «  Il le sera.

Soyons clairs : j’assiste à un match du Campeonato Paulista, un championnat auquel toutes les équipes de D1, D2 et D3 de l’Etat peuvent participer. Le véritable championnat national commence plus tard. Santos émarge à la D1, Portuguesa à la D2. Joga Bonito ? Du beau jeu ? Oubliez-le. Robinho n’a envie de jouer qu’une mi-temps, la deuxième. Avant le repos, Neymar fait son show : l’avant gauche est rapide, vif, et joue merveilleusement quand il dispose d’un peu d’espace. On oublie qu’il n’a que 18 ans. L’enthousiasme des supporters est incroyable. Bruno tente de m’apprendre le portugais. Les supporters entonnent sans cesse le même refrain joyeux. Ils le chantent tranquillement, sauf quand Santos se forge une occasion. Le béton vibre sous nos pieds. Bruno m’aide. Au dos de son T-shirt, on retrouve le texte du refrain : Vai com determinação/Tu que és o glorioso/Visto seu manto com Amor/e Emoção…

Le soir, à la télévision, il y a un long débat sur Adriano. Alcool, dispute conjugale, incident avec Flamengo. L’attaquant brésilien affirme ne pas être en état de s’entraîner ni de jouer la Copa Libertadores. Peut-il être repris pour le Mondial ? Un éditorialiste très excité pense que oui. Qu’il boive, consomme de la cocaïne ou autre chose, c’est du ressort de sa vie privée. Il ne faut s’intéresser qu’au footballeur. Mais Adriano ne sera finalement pas sélectionné.

La force de Dunga

Trois jours plus tard, un journal titre que c’est l’été le plus chaud de l’histoire. Heureusement, nous sommes à Rio, à une heure d’avion vers l’est, et l’hôtel a une piscine sur le toit. La plage de Copacabana est toute proche. Sem signal (pas de signal) annonce la télévision. Ce n’est pas grave. Le coucher de soleil sur la baie est magique, même si la statue de Christo est en chantier. On rencontre Tim Vickery, correspondant de la BBC à Rio et grand connaisseur de la Seleção

Vickery :  » Dunga a bien travaillé jusqu’à présent. Il a remporté la Copa America, la Coupe des Confédérations, terminé premier des éliminatoires. Ce n’est pas mal pour un intérimaire… Après la dernière Coupe du Monde, il n’a été engagé qu’à court terme car la Fédération trouvait que les étoiles étaient devenues trop grandes et que cela nuisait aux résultats. Dunga s’est immédiatement attaqué au vedettariat. La vente des billets pour la préparation en Suisse, tout ce cirque l’énervait. Il a aussi réduit l’accès des journalistes alors qu’ici règne une tradition d’ouverture. La plupart des gens pensaient qu’il avait été embauché parce que Felipe Scolari était indisponible. Beaucoup doutaient de lui. Dunga n’avait pas d’expérience et son adjoint, Jorginho, en avait un brin de plus. Pourtant, ils ont accompli de l’excellent travail.  »

Scolari et Dunga sont issus du sud du Brésil, de Porto Alegre, l’antithèse de Rio, une terre dure. Les habitants de Porto Alegre sont les Européens du Brésil, les gens dits sérieux. Vickery :  » Rien que par sa carrière de joueur, Dunga est le symbole du succès et de l’engagement. Capitaine, il ne cessait de parler, de crier. Parreira a eu une idée de génie en 1994 en lui faisant partager la chambre de Romario. Cela a permis à ce dernier de rester concentré durant tout le tournoi.  »

Pourtant, Dunga est très critiqué. Vickery :  » On peut discuter du style de jeu. Il ne plaît pas à tout le monde et à moi non plus, mais Dunga n’effectue pas sa sélection pour nous faire plaisir. Il veut gagner, ce qu’il réussit. Il mise sur la contre-attaque. Il guette l’adversaire assez bas et opère une transition rapide. Je pense que peu d’équipes européennes accorderaient une place à Gilberto Silva, du Pana. Il ne fait rien avec le ballon. Il compte pourtant 90 sélections pour le Brésil… Dunga a réussi à changer les mentalités. Tous les sélectionneurs se plaignent de ne pas passer assez de temps avec leurs joueurs mais Dunga est quand même parvenu à fondre ces vedettes en équipe. Carlos Queiroz, le sélectionneur du Portugal, vient encore de se déclarer impressionné par le onze de Dunga. Il a évolué. En 2006, il travaillait pour la presse et il ne devait pas s’attendre à être nommé sélectionneur. Il critiquait allègrement l’équipe de 2006, jugeant qu’elle ne monopolisait pas assez le ballon. Quand on voit maintenant le Brésil de Dunga, il faut reconnaître que la possession du ballon n’est pas son souci premier. Il gagne souvent en ayant moins le ballon que l’adversaire.

Je ne sais pas si Dunga a entamé son mandat avec cette philosophie. Au début, il a suivi Dudu, de l’Olimpiacos. C’est un footballeur élégant mais il n’a pas réussi l’examen et Kaká est devenu le joueur-clef du Brésil. Il est rapide et direct et l’équipe est formée en fonction de ses qualités, pour jouer le contre. Je me demandais aussi si Dunga pourrait travailler avec Robinho, un de ses joueurs préférés. J’avais des doutes car il a posé des problèmes dans tous ses clubs, sauf en équipe nationale. Maintenant, les internationaux vont passer de nombreuses semaines ensemble et je ne sais pas si la mentalité de Dunga s’accommodera de l’égoïsme de l’enfant gâté qu’est Robinho, à terme. D’autre part, il arrive à obtenir un rendement et un engagement élevés de ses footballeurs. Ils ont l’habitude de lui téléphoner pour discuter de leur transfert. Dunga domine sa sélection. Il ne se préoccupe pas trop de la forme qu’ils détiennent dans leur club, pour autant qu’ils continuent à prouver leur utilité à l’équipe nationale.  »

Deux problèmes

Le Brésil n’est pas parfait. Vickery décèle deux problèmes.  » L’un est personnel, l’autre tactique. Le Brésil joue en 4-3-2-1, selon moi. Les gens prétendent que c’est un 4-2-3-1 mais ça ne l’est plus depuis que Ronaldinho a été éjecté. Avant, l’équipe avait une ligne Robinho- Kaká -Ronaldinho derrière Luis Fabiano. Cela n’a jamais fonctionné. Kaká et Ronaldinho ne peuvent jouer ensemble. Ils se marchent sur les pieds. L’équipe n’a commencé à tourner que quand Ronaldinho a été écarté au profit d’un autre type de joueur à droite. Elano, Ramires, ou Dani Alves, lequel préfère évoluer au milieu droit qu’un cran derrière. Son travail dans l’entrejeu droit permettait à Maicon de monter mais le Brésil était déséquilibré et le flanc gauche avait des problèmes.

Le personnel, ensuite. Qui sera arrière gauche ? Pendant les qualifications, Dunga a essayé six joueurs et aucun n’a été convaincant. Il semble que le Lyonnais Michel Bastos soit l’élu. Le problème est qu’il n’a plus évolué à ce poste depuis longtemps et qu’il risque d’avoir des problèmes défensifs au Mondial. Les arrières latéraux doivent écarter le jeu. C’est essentiel pour le Brésil. Il ne faut pas que les défenseurs latéraux convergent vers l’axe. En écartant le jeu, ils créent des espaces pour Kaká et Robinho. Il eût été plus simple que Robinho soit gaucher, pour jouer sur le flanc mais ce n’est pas le cas. Neymar est encore trop vert. Il y a eu un important lobbying pour sa sélection et il aurait ainsi pu acquérir de l’expérience mais il a été catastrophique au Mondial -17 ans. Qu’aurait-il fait dans une vraie Coupe du Monde, à part ouvrir grand ses yeux ?

On a un peu reparlé de Roberto Carlos quand il est revenu aux Corinthians , mais je ne suis même pas certain que Dunga l’aurait repris s’il avait été bon. Il a son groupe, ce qui est vital pour lui. Celui qui ne s’y intègre pas vole dehors. Il n’a pas repris Marcelo et Pato non plus. Diego, c’est une autre histoire. J’ai vu son premier match en 2002 et je l’ai trouvé génial. Le Zidane d’Amérique du Sud. Il a été longtemps international mais il n’a pas saisi les chances offertes. A Rio, le Brésil a concédé un nul blanc à la Bolivie, un pays qui a perdu tous ses autres matches en déplacement. Le Brésil a eu une seule occasion, en fin de match. Ce fut la fin de la carrière internationale de Diego.  »

Et les grands noms, Adriano, Ronaldo, Ronaldinho ? Vickery :  » Adriano a toujours fait partie du groupe et a réalisé des actions qui l’ont rendu populaire au sein du noyau mais il était trop proche de son barrio, ses amis, et Flamengo lui laissait la bride sur le cou parce qu’il était très bon. Ses privilèges constituaient une bombe à retardement. Il brossait les entraînements quand ça lui chantait. Ronaldo n’a jamais eu sa chance. C’était une rumeur qui n’a rien d’officiel mais on raconte qu’il a été victime d’un boycott au terme du Mondial 2006 à cause de son influence négative. Il aurait dû réussir un exploit avec les Corinthians en Copa Libertadores pour avoir vraiment une chance mais il ne l’a pas fait. Quant à Ronaldinho… Il n’a pas été brillant en Ligue des Champions avec Milan. Il ne doit s’en prendre qu’à lui-même. Dunga a fait preuve de beaucoup de patience à son égard, au point même de trahir sa philosophie. Puis Ronaldinho débarque. Il est trop gros, il n’a plus d’accélération, il est triste et ne participe en rien au jeu. On aurait dit un joueur qui a raccroché et qui revient pour un match de charité.  »

Kaká est décisif mais il a été victime de plusieurs blessures cette saison et il a raté la préparation du Brésil. Y a-t-il un plan B ?  » Dunga espère que son banc lui offre un plan B mais si Kaká a un problème, le Brésil le paiera cher. Ce sera aussi le prix d’une longue saison. L’été dernier, Dunga a emmené tout le monde à la Coupe des Confédérations. Je peux le comprendre. Le sélectionneur du Brésil doit se protéger. En 2001, Emerson Leão avait repris une équipe réserve pour ce tournoi. Le Brésil n’a pas bien joué, le sélectionneur a été limogé même si avant le début du tournoi, tout le monde était d’accord pour dire que le résultat ne comptait pas. Je comprends donc Dunga mais peut-être les joueurs auraient-ils dû bénéficier de plus de repos l’été dernier…  »

Foot pragmatique

Roberto Assaf (56 ans) est journaliste sportif depuis plus de trente ans. Il est passionné de football et son appartement à Rio croule sous les magazines et les livres consacrés à ce thème. Il partage l’analyse de Vickery.  » Nous avons de grandes chances d’être champions. Le football de Dunga est très pragmatique. C’est un jeu défensif, sans guère de surprises, basé sur le contre. C’est du laid football, basé sur le résultat. Si le Brésil est champion, ce sera comme en 1994 : certains diront que ce titre ne compte pas, le Brésil n’ayant pas développé le jeu auquel il est tenu.  »

Il reconnaît toutefois que Dunga a remis de l’ordre :  » En 2006, certains sortaient jusqu’à six heures du matin. Il fallait plus de discipline et Dunga était l’homme idéal. Vu qu’il a obtenu des résultats, il est resté. Il est impossible de limoger un entraîneur qui gagne, même si son football n’est pas bon. Depuis quelques mois, il manie l’ironie en réaction aux critiques. -Ce sont les résultats et vous devez les accepter. Il est très fermé, cynique et critique envers la presse. Travailler avec lui n’est pas agréable.  »

Selon Assaf, le Brésil mène un débat sur la nécessité de changer ou non le style de jeu, faute de joueurs déterminants.  » Avant, le Brésil avait toujours quatre ou cinq joueurs aptes à déterminer un match. La sélection actuelle n’en possède que deux, Kaká et Robinho. Et encore, j’accorde le bénéfice du doute à ce dernier car ce n’est pas toujours le cas. Ronaldinho était trop imprévisible et ça ne convient pas à la philosophie de Dunga. Celui-ci emmène des joueurs obéissants, des robots, qui font ce que l’entraîneur dit, soit parce qu’ils ont peur de perdre leur place, soit parce qu’ils ne sont pas assez bons.

Le Brésil souffre quand il est opposé à un adversaire défensif. La Bolivie, la Colombie et le Venezuela ont tous réussi un nul blanc chez nous, en se cantonnant en défense. Je ne serais pas surpris que le Brésil ait plus de problèmes dans la phase par poules avec la Corée du Nord qu’avec le Portugal ou la Côte d’Ivoire. Le Portugal ne peut se permettre de défendre et la Côte d’Ivoire, comme toutes les équipes africaines, n’est pas capable de rester disciplinée en défense. « 

Aurait-il repris Adriano ? Assaf :  » Oui mais je suis supporter de Flamengo. Il est capable de faire la différence, ce qui a permis à Flamengo de remporter le titre. Il a reçu plusieurs avertissements mais il s’est ressaisi. L’adjoint de Dunga lui a longuement parlé. C’était une rencontre avec le Diable ! Jorginho est profondément croyant, il ne boit pas, ne fume pas tandis qu’Adriano… Un vrai Brésilien. Lors d’un Mondial pour jeunes, Adriano avait reçu une prime. Savez-vous ce qu’il a dit : -Je vais enfin pouvoir isoler la maison car l’eau ruisselle sur les murs de la chambre de mon frère. Voilà les conditions dans lesquelles nous vivons. La vie d’un carioca dans une favella n’est pas facile, même si le soleil brille et que la plage est toute proche. Il faut avoir beaucoup de force pour ne pas commettre d’erreurs. Ce qui s’est produit en 2006 n’était pas la faute des seuls Adriano et Ronaldinho mais ils faisaient partie du groupe. Dunga a pris un risque en les boudant. Espérons qu’il n’arrive rien à Kaká… « l

par peter t’kint, à sao paulo – photos: reuters

Le Brésil, c’est des robots, qui font ce que l’entraîneur dit parce qu’ils ont peur de perdre leur place ou ne sont pas assez bons.

Dunga espère que son banc lui offre un plan B maissi Kaká a un problème, le Brésil le paiera cher.

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