» LA MORT DE MON FILS ÉCLIPSE MA CARRIÈRE « 

Il y a 40 ans, François ‘Swat’ Van Der Elst a marqué deux buts lors de la finale de la Coupe des Coupes remportée 4-2 par Anderlecht contre West Ham. Une première pour un club belge.  » Quand les clients me le demandent, j’ouvre l’ordi et je repasse les images.  »

Le snooker-palace de François Van Der Elst n’est pas précisément abreuvé de lumière mais la grande photo en noir et blanc de l’équipe se détache bien du mur blanc. Le cliché a été pris le 5 mai 1976, dans l’ancien stade du Heysel. Anderlecht a successivement éliminé le Rapid Bucarest, Borac Banja Luka, Wrexham AFC et le FSV Zwickau pour atteindre la finale de la Coupe d’Europe des Vainqueurs de Coupe. Il affronte West Ham United. Debout, à l’extrême gauche, avec le brassard : Gille Van Binst.  » J’ai été ému « , confie Van Der Elst en pensant à l’émission de Canvas, qui a montré son ancien collègue, qui souffre de la maladie de Parkinson et achève sa vie dans un petit hôtel.  » Gille et moi nous sommes toujours bien entendus. Il passait parfois boire une bière ici et, l’année dernière, il m’a interviewé. Nous avons regardé cette photo ensemble.  » Van Der Elst exploite son établissement à Opwijk depuis trente ans. Il a chopé le virus de ce jeu en Angleterre : après un passage au New York Cosmos, il a joué pour West Ham.

SWAT VAN DER ELST : L’équipe jouait souvent au snooker. Quand cette mode a gagné la Belgique, j’ai ouvert ce centre avec Leo, mon frère. Je m’occupais du café et, plus tard, je lui ai racheté ses parts. J’avais encore du personnel. Nous ouvrions à dix heures trente mais les gens faisaient la file une demi-heure avant. Ils se précipitaient pour avoir une des six tables. Cette époque est révolue et je travaille seul. C’est dur. J’ai fermé à trois heures du matin. Je n’arrive pas à me coucher immédiatement : je fume d’abord une cigarette. J’en fumais trois ou quatre par jour pendant ma carrière. Il y a quelques années, j’ai passé un test cardiaque.  » Vous avez fait beaucoup de sport ?  » Le médecin ne savait pas qui j’étais. Tout était en ordre, je n’ai jamais eu de problèmes de santé jusqu’il y a peu : quand il pleut, je passe à travers mes chevilles. Ça doit être de l’arthrose.

 » J’AI DÛ REPARTIR DE ZÉRO À DEUX REPRISES  »

Tu n’avais que 31 ans quand tu as mis un terme à ta carrière, après une fracture de la cheville.

VAN DER ELST : Je perçois encore une rente annuelle d’invalidité de quelques centaines d’euros. J’aurais sans doute pu jouer encore un an ou deux mais je n’ai pas fait assez d’efforts pour ça.

Avant d’ouvrir ce centre, tu as investi dans le hall sportif près du ring de Bruxelles, où joue Asse-Lennik, le club de volley.

VAN DER ELST : Je devais en devenir le manager mais d’autres ont filé avec l’argent. Mais mon divorce m’a coûté encore plus cher. J’avais laissé la maison à mon ex-femme, en pensant qu’elle reviendrait ensuite à mes enfants mais elle l’a vendue à la mort de Kevin. J’aurais un fameux bas de laine si je n’avais pas été aussi bête. J’ai donc dû repartir de zéro à deux reprises. Je ne me plains pas : je noue les deux bouts et je peux faire ce que je veux, dans les limites du raisonnable.

L’anniversaire de la finale te fait-il encore quelque chose ?

VAN DER ELST : 40 ans… Le temps passe vite. Récemment, le Sporting m’a invité à l’occasion de cet anniversaire : un dîner avec la presse et la direction le vendredi, une réception avec les supporters le samedi et le dimanche, avant le match contre Gand, un hommage. Ce n’est pas évident. Ma femme peut prendre un demi-jour de congé le vendredi mais le samedi, quelqu’un doit m’aider ici. L’année dernière, pour mes 60 ans, j’ai donné le coup d’envoi du match contre le Club Bruges. J’ai reçu un maillot et deux cartes près du kop. Mais ces places étaient déjà occupées. Du coup, les stewards m’ont trimballé de gauche à droite. A l’EURO 2000, c’était plus navrant encore : vingt ans après avoir disputé la finale de ce tournoi, les Diables de l’époque n’ont même pas reçu de billets ni été présentés aux supporters. Quand l’un d’entre nous veut assister à un match, nous devons demander des billets et pas question d’assister à la réception officielle d’après-match. N’avons-nous donc rien prouvé ?

 » À PART LE MAILLOT DE GEORGE BEST, J’AI TOUT DONNÉ  »

La salle est remplie de photos mais as-tu conservé des médailles ou des trophées ?

VAN DER ELST : Cette autre photo a été prise quand j’ai été sacré meilleur buteur en 1977. Sinon, il n’y a rien ici. J’ai conservé des trucs à la maison, dont un maillot de George Best, entre autres, mais j’ai déménagé plusieurs fois et j’ai habité seul un moment. Je dois avoir perdu des souvenirs. J’ai donné tous les maillots d’Anderlecht et de West Ham.

Il y a dix ans, quand je t’ai demandé le tiercé de tes plus beaux souvenirs, tu as placé le match Ecosse-Belgique de 1979 en un. Devant la finale contre West Ham et la finale de l’EURO 1980 contre l’Allemagne de l’Ouest.

VAN DER ELST : Ce match a assuré notre qualification pour l’EURO 1980. J’ai inscrit deux buts. Mais tu as raison : plus personne n’en parle. La finale a été le summum, surtout avec mes deux buts. Le dernier était vraiment typique de moi : j’ai démarré de mon camp au bon moment – avec un partenaire de la classe de Rensenbrink, tu savais que tu recevrais le ballon – puis j’ai foncé vers le but. J’ai patienté puis j’ai tiré à mon aise. C’est un des plus beaux buts de ma carrière. Parfois, des clients m’en parlent et j’ouvre mon ordinateur pour leur montrer ces images.

Tout le monde se souvient du penalty de cette finale de l’EURO. Tu fonces seul vers le gardien allemand, tu es fauché en dehors du rectangle mais l’arbitre siffle penalty et René Vandereycken le convertit.

VAN DER ELST : Je suis scié d’avoir pu jouer quatre matches. Je n’ai pas disputé un bon tournoi car j’avais trop la tête à mon transfert en Amérique, arrangé par Hennes Weisweiler. Il avait entraîné Barcelone et le Borussia Mönchengladbach et il me voulait à tout prix. S’il avait entraîné Madrid ou Liverpool, j’aurais joué pour ces clubs.

 » JE SUIS PARTI BEAUCOUP TROP TÔT AUX ÉTATS-UNIS  »

Ces clubs ont quand même une autre dimension que le Cosmos ?

C’est vrai mais j’avais toujours rêvé de l’Amérique. Avec le recul, je ne le referais cependant plus. Surtout pas aussi tôt. Je suis toutefois heureux d’avoir vécu cette expérience. J’ai vu l’Amérique du Sud, les Bahamas, grâce au Cosmos. J’ai joué avec Franz Beckenbauer, Johan Neeskens et Carlos Alberto, le capitaine du grand Brésil, lauréat de la Coupe du Monde 1970. Ça n’a duré qu’un an et demi. Weisweiler ne voulait plus de moi. Dennis Roach, un manager connu, m’a téléphoné pour me demander si je voulais passer un week-end à West Ham. J’ai assisté à un match contre Arsenal et j’ai été conquis. Mon transfert a été réglé en un tournemain. Mais qu’est-ce que j’ai souffert ! Je suis passé d’un pays de cocagne à la dure réalité du football.

Es-tu encore connu à West Ham ?

VAN DER ELST : L’équipe joue son dernier match à Upton Park le 10 mai, avant de déménager au stade olympique. Je suis invité mais je ne pense pas que j’irai. C’est toujours le même refrain : qui va s’occuper de mon affaire ? J’ai demandé si mon frère pouvait m’accompagner mais il doit payer son billet et ne sera pas assis à côté de moi. Dans ces conditions, non merci. J’ai reçu un billet mais je dois m’occuper moi-même du transport et du séjour. Le club ne veut pas faire d’exception, bien que j’aie été le seul véritable étranger, puisqu’à part moi, il n’y avait que des Ecossais et des Irlandais. Ça ne doit quand même pas coûter si cher ?

 » JE N’AI CONSERVÉ AUCUN AMI DANS LE MILIEU DU FOOT  »

Tu n’es resté qu’un an et demi à Londres aussi.

VAN DER ELST : Ma première femme voulait revenir en Belgique. Elle ne se plaisait pas en Angleterre. Le club était disposé à me payer un billet d’avion tous les quinze jours mais je l’ai suivie. En plus, les enfants allaient entamer leur scolarité.

As-tu conservé des amis dans le milieu ?

VAN DER ELST : Aucun. Je n’avais de contacts réguliers qu’avec Fons Bastijns (ex-Club Bruges, ndlr). Nous avions une équipe de vedettes, chanteurs, acteurs et anciens footballeurs. Fons en faisait partie. Le courant passait bien. Ma deuxième épouse s’entendait bien avec la sienne et nous passions parfois nos vacances ensemble. Nous nous retrouvions six fois par an pour manger chez l’un ou l’autre. Nos rencontres se sont raréfiées avant son décès. Nous nous téléphonions mais j’avais l’impression qu’il était ivre. J’ai ensuite appris qu’il souffrait de SLA. Il ne me l’avait jamais dit.

N’étais-tu pas lié à Johan Neeskens ?

VAN DER ELST : Il m’a invité pour ses 40 ans. Il habitait alors en Suisse et j’ai passé trois jours chez lui. A mon arrivée au Cosmos, le club l’avait suspendu et il était naze. Il était parfois allongé n’importe où, à cause de ses pilules. Comme j’étais seul les deux premiers mois, je me suis occupé de lui. Il a souvent dormi chez moi et il ne l’a jamais oublié. Belga Sport m’a un jour accompagné à Barcelone et m’avait demandé ce que je souhaitais revoir. Johan était alors l’adjoint de Frank Rijkaard. Nous n’avions plus eu de contact après ses 40 ans, c’est bizarre, non ?

 » TOUTES LES PORTES S’OUVRAIENT AUX JOUEURS DU COSMOS  »

Ne l’as-tu plus revu ?

Van Der Elst : J’ai demandé son numéro, pour revenir voir un match. Il m’a dit que je n’avais qu’à téléphoner. Je l’ai fait. J’ai emmené un ami et je me suis même retrouvé sur le terrain d’entraînement avec Ronaldinho. Un an plus tard, mon cousin a voulu m’accompagner. J’ai appelé Johan : pas de problèmes. Nous avons reçu des billets à 1.250 euros et nous avons pris place dans la tribune d’honneur à côté de Joan Laporta, qui était alors président du Barça. Après le match, j’ai croisé Johan mais des amis néerlandais lui rendaient visite aussi et je devais repartir immédiatement. Ce fut notre dernier contact. En 2008. Je n’ai plus son numéro de téléphone aujourd’hui.

Les joueurs du Cosmos vivaient dans un monde de fêtes, de boisson, de drogues, de célébrités. N’as-tu jamais cédé à la tentation ?

VAN DER ELST : Pas du tout. De fait, toutes les portes s’ouvraient. Il y avait le fameux Studio 54, un nightclub mal famé, à New York, mais franchement, je n’y ai jamais remarqué les parties fines dont on parlait tant. Apparemment, ça se passait avant mon arrivée.

Quel regard portes-tu sur ces 40 ans ?

VAN DER ELST : Peu de joueurs ont disputé une finale européenne trois années d’affilée et gagné deux supercoupes, contre Liverpool et le Bayern. Je suis très fier de ma carrière, même si j’aurais dû rester plus longtemps en Angleterre et ne pas partir si tôt en Amérique. Mais j’étais trop influençable. Parfois, j’ai l’impression d’être sous-estimé mais c’est sans doute ma faute : je n’aime pas être sous le feu des projecteurs.

 » JE SUIS PARVENU À SURMONTER LES ÉPREUVES TOUT SEUL  »

Ta vie privée a été attristée par le suicide de ton fils, qui s’est jeté sous un train, et par le cancer dont ta fille a souffert.

VAN DER ELST : A la mort de Kevin, je me suis dit que soit je flanchais, soit je surmontais ça, aussi dur que ce fût. Il faut aller de l’avant, la vie est trop belle. C’était un garçon fantastique et il a fait ça. J’ai eu une carrière merveilleuse mais rien ne peut compenser la perte de mon fils.

Ton frère Leo a fait appel à un psychologue mais pas toi : tu t’es renfermé encore un peu plus.

VAN DER ELST : Ce n’était pas bon. Depuis, je suis devenu plus ouvert. Je peux désormais parler de Kevin pendant des heures. Quelques années après son suicide, ma fille a attrapé le cancer, alors qu’elle venait d’accoucher de Yarne. Elle a tellement peur qu’elle va bientôt faire enlever son second sein, à titre préventif. Ça va me ronger quelques semaines mais je sais que ça ira bien. Les premières années, je parlais encore à une photo de Kevin. Mais ça m’est passé. Je ne me rends pratiquement plus jamais au cimetière. Il n’y a que cette bougie devant sa photo. Je l’allume toujours le 3 février, le jour où c’est arrivé.

Comment as-tu tout surmonté ?

VAN DER ELST : Moi-même. Ça m’a coûté un second divorce car j’en parlais trop peu et je buvais parfois plus que de raison. C’était ma faute mais ce qui est arrivé à Doreen a été un nouveau coup dur. Combien de fois ne l’ai-je pas conduite à ses séances de chimio… Sinon, à quoi servirait un père ? Pareil avec Yarne. Doreen est divorcée. Je vais chercher mon petit-fils à l’école les semaines où elle a sa garde, sinon elle devrait payer la garderie. Qu’importe si j’ouvre mon snooker à trois heures et demie au lieu de trois heures ces jours-là ? Je colle un papier sur la porte. Je suis fier de pouvoir attendre mon petit-fils à la porte de l’école.

 » J’AI DIT NON À ANDERLECHT COMME ENTRAÎNEUR DES JEUNES  »

Joue-t-il au football ?

VAN DER ELST : En U10. Le hasard veut que tous les dimanches, un club philatéliste se réunit dans mon club. A dix heures du matin, ma femme peut se débrouiller seule et je vais voir Yarne. Une mi-temps car après, je dois travailler. Parfois, il joue le samedi à 9 heures. C’est trop tôt pour moi, ma fille le sait ! Tu vois cette photo ? C’est Yarne avec moi, quand j’ai donné le coup d’envoi d’Anderlecht-Club, pour mes 60 ans. Il était fier ! C’est une crème, ce garçon. Je le gâte peut-être trop mais quand après une semaine d’absence, il me serre dans ses bras à la porte de l’école parce que je lui ai acheté le couvre-lit de Barcelone, je fonds.

Tu n’es pas resté dans le milieu du football.

VAN DER ELST : Sciemment. Michel Verschueren m’a demandé d’entraîner une équipe de jeunes dès que j’ai raccroché mais ça ne m’intéressait pas. Je vais rarement voir un match. Leo et sa femme dirigent un bureau événementiel et accompagnent souvent des clients à des matches à Barcelone, Madrid ou Manchester. Je les accompagne parfois mais le dimanche, je préfère me rendre au banquet d’un client ou donner le coup d’envoi quelque part. J’ai été délégué de l’équipe première d’Opwijk pendant quatre ans. Mon frère aîné m’a traité de fou : délégué en Promotion ! Je ne m’estime pas trop bon pour ça.

PAR JAN HAUSPIE – PHOTOS BELGAIMAGE

 » J’aurais dû rester plus longtemps en Angleterre.  » – FRANÇOIS VAN DER ELST

 » Les aléas de la vie m’ont fait boire plus que de raison.  » – FRANÇOIS VAN DER ELST

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