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La méthode Rednic

Il n’est pas le seul artisan du miracle mouscronnois. Mais on devine qu’il n’y est pas pour rien ! Comment ça marche ?

Ça se passe en février dernier. Mircea Rednic nous reçoit pour une longue confession. On a l’impression qu’il s’est arrêté à Mouscron pour une simple opération sauvetage quand même vouée à l’échec. Quelques semaines plus tôt, il a repris une équipe à la rue. Et au moment de cette interview, elle y est toujours. Bien calée tout en bas du classement. Mais bon, il s’occupe. À certains moments de l’entretien, on dirait qu’il a accepté cette mission simplement pour ne pas s’ennuyer. Pour oublier ses soucis de santé, l’ablation d’une tumeur de la peau, quelques mois plus tôt.  » Tu ne sais jamais prévoir comment ça va évoluer. Maintenant, je me dis que c’est le moment de profiter à fond de la vie. Pour ça, je dois voir des gens. C’est exclu de m’enfermer chez moi, de me replier sur moi-même.  » Histoire, aussi, de vivre à nouveau un peu dans cette Belgique qu’il considère comme son  » deuxième pays « .

On parle gros sous.  » J’ai gagné beaucoup d’argent. Comme joueur, comme entraîneur, dans les affaires. J’ai presque tout. Je roule dans une Bentley à 200.000 euros, j’ai une maison qui vaut 2 millions en Roumanie, j’ai deux filles qui ont de l’argent.  » Il avoue qu’il a, au Canonnier, le plus petit contrat de sa carrière. Aussi ceci :  » C’est la toute première fois que j’entraîne une équipe qui se bat pour ne pas descendre.  » Et on fait semblant de le croire quand il lâche :  » On a 99 % de chances de se sauver.  »

Entre-temps, il y a eu, dans l’ordre : le sauvetage, une prolongation de contrat, un début de championnat que personne n’avait prédit. Alors, c’est quoi la méthode Mircea Rednic ? Des joueurs et des proches témoignent et nous font découvrir sa face cachée.

Le jeu

 » Le schéma est presque toujours le même et il est très précis « , lance Jérémy Huyghebaert, le capitaine.  » Le football de Rednic, c’est un 4-4-2 avec deux vrais attaquants. J’ai eu des entraîneurs qui bousculaient tout en fonction des adversaires, ça peut être déstabilisant. Avec Rednic, seule la position du bloc bouge. Par exemple, il a mis le bloc plus bas dans nos matches contre Bruges et Zulte Waregem, vu la qualité de ces équipes. Il a demandé aux attaquants d’être un peu plus défensifs que d’habitude, de se rapprocher du médian défensif adverse. Mais le schéma global et l’animation étaient les mêmes que dans nos autres matches. Il nous dit qu’il n’aime pas les équipes qui ne montent sur le terrain que pour défendre, casser le jeu. Il dit aussi qu’on ne peut pas gagner un match si on ne marque pas au moins un but, et donc qu’il faut se donner les moyens de marquer.  »

David Hubert, aujourd’hui à Louvain, a travaillé avec Rednic à Gand puis l’a retrouvé la saison passée à Mouscron.  » Chaque fois que c’est faisable, il veut que son équipe joue au ballon. Un jeu au sol, à partir de l’arrière. Mais tu ne peux pas faire ça contre n’importe quel adversaire. Quand il n’y a pas trop la possibilité pour jouer au foot, il demande un jeu plus direct, avec des longs ballons. Plusieurs fois, on a commencé des matches, surtout chez nous, par une succession de longues balles. Pour lui, c’était une façon de faire passer un message : -On est chez nous, on vous met directement sous pression, on ne va rien lâcher. Il voit vite, aussi, s’il est préférable de faire le gros dos, quand l’adversaire a le contrôle du match. Dans des moments pareils, il veut que ses joueurs restent calmes, prennent le temps et analysent les opportunités de frapper en contre-attaque.  »

Laurent Demol est l’un des deux adjoints de Mircea Rednic.  » Que ce soit en possession ou en perte de balle, les joueurs savent où et comment ils doivent courir. C’est répété chaque semaine. Que l’adversaire soit Bruges, Zulte Waregem ou Tubize, les missions individuelles restent fort semblables. Ils ont tous le dispositif bien en tête, c’est l’avantage quand on ne me modifie pas continuellement le schéma. Rednic explique par exemple qu’en courant dix mètres de plus en possession, on peut éviter de devoir courir trente mètres de plus après avoir perdu le ballon. Quand on perd beaucoup d’influx en reconversion défensive, on risque de le payer en fin de match.  »

Le discours

Rednic est arrivé à Mouscron au moment où Yuri Selak y avait les affaires sportives en charge.  » Je pensais déjà à lui pour commencer la nouvelle saison mais la direction préférait continuer avec Glen De Boeck, qui nous avait sauvés. Une décision logique.  » L’ex-directeur sportif est impressionné par la… simplicité du discours tactique du Roumain.  » Il y a tellement d’entraîneurs qui bourrent le crâne de leurs joueurs avec un tas de consignes, un tas de choses à faire en fonction des qualités de l’équipe d’en face. Rednic, c’est tout le contraire. Il ne regarde pas dans l’assiette des autres. Quand il explique son 4-4-2 au vestiaire, c’est simple, ça coule de source. Les gars comprennent facilement son langage, c’est une de ses forces. Il parle de la même façon à tout le monde et il se fout des noms et des âges. Il peut faire une entière confiance à un gamin de 19 ans à un poste clé. C’est un booster de confiance, et dès qu’il y a une pression particulière, il la prend sur lui pour que les joueurs n’en souffrent pas. La saison passée, on va à Bruges à un moment où chaque match est crucial pour notre maintien. En plus, le coach doit bricoler parce qu’il nous manque deux ou trois joueurs importants. Pendant la semaine qui précède, il fait comprendre au groupe que Bruges est une équipe comme une autre, que ses gars n’ont que deux bras et deux jambes, qu’il suffira de rester organisé et de faire des bonnes passes pour embêter les Brugeois. On fait un super match, on mène 0-1 et on n’est battus que dans les dernières minutes.  »

Jérémy Huyghebaert confirme qu’il n’y a pas de passe-droits.  » Tout le monde est susceptible à tout moment d’être convoqué dans son bureau pour une mise au point individuelle. Qu’on soit titulaire ou réserviste, on sait qu’on peut y passer. Une de ses forces, c’est qu’il arrive à garder tout le monde éveillé. On a vu ce que ça a donné la semaine passée en Coupe contre Tubize. Il avait laissé quelques titulaires au repos. Pas parce qu’il avait décidé de faire tourner mais parce qu’il avait bien vu, dans notre match contre Zulte Waregem, qu’une fatigue commençait à s’installer. Ceux qui ont joué en Coupe ont montré qu’ils étaient prêts.  »

La discipline

Mircea Rednic, on le voit plus souvent rigoler que gueuler ou faire la tête.  » C’est très simple avec lui « , continue Yuri Selak.  » Il prévient une fois. Il intervient éventuellement une deuxième fois. Mais il n’y a pas de troisième. Celui qui ne le suit pas, il est grillé. Sans que Rednic doive vraiment élever la voix. Il a une autorité naturelle et son passé, de joueur et d’entraîneur, suffit à installer le respect.  »

Sur le plan de la discipline, David Hubert a connu deux Mircea Rednic différents.  » Gand l’avait appelé pour remettre de l’ordre dans le vestiaire après l’épisode Victor Fernandez. On lui avait clairement demandé de nous rentrer dedans, alors il l’a parfois fait. Je n’ai jamais revu ça à Mouscron, j’ai retrouvé un homme bien plus posé, plus calme, plus serein. Mais ça peut s’expliquer parce que les contextes étaient très différents. À Gand, la pression était énorme. On jouait dans le nouveau stade et les résultats ne suivaient pas, ça irritait pas mal de monde. Rednic était nerveux, comme presque tout le monde là-bas. Les dirigeants étaient censés aider leur nouvel entraîneur mais je n’ai pas trop l’impression qu’ils aient fait tout ce qu’il fallait faire. La situation aurait été compliquée à gérer pour n’importe quel coach. Rednic est arrivé là au plus mauvais moment. Je pense qu’il n’a pas gardé un super souvenir de son passage à Gand. À Mouscron, le contexte de son arrivée était tout autre. Il y avait aussi une pression, celle du sauvetage. Mais qu’est-ce qu’il avait à perdre ? L’équipe était quand même à la dernière place quand il a signé. Il ne pouvait pas faire pire. Le club n’avait non plus les moyens de renouveler le noyau en janvier. Il savait donc qu’il devrait faire avec le matériel mis à sa disposition, on lui a juste donné deux ou trois nouveaux joueurs, et il a tout fait pour mettre tout le monde en confiance. Il nous a dit, par exemple : -Ça ne sert à rien de dire qu’on va essayer de faire quelques bons matches. On doit voir plus loin, on doit se convaincre qu’on arrivera à se maintenir. On va se battre pour chaque morceau de terrain. C’est un peu bizarre avec le recul, mais on y a tous cru alors que la situation, sur le papier, était vraiment désespérée.  »

 » Il est assez souple mais il sait serrer les boulons à des moments précis « , explique Laurent Demol.  » Il peut rigoler avec tout le groupe, puis dans les deux secondes, il met une savonnette à un joueur qui ne respecte pas une consigne. Par exemple, il ne supporte pas qu’on commence à planer après un bon match. Il dit alors, par exemple : -Les gars, on n’est nulle part par rapport à notre objectif qui est le maintien.  » En dehors des terrains, le staff côtoie un T1 qui est loin de n’avoir que le foot en tête.  » Il parle de football mais aussi d’un tas d’autres choses « , poursuit l’adjoint.  » Il en connaît un bout sur la politique, belge et étrangère. Il nous explique ce qu’il a vécu en Roumanie au temps de Nicolae Ceausescu, il a plein d’anecdotes.  »

Le préparateur physique, Olivier Croes, évoque  » un bon vivant, il aime bien aller boire un verre ou se faire un resto à Mouscron.  » Lui aussi voit un homme à deux visages :  » Il force naturellement le respect des joueurs par sa carrière, son charisme, sa façon de se tenir, la manière dont il s’exprime. Et il a un côté imprévisible, c’est parfois compliqué de décrypter les réactions qu’il va avoir si quelque chose ne lui plaît pas. Mais, vu la façon dont il peut montrer les dents, personne n’a envie de mettre un pied de travers. Pour résumer, je dirais que c’est un gars qui aime rigoler mais qui veut surtout que le travail soit bien fait.  »

L’ADN

Paul Allaerts, le directeur général, parle génétique…  » Mircea Rednic correspond à l’ADN de ce club. L’ADN de Mouscron, ce sont notamment des jeunes joueurs conscients qu’ils peuvent prendre leur envol ici. Des jeunes qui s’identifient à Emile et Mbo Mpenza, par exemple. À leur époque, plusieurs joueurs ont profité de la plate-forme de l’Excel pour lancer leur carrière. Rednic ne veut pas des gamins qui signent ici parce qu’ils n’ont rien d’autre, il ne retient que des gars qui ont faim et croient à notre projet.  »

Pour le directeur, l’ADN du Canonnier, c’est aussi un engagement total, à tous les instants.  » Le match de cette saison contre Gand m’a marqué. On était menés 0-2 à la mi-temps. Quand j’ai quitté ma place en tribune, des supporters m’ont apostrophé et m’ont dit : -C’est super, ils continuent à tout donner, c’est le Mouscron qu’on veut voir. Ils voyaient que Rednic, devant son banc, ne les lâchait pas, qu’il les encourageait à se battre, qu’il voulait leur faire comprendre que ce n’était pas fini. Et on a gagné 3-2. Avec une deuxième mi-temps complètement à l’image de Mircea Rednic. Ici, les gens savent qu’on ne va pas gagner tous nos matches, mais s’ils voient une équipe et un staff technique concernés à 200 %, ils sont heureux.  »

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Mircea Rednic explique qu’en courant dix mètres de plus en possession, on peut éviter de devoir courir trente mètres de plus après avoir perdu le ballon.  » – Laurent Demol, adjoint

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