La méthode Grosjean

Comment le Liégeois s’y est-il pris pour assurer le maintien de son équipe dès le mois de février?

La réussite actuelle de Marc Grosjean est d’autant plus belle qu’il est passé à deux doigts de la guillotine. Après son éviction à La Louvière, on aurait pu croire qu’il ne recevrait jamais de deuxième chance en D1. Aujourd’hui, plus personne ne doute de ses capacités à travailler à ce niveau.

Ses méthodes de travail sortent-elles de l’ordinaire? Sur quels aspects a-t-il mis l’accent pour que Mons trouve directement le bon rythme en première division? Des joueurs et son manager témoignent.

La tactique (Eric Joly)

« Avant de signer, j’ai voulu savoir comment Marc Grosjean avait l’intention de jouer. Il m’a directement dit que l’équipe évoluerait en 4-5-1 parce qu’une équipe montante ne pouvait pas prendre trop de risques offensifs en début de championnat. Il a insisté sur la nécessité de bien meubler l’entrejeu. Nos matches amicaux n’ont pas été très concluants et il y a alors eu des doutes dans le groupe. Plusieurs joueurs estimaient qu’il fallait aligner un deuxième attaquant. Cela pouvait se comprendre car nous ne marquions pas beaucoup. Les supporters et les médias faisaient aussi la grimace. En fait, il fallait simplement attendre que la mayonnaise prenne, que les nouveaux joueurs trouvent leurs marques. On s’est assez vite rendu compte que ce 4-5-1 n’était pas défensif du tout. C’est notre disposition en perte de balle, mais dès que nous attaquons, nous avons deux, trois, quatre ou cinq joueurs devant. Comme Bruges, finalement. On dit que cette équipe joue en 4-3-3, mais en perte de balle, elle est disposée comme la nôtre: elle ne garde qu’un seul homme à l’avant.

Pendant la campagne de préparation, Marc Grosjean a consacré quelques demi-journées à des discours tactiques. Il a bien fait entrer certaines choses essentielles dans les têtes, et aujourd’hui, il ne parle plus tellement de notre système. Nous sommes censés l’avoir complètement assimilé. Depuis le début de la saison, nous n’avons pas adapté une seule fois notre dispositif tactique. Nous avons joué dans un 4-5-1 théorique aussi bien contre Bruges que face à Lommel. Et les titulaires ne changent pas non plus en fonction de l’adversaire. Notre système est immuable, mais l’entraîneur parle beaucoup du prochain adversaire. Il nous dit tout sur chaque joueur, du gardien de but au centre avant: sa taille, ses points forts, ses faiblesses, ses petits trucs, ce qu’il déteste.

Il est assez têtu mais il écoute quand même les quatre leaders du noyau: Cédric Roussel, Liviu Ciobotariu, Olivier Suray et moi-même. Nous ne décidons de rien mais notre avis est le bienvenu. Je pense que l’entraîneur nous le demande surtout pour se rassurer. J’ai connu des coaches qui étaient plus ouverts à la discussion, mais aussi d’autres qui l’étaient beaucoup moins. Un Patrick Remy, par exemple, ne voulait rien entendre. En match, il y a deux relais sur le terrain: Suray et moi. Marc Grosjean nous crie régulièrement des consignes que nous devons transmettre à toute l’équipe ».

Le physique (Cédric Roussel)

« Marc Grosjean aime le travail physique mais les joueurs l’acceptent facilement parce que c’est varié et très bien dosé. Même lors de l’entraînement du mardi matin, qui est le plus dur de la semaine, on s’amuse et on ne ressent pas trop la débauche d’efforts. C’est très rythmé, on passe d’une chose à l’autre et les exercices s’enchaînent à une vitesse incroyable.

La préparation estivale s’est faite de manière très progressive. L’entraîneur a demandé des tests médicaux poussés pour chacun des joueurs, afin de savoir où nous en étions exactement. Il est parvenu à amener doucement chacun au même niveau, par des programmes de course individuels. Moi, j’étais très mal en revenant en Belgique, mais j’ai récupéré petit à petit ma meilleure forme grâce à un planning de travail très intelligent. Nous subissons des tests de lactate et notre poids est contrôlé très régulièrement, ce qui permet d’adapter de temps en temps notre programme. Nous n’avons connu qu’un creux depuis le début de la saison: en fin de premier tour, à cause de l’accumulation d’efforts et des terrains gelés. A l’Antwerp en Coupe et contre La Louvière en championnat, nous avons clairement senti que les vacances étaient bien nécessaires. Mais nous n’avons jamais été dominés par l’adversaire pendant tout un match. Le coach observe et voit quand nous sommes fatigués. Et il est à l’écoute du groupe. Mardi dernier, nous étions crevés parce que le match à l’Antwerp avait été très physique et nous avions eu deux entraînements le lundi. Liviu Ciobotariu l’a fait remarquer à Marc Grosjean et il a remplacé l’entraînement de l’après-midi par une séance de sauna et de jacuzzi. La semaine précédente, il avait accepté une partie de bowling en remplacement d’un entraînement traditionnel. Il prend en compte l’avis de tous les joueurs, il n’attend pas que la demande d’alléger le programme vienne du capitaine ou d’un autre leader du noyau ».

Le mental (Liviu Ciobotariu)

« La psychologie est certainement un des points forts de Marc Grosjean. Il a plusieurs formules pour nous motiver, et celle qui revient le plus souvent, c’est: -On doit être le premier club wallon en fin de saison. Il nous parle beaucoup, que ce soit en semaine ou le jour des matches. Pendant le stage d’été, il appelait chaque jour deux joueurs pour une discussion approfondie. Depuis le début du championnat, il en fait passer presque tous les jours un dans son bureau. Avant un match, il parvient à rester calme. On le sent fort stressé, mais il garde ses moyens. J’ai connu des coaches qui étaient paralysés et ne savaient plus ouvrir la bouche. Quand Grosjean est fâché, ça se voit aussi au premier coup d’oeil. Il y a parfois eu de l’ambiance pendant la mi-temps. Pas au point de défoncer des portes, mais c’était fort quand même. C’est toutefois après le match à domicile contre Bruges que nous avons vraiment vu comment il était quand les choses n’ont pas tourné comme il le souhaite. Nous avions encaissé un but assassin dans les dernières secondes et il nous a bien fait comprendre que ça ne pouvait plus jamais arriver. Mais c’est une exception. Généralement, il attend le lundi pour faire le debriefing, dans le calme. Il dit alors à chaque joueur ce qu’il a raté pendant le match du week-end ».

L’autorité (Olivier Baudry)

« Marc Grosjean est relativement souple, mais il ne faut quand même pas trop le contrarier… S’il a un avis différent du vôtre, il vous le fait vite savoir. Mais j’ai quand même connu des entraîneurs beaucoup plus autoritaires. Jusqu’ici, les seules sanctions qu’il a prises résultaient de retards. Tout le monde doit être au stade une heure avant le début de l’entraînement, ou il faut passer à la caisse. Pour ce qui est de la diététique, il ne nous ennuie jamais. Un docteur nous a fait un speech en début de saison et nous sommes censés avoir compris ce qui est bon pour notre organisme et ce qui ne l’est pas.

J’ai eu une discussion avec l’entraîneur pendant le premier tour. Je lui ai demandé d’arrêter de m’engueuler continuellement quand je joue sur le flanc où se trouve le banc. Cela ne me plaît pas du tout et ça me déstabilise. Il est possible que ce soit la bonne méthode avec certains joueurs, mais pas avec moi. S’il a changé de comportement suite à cette conversation? Je n’en sais rien: depuis lors, je ne joue plus (il grimace)« !

Les réservistes (Grégory Delwarte)

« Marc Grosjean donne son équipe le jour du match et ne se justifie jamais auprès des réservistes. C’est normal. Il a un noyau de 22 joueurs, et s’il commence à expliquer chacune de ses décisions, on n’en sortira pas. En plus, les résultats lui donnent raison et il doit donc avoir encore moins envie de s’excuser face à ceux qui ne jouent pas. Mais il parvient, par de petites discussions individuelles en semaine, à maintenir tout le groupe en éveil. La force de Mons, c’est aussi son banc. Et cela, c’est le mérite du coach ».

L’ extrasportif (Jean-Claude Verbist)

« Marc Grosjean est attentif à tout et exigeant. Très exigeant. Parfois trop…Je donne un exemple récent. Il nous a demandé d’aménager le vestiaire, qui est indigne de la D1. Il voudrait qu’on y installe une armoire pour chaque joueur, comme je l’avais fait autrefois à La Louvière. Mais je ne peux pas me permettre des frais pareils: cela coûterait 12.000 euros. Les travaux à notre stade commenceront dans trois mois et de nouveaux vestiaires seront construits. Les fameuses armoires ne serviraient donc plus à rien. Cela, Marc ne le comprend pas. Il ne saisit pas non plus qu’il est difficile de traiter avec le secteur public. Dès qu’il faut demander des subsides, cela prend beaucoup de temps. Nous devons passer par la Ville, la Province, faire des appels d’offre, etc. Cette procédure ralentit certains dossiers mais il est impossible de faire autrement. Marc croit parfois que tout peut aller aussi vite que quand on traite avec le privé: il y a de l’argent ou il n’y en a pas, et s’il y en a, on fonce.

Je comprends que notre manque de confort l’énerve parce que c’est un vrai pro qui peut passer trois ou quatre heures pour préparer un entraînement. Et, à sa décharge, je peux aussi dire que tout ce qu’il réclame va dans l’intérêt du groupe et du club. Il ne pense pas à lui et a fait passer le sportif avant le financier quand il est venu chez nous. Par rapport à la majorité des entraîneurs de D1, il n’est pas cher du tout. Il vient de nous demander une adaptation de son contrat et c’est justifié. Que ce soit à La Louvière ou à Mons, j’ai déjà été amené trois fois à négocier avec lui, et les conditions financières n’ont jamais été un obstacle ».

Pierre Danvoye

« Nous n’avons pas changé une seule fois de tactique » (Eric Joly)

« Grosjean est exigeant. Très exigeant. Parfois trop… » (Jean-Claude Verbist)

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