La Mersey déborde

Partagée entre Reds et Tofees, la capitale européenne de la culture 2008 connaît également une rivalité historique avec Manchester.

Liverpool a la gueule de bois. Mais, c’est avec fierté que les habitants de la ville se sont levés pour montrer leurs écharpes rouges. La vieille, Liverpool a atomisé Marseille et comme de bien entendu, cette victoire a rempli les tiroirs-caisses des pubs.  » Comme tout lendemain de victoire, le chiffre d’affaires du fan-shop va augmenter par rapport à un jour normal « , explique un employé du mégastore du centre-ville. Ici, plus qu’ailleurs, les rues transpirent le football. Les échoppes de souvenirs et de gadgets de foot se bousculent au centre-ville. Et ce n’est que depuis quelques années que Liverpool a décidé de se concentrer sur d’autres projets que le football.  » Pendant toutes les années MargaretThatcher, Premier ministre anglais entre 1979 et 1990, Liverpool s’est repliée sur elle-même et s’est focalisée sur le football, véritable exutoire des années de misère « , ajoute Calvin Harrisson, journaliste à News of the world.

Aujourd’hui, Liverpool se découvre un patrimoine mondial de l’Unesco – les docks qui ont été rénovés et qui abritent désormais la Tate Liverpool, des flats luxueux et un musée consacré aux Beatles – et une vocation culturelle. Dès janvier 2008, la ville deviendra capitale européenne de la culture.  » Cela a donné un nouvel élan et a permis à certains projets de se concrétiser comme Liverpool One, un projet moderniste de commerces en plein centre, ou un tout nouveau centre de congrès, près des docks « , confirme Minnie Temple du bureau Liverpool08, mis sur pied pour vendre la capitale culturelle. L’image de cité brumeuse, abrutie par la misère est bien loin de la réalité. Le taux de chômage est descendu de 18,8 % à 3,8 % et pour la première fois depuis 1930, la population de la ville a vu sa courbe repartir à la hausse il y a de cela deux ans. Cependant ce renouveau a laissé du monde sur la route et pas moins de 13 quartiers de la banlieue figurent encore dans le top-100 des endroits les plus déshérités du pays.

Il n’y a pas de réels critères d’appartenance

Ce nouvel engouement n’a pas écarté le football de l’échiquier.  » Le football n’est pas une question de vie ou de mort, c’est plus important que cela « , disait le mythique manager de Liverpool (1959-1974), Bill Shankly. Plus que jamais, le ballon rond imprègne la cité.  » A Liverpool, on ne peut plus parler de football, c’est devenu une religion « , surenchérit Harrisson.  » Le phénomène a débuté dans les années soixante lorsque Liverpool avait comme manager Shankly qui va mettre sur pied quelque chose de spécial. Au même moment, la musique va ébranler la cité avec l’émergence des Beatles. Ce n’est pas un hasard si ces deux phénomènes coïncident. On retrouve la même passion dans les deux mouvements « .

Depuis lors, le succès du ballon rond ne s’est plus démenti. Il faut dire que le casting était parfait pour que le film accroche une pluie d’oscars. Au départ, il y a une ville séparée en deux clans : les Rouges et les Bleus. Car, comme toute ville de foot qui se respecte, Liverpool est partagée entre les supporters des Reds du Liverpool Football Club et les Tofees d’Everton. On pourrait s’imaginer que les bastions de ces deux entités occupent chacun un quartier de la ville. Tout faux. Les stades d’Anfield Road et de Goodison Park ne sont distants que d’un petit kilomètre, à peine séparés par le Stanley Park.

 » Généralement, un club naît dans un quartier et trouve son essence dans l’opposition avec le quartier voisin. Pas à Liverpool. Historiquement, Everton fut le premier sociétaire d’Anfield et il fallut attendre qu’une dispute éclate en 1892 entre le club et le propriétaire du terrain, John Houlding, qui avait doublé le prix de location pour qu’Everton prenne ses cliques et ses claques et investisse Goodison Park. Sans club pour occuper son terrain, Houlding décida de créer Liverpool FC « , rappelle David Prentice, columniste avisé du Liverpool Echo. Depuis lors, les deux formations se vouent une haine féroce.  » La ville est divisée mais il n’y a pas de réels critères d’appartenance. Liverpool est considéré comme davantage catholique et Everton protestant mais on est loin des séparations religieuses de Glasgow. La même réflexion vaut également sur l’origine sociale. On ne peut pas dire que tel club est celui des travailleurs et que l’autre est celui des patrons. La seule chose que l’on peut affirmer, c’est que même dans les années noires des fermetures d’usines et de chômage, Liverpool n’a jamais mené de réelles actions sociales au contraire d’Everton. Il a fallu attendre la catastrophe d’Hillsborough en 1989, qui a vu 96 supporters décéder à Sheffield, étouffés contre le grillage du stade, à cause d’un trop plein de supporters, pour que Liverpool FC mette sur pied des actions caritatives « , précise Harrisson.

Dans les années 80, le titre est resté en ville huit ans sur neuf.

 » Entre les années 60 et 80, Everton et Liverpool faisaient partie des meilleures équipes du pays « , s’exclame Prentice.  » Quand une des deux formations remportait le titre, l’autre dépensait sans compter pour prendre sa revanche l’année suivante. C’est ainsi qu’en 1963, Everton remporta le titre ; l’année suivante, c’était autour de Liverpool mais la rivalité a trouvé son point d’orgue dans les années 80. Liverpool a ouvert les hostilités en s’adjugeant le titre en 1982, 1983 et 1984 mais Everton le priva du trophée en 1985. Liverpool retrouva son bien en 1986 mais Everton fêta ensuite son neuvième et dernier titre en 1987. Comme Liverpool s’adjugea encore le championnat en 1988 et 1990, cela signifie que le trophée est resté en ville huit ans sur neuf. A l’époque, on se demandait si d’autres équipes jouaient au football en dehors de Liverpool ( il rit) « .

Depuis 1990, le titre n’est plus jamais revenu sur les rives de la Mersey.  » Everton est le club qui a le plus pâti du bannissement des clubs anglais de toute Coupe d’Europe « , continue Prentice.  » Les Tofees ont été freinés dans leur conquête et ils sont devenus une simple force locale. Pourtant, le club ne manque pas de lettres de noblesse, comme celle d’être le club qui fut le premier à fêter ses 100 saisons au sein de la première division anglaise « .

Aujourd’hui, Everton relève la tête après un passage difficile dans les années 90.  » L’arrivée du manager, David Moyes, a redonné espoir. Cela fait cinq ans qu’il a débarqué. Il a reconstruit l’équipe et a accompli un formidable travail. Il a eu la bonne idée de donner à un club qui vivotait dans l’ombre du grand Liverpool une identité en le nommant le club de la ville et du peuple ( the people’s club) « . Everton a même terminé devant son grand frère en 2005  » Malgré cela, le fossé ne cesse de se creuser « , contredit Harrisson,  » Moyes fait du bon travail mais, avec l’arrivée des investisseurs américains, George Gillett et Tom Hicks, Liverpool a pris une telle avance et ampleur que ce sera difficile de le rattraper. Cela se remarque aussi dans le noyau des supporters. La marque Liverpool FC s’exporte dans le monde entier. Pas celle d’Everton. Liverpool a une grande base de fans en Scandinavie et en Australie. Le supporter d’Everton est davantage homemade. Malgré cette différence, aucune des deux formations ne veut abandonner son ancrage local. Pas question pour Liverpool de laisser à Everton la mainmise sur la ville. Les Reds s’internationalisent, ont un repreneur américain et un entraîneur espagnol mais pour eux, il est capital de garder dans le onze de base des joueurs comme Steven Gerrard ou Jamie Carragher. La même remarque vaut aussi pour Everton. Mikel Arteta reproduit le jeu léché qui faisait la marque de cette équipe dans les années 60 et 70 mais le club continue à miser sur ses jeunes comme Leon Osman ou Victor Anichebe « .

L’ennemi n’est pas celui que l’on croit

Liverpool a mieux géré l’après drame du Heysel. Certes, il a fallu vingt ans au Reds avant de goûter à nouveau à une victoire en Ligue des Champions mais depuis quelques années, ils font partie du Fab’ Four du championnat anglais aux côtés de Chelsea, Arsenal et Manchester United.  » Liverpool a compris ce que la mondialisation pouvait lui apporter. Son site est traduit en chinois et en japonais « , affirme Harrisson.

Les plans d’une nouvelle enceinte ont déjà été avalisés et la construction pourra débuter l’année prochaine, à quelques centaines de mètres d’Anfield Road, dans Stanley Park.  » Là encore, on reconnaît l’intelligence des dirigeants qui savent alterner mondialisation et racines locales. Le stade pourra compter jusqu’à 76.000 places mais restera dans le quartier originel. Everton mène une politique moins stratégique. Il va également construire un nouveau stade mais ils ne veulent ériger qu’une enceinte de 45.000 places et devra déménager à Kirkby, assez loin du site actuel « . Des voix se sont d’ailleurs élevés contre le choix de Kirkby, imposé par le président Bill Kenwright, accusé de tuer l’esprit d’Everton.

Quelques jours après la victoire sur Marseille, la fièvre s’empare de nouveau de la ville bordée par la Mersey. Pendant une semaine, toute l’Angleterre n’a eu droit qu’aux préparatifs du Grand Slam Sunday (littéralement le dimanche du Grand Chelem) puisque ce fameux dimanche réservait un programme de fêtes aux amoureux de ballon rond avec Liverpool-Manchester United suivi d’Arsenal-Chelsea. Dans le nord, peu importe le derby londonien. Car l’ennemi n’est plus celui qu’on croit.  » La nouvelle dimension prise par Liverpool ces dernières saisons fait que le club s’est bagarré plus souvent avec Manchester United qu’avec Everton pour l’obtention des trophées « , explique Harrisson.

Le coton et la musique : racines de la haine

La rivalité entre Reds et Red Devils s’est exacerbée au fil du temps.  » Historiquement, il y a toujours eu une rivalité entre Manchester et Liverpool « , dit Minnie Temple.  » Au début du 19e siècle, le coton arrivait dans le port de Liverpool du monde entier mais filait directement dans les filatures de Manchester. Il ne faisait que transiter par Liverpool qui n’a jamais vraiment profité de la richesse du coton « .

Autre sujet à bagarre : la scène musicale.  » Dans les années 60, Liverpool a évidemment sorti les Beatles mais il y avait aussi Gerry and the Pacemakers « , rappelle Harrisson.  » Cependant, Manchester avait du répondant avec The Hollies et Freddie and the Dreamers. Après, c’est Manchester qui va tenir le haut du pavé avec The Smiths, Joy Division et Oasis. Là encore, Liverpool a dû s’incliner mais il voue un culte aux Beatles, considéré sur les bords de la Mersey comme le plus grand groupe du monde, sans discussion « .

Enfin, le virage pris par chacune des villes rivales, au sortir de la crise industrielle, enfonce un peu plus le clou.  » Liverpool rénove son centre mais il le fait avec dix ans de retard sur Manchester, qui a mené une politique de rafraîchissement juste après l’attentat de l’IRA en 1996 « .

Cette concurrence ne pouvait que déboucher sur la scène footballistique. Ces dernières années, les joueurs en ont remis une couche. Il y eut le transfert de Wayne Rooney d’Everton à United. Dans plusieurs interviews, l’avant n’a cessé d’affirmer son désamour de Liverpool.  » Steven Gerrard a expliqué que face à United, il voulait mourir sur le terrain. Quant à Gary Neville, le capitaine de Manchester, cela fait des années qu’il hait Liverpool. Il a même eu des ennuis avec la Fédération à cause de son comportement envers les supporters de Liverpool « , corrobore Harrisson.

 » Depuis quelques années, les supporters de Manchester piquent leurs homologues de Liverpool en leur lançant des Get a job, get a job (cherchez un boulot) « , affine Marc Beaugé, journaliste à France Football.  » Enfin, les deux clubs ont vécu des tragédies : Manchester avec le crash de Munich en 1958 et Liverpool avec Hillsborough en 1989. Ces deux faits sont la source inépuisable de quolibets de la part du camp adverse « , conclut Harrisson.

par stéphane vande velde – photo: reporters/ reuters

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