La menace écolo

Les anciens champions et le nouveau parlent de leur sport et de leurs époques respectives. Le danger numéro 1 actuellement : de moins en moins de terrains d’entraînement.

Ces trois champions d’exception totalisent une douzaine de titres mondiaux et plus d’une centaine de victoires en GP. Nous les avons rencontrés à Washington D.C. alors qu’ils préparaient le Motocross des Nations dans les rôles différents : Decoster en qualité de directeur de l’équipe nationale américaine (qui allait s’imposer devant la France et la Belgique), Smets en tant que manager du Team Belgium et Ramon comme acteur principal en compagnie de ses coéquipiers Ken De Dycker et Jeremy Van Horebeek.

Trois personnalités attachantes, avec leurs spécificités propres. Expérience et sagesse pour Roger. Enthousiasme et sympathie pour Joël. Réserve et simplicité pour Steve. Et beaucoup de gentillesse et de disponibilité pour tous les trois.

 » Racontez-nous vos débuts… « 

Roger Decoster : Papa était ouvrier aux laminoirs des Forges de Clabecq. J’avais quatre jeunes frères. Même si nous n’avons jamais eu froid ni faim, on ne roulait pas sur l’or. Dès l’âge de 12 ans, j’ai été travailler dans un petit garage de vélos et de motos pour me faire un peu d’argent de poche. Quelques années plus tard, j’ai ainsi pu acquérir en cachette ma première moto : une Flandria 50 cc… qui a cassé lors des deux premières courses. Je savais entretenir une moto, mais pas la préparer ! J’ai gagné la troisième épreuve qui se déroulait au parc de Huizingen, près de Beersel. Papa a appris cette victoire via les journaux. A partir de ce moment, il m’a soutenu. Moralement seulement. D’un point de vue financier, je dois beaucoup à Enzo Bevilacqua, un immigré italien de Flénu (Mons), propriétaire d’un magasin de motos, qui m’a procuré des machines et des pièces.

Joël Smets : Mes parents ont toujours aimé le motocross, au point de m’emmener à ma première course à l’âge de 3 semaines ! Même si j’ai toujours senti que c’était mon sport, je n’y ai pas touché avant l’âge de 17 ans. A la maison, on n’avait pas de grands moyens financiers, et c’est un oncle qui m’a offert ma première moto. J’ai fait bonne figure dès mes toutes premières courses et il a continué à me soutenir en m’offrant chaque année une nouvelle machine. J’ai rapidement gagné des courses au niveau national et participé au championnat mondial.

Steve Ramon : Mon père était un motocrossman de très bon niveau. Il a d’ailleurs été vice-champion du monde en sidecars en 1991 et 1992. C’est dire si, dès le berceau, j’ai baigné dans l’ambiance des GP. A l’âge de 4 ans déjà, je me baladais dans les paddocks sur une mini moto. Il était fier que je partage sa passion et il m’a donc soutenu et conseillé dès les premiers tours de roues. A 13 ans, je roulais chaque semaine en 125 cc dans le championnat amateur de la fédération. Avec succès. C’est à ce moment que j’ai su que je pouvais réaliser de belles choses.

 » Vos secrets en préparation physique… « 

Roger Decoster : Il faut replacer les choses dans leur contexte. A mon époque, on roulait nettement plus qu’aujourd’hui. Il n’était pas rare que je participe à une cinquantaine de courses par saison. Elles faisaient donc office de mise en condition permanente ! Comme on voyageait beaucoup, très souvent en voiture et que les formalités administratives et consulaires – surtout en Europe de l’Est – étaient fastidieuses, on disposait de moins de temps pour la préparation athlétique. Physiquement, je n’étais pas des plus forts, mais ce n’est pas pour cela que j’ai favorisé pour autant le travail musculaire. J’utilisais des poids plus petits et privilégiais la vitesse et la souplesse. J’avais cependant plus d’endurance que mes adversaires, ce qui m’a bien servi. Je variais les plaisirs : gym, footing et vélo. Mon amitié avec Paul Van Himst m’a permis d’avoir accès à des programmes d’entraînement. J’ai aussi reçu pas mal de conseils d’Eddy Merckx, un autre ami. Au niveau de la moto, je roulais un maximum sur les terrains que j’appréciais le moins, comme le sable, à mes débuts professionnels.

Joël Smets : L’aspect physique est essentiel. Je travaillais en moyenne 4 à 5 heures par jour, 6 jours par semaine, en deux séances quotidiennes. En plus de l’entraînement à moto qui, assez étonnement était minimal, je courais généralement pendant 1 h 30, pédalais entre 2 et 3 heures et m’adonnais à 2 bonnes heures de power training et stretching. A ce régime, pas besoin d’en suivre un ! Je pouvais manger presque n’importe quoi, sans crainte de prendre du poids. Mais je privilégiais bien entendu les pâtes, les fruits et les légumes.

Steve Ramon : Il n’y a pas de secret : il faut vivre comme un pro. Je dispose d’un préparateur physique personnel. Il planifie mon programme durant la trêve hivernale comme au cours de la saison. Je travaille 4 à 5 heures par jour : surtout du vélo sur route et BMX (3 h), du jogging (1 h) de la gym et de la natation. On essaie de varier au maximum les programmes pour ne pas tomber dans la routine. J’ai la chance de ne pas prendre de poids. Par conséquent, je ne suis pas de régime alimentaire particulier.

 » Ce qui fait un champion… « 

Roger Decoster : C’est une question d’état d’esprit qui englobe plusieurs notions : auto évaluation objective, lucidité et courage de faire ce qu’il faut pour y arriver, confiance et volonté. Depuis ma première course jusqu’à la dernière, j’ai toujours pris le départ en étant persuadé que je pouvais gagner. Se voir en vainqueur, se convaincre que votre place est au sommet, c’est ce qui fait la différence.

Joël Smets : L’ambition. Le désir de gagner. Et la confiance, qui souvent dans notre sport, tellement exigeant sur le plan technique et physique, dépend de la condition physique. Quand on se sent bien, dans sa tête et dans son corps, la vitesse suit. C’est ce mental qui permet de ne pas relâcher les gaz quand votre adversaire est à votre hauteur. Vous êtes crevé, mais vous vous dites que lui aussi doit être mort et vous allez chercher le dernier joule d’énergie.

Steve Ramon : Il y a beaucoup de raisons, mais je citerai le talent et la force mentale. Il faut de très bonnes aptitudes au départ amis elles doivent être mises en valeur grâce à la volonté.

 » La principale leçon du motocross… « 

Roger Decoster : L’assiduité. Et la remise en question. J’ai eu la chance de toujours pouvoir continuer à travailler dans mon domaine et d’évoluer avec le côté technique du motocross. Un aspect qui appelle aussi un regret : celui de ne pas avoir étudié plus longtemps. J’ai été très tôt ébloui par la moto. Si j’avais pu devenir ingénieur, par exemple, cela aurait grandement facilité ma reconversion.

Joël Smets : Le motocross m’a appris que le travail finit toujours par payer. A mon sens, le talent ne compte pas pour plus de 50 %. Il m’a aussi appris à me fixer des objectifs ambitieux certes, mais toujours raisonnables, surtout après un échec ou une période plus difficile.

Steve Ramon : La force mentale et physique. En 2000, j’ai été sur la touche pendant six mois avec un genou en compote. Seule la volonté m’a permis de revenir. Et puis, pourquoi le cacher, le motocross me procure un agréable confort financier.

 » Les conseils aux jeunes… « 

Roger Decoster : Faire preuve d’esprit d’observation et d’ouverture. Et la nécessité d’évaluation et d’adaptation. Il faut découvrir et assimiler ce qui se prête le mieux à votre cas personnel. Il n’y a pas qu’une seule façon de faire.

Joël Smets : Je leur conseillerais de rester eux-mêmes en toutes circonstances. De beaucoup travailler pour arriver à leur but, mais dans un même temps, je leur dirais de ne pas rêver. Et surtout de ne jamais tricher avec eux-mêmes ou de tomber dans les faux-fuyants ou l’auto-satisfaction.

Steve Ramon : Je n’ai pas encore suffisamment d’expérience pour pouvoir donner des conseils avisés. Mais une chose est certaine : après ma carrière active, j’aimerais m’occuper des jeunes pilotes.

 » La pépinière belge… « 

Roger Decoster : Il y a deux raisons principales : historiques et géographiques. Dès après la Seconde Guerre mondiale, aidés par une industrie florissante (FN, Gillet, Saroléa…), nous avons eu la chance de posséder de grands champions tels que les Leloup, Mingels, Baeten, Jansen, Milhoux, Meunier… Des pilotes qui en ont inspiré bien d’autres. Notre pays fut un précurseur en matière de motocross. Sa position centrale, son ouverture et son accueil légendaires en faisaient le port d’attache idéal pour des pilotes de toutes nationalités. Beaucoup d’Anglais, de Suédois, de Français, d’Allemands, d’Américains même se sont installés chez nous. Cela a créé une superbe émulation.

Joël Smets : Tradition. Géographie. Géologie. Notre pays a joué un grand rôle dans l’histoire du motocross. Depuis plus de 60 ans, chaque génération a pu prendre exemple sur de très grands champions. Personnellement, ce sont les Decoster, Geboers, Malherbe, Jobé… qui m’ont servi de modèles. Pour mes parents, c’était plutôt Joël Robert. Ils m’ont d’ailleurs prénommé en son honneur ! Beaucoup de pilotes étrangers se sont établis chez nous pour des raisons de facilités de déplacement et d’entraînement. On trouve dans notre petit pays tous les terrains possibles : sable, caillasse, rochers, terre… J’en profite au passage pour tirer la sonnette d’alarme. S’il est bien de respecter la nature, il n’en reste pas moins que les règlements environnementaux et le développement immobilier risquent à court terme de porter préjudice à notre sport. Il y a une quinzaine d’années, nous comptions une trentaine de pistes en Belgique. Nous n’en avons plus qu’une demi-douzaine actuellement. Cinq fois moins qu’aux Pays-Bas, par exemple, qui ne sont pourtant pas des cancres en matière de protection de la nature !

Steve Ramon : Cela reste un mystère pour moi ! Surtout quand on voit la difficulté de trouver un terrain d’entraînement dans la partie ouest du pays. Cela ne facilite pas la vie. Quand je pense que l’Américain Ricky Carmichael possède un terrain dans son jardin ! Peut-être doit-on parler de génération spontanée pour ce qui concerne les Belges…

par bernard geenen

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