La Masía, manoir des exploits

Immersion dans ces lieux secrets qui hébergent les jeunes du meilleur club du monde.

Le stade de Barcelone n’est qu’à un quart d’heure en taxi de l’aéroport. Quand le chauffeur, un homme grisonnant, apprend que le Camp Nou est notre destination, il confie, fier :  » Ma s£ur y travaille.  » Que fait-elle exactement ?  » Elle décroche le téléphone et répond aux questions des socios.  » Lorsque nous pénétrons dans le parking, par l’entrée principale, il nous indique un bâtiment.  » C’est là qu’elle travaille.  » Il s’exprime comme s’il s’agissait d’une affaire d’Etat.

Il est 12 h 30 et nous attendons Xavi. Non, pas XaviHernández, le métronome de l’entrejeu catalan, mais XaviGuarte, l’attaché de presse. Cette rencontre est le résultat de longues semaines d’insistance. Le 30e anniversaire de La Masía, un manoir datant de 1702 que Barcelone a acquis en 1979 pour y abriter et y former les jeunes extérieurs à la ville, n’est pas passé inaperçu dans la presse nationale et étrangère.  » Nous avons été submergés de demandes et nous ne pouvons les honorer toutes « , explique Xavi en nous accompagnant jusqu’à l’impressionnante porte d’entrée de La Masía. La chambre des trésors de Barcelone s’ouvre devant nous.

Le respect des règles

Flash-back : mercredi 27 mai 2009. A 20 h 40, les joueurs de Barcelone et de Manchester United foulent la pelouse du Stadio Olimpico de Rome pour l’apothéose de la Ligue des Champions. Sept des titulaires des Blaugrana sont issus de la cantera, l’école des jeunes du Barça : Víctor Valdés, Carles Puyol, Gerard Piqué, Xavi Hernández, Andrés Iniesta, Lionel Messi et Sergio Busquets. Valdés, Puyol, Iniesta et Messi ont en plus résidé à La Masía durant leur jeunesse. Le staff technique compte trois anciens résidents de La Masía : l’entraîneur Josep Guardiola, son adjoint Tito Vilanova et le préparateur physique Aureli Altamira.  » Il faut opérer une distinction « , relève Carles Folguera (41 ans), l’actuel directeur du centre  » La cantera désigne tous les jeunes joueurs de Barcelone mais une partie d’entre eux seulement réside effectivement à La Masía. Des joueurs comme Piqué et Xavi suivaient les entraînements puis rentraient à la maison tandis que des jeunes tels qu’Iniesta et Valdés ont vraiment vécu ici.  »

Carles Folguera, pédagogue de formation, est un quadragénaire aimable mais déterminé. A la tête d’une équipe de neuf personnes -trois éducateurs permanents, quatre enseignants, un médecin et un psychologue, il est responsable des quelque 60 jeunes âgés de 12 à 18 ans qui résident actuellement à La Masía.

Folguera :  » Les scouts du FC Barcelone nous envoient des gamins de 10 à 13 ans, Espagnols ou étrangers. L’équipe de La Masía devient leur nouvelle famille. Nous leur signifions d’emblée que tout ne tourne pas autour du seul football. Ils doivent également fréquenter l’école, développer leur personnalité, acquérir une certaine discipline. Nous les aidons de notre mieux. S’ils sont blessés, nous les accompagnons chez le médecin. S’ils ont des problèmes dans l’une ou l’autre branche scolaire, nous leur prodiguons des cours particuliers et s’ils ont le mal du pays, nous sommes à leur écoute. Nous restons constamment en contact avec leurs familles et leurs entraîneurs, c’est un élément essentiel. Ainsi, si un jeune néglige l’école, nous en informons ses parents et son entraîneur. En équipes d’âge, le coach tient toujours compte des résultats scolaires dans la composition de son équipe. « 

36 % des footballeurs formés à La Masía en trois décennies n’ont pas dépassé la D3 espagnole ou ont arrêté le football. Ils doivent donc être préparés à la vraie vie, estime Carles Folguera :  » Les footballeurs que nous accueillons sont souvent les meilleurs de leur région mais une fois ici, ils n’émergent plus. Ils se fondent dans l’anonymat et certains commencent à douter. Il nous appartient de leur réinsuffler confiance. « 

Les joueurs qui vivent à La Masía sont soumis à un programme strict. Le mot  » discipline  » est inscrit en lettres grasses dans le dictionnaire de Folguera.  » Arriver cinq minutes en retard n’est pas permis. Nous tenons les jeunes et nos mesures peuvent aller loin. Si, au petit-déjeuner, quelqu’un verse trop de lait dans ses cornflakes et en laisse dans son assiette, je lui demande s’il agit ainsi à la maison. Un autre exemple : on ne peut pas entrer le matin sans dire buenos días. C’est une question de respect. On ne se fait respecter que quand ces gamins remarquent qu’on traite les joueurs de l’équipe fanion de la même manière qu’eux. C’est pour cela que je place tout le monde sur pied d’égalité, qu’il s’agisse d’un nouveau de 12 ans ou d’Iniesta.  »

Argent et foi

Le travail psychologique revêt une grande importance : nostalgie de son foyer, querelles entre joueurs, passage à vide mental suite à une blessure, manque ou excès d’assurance sont le lot quotidien du staff de formation de La Masía.

Folguera :  » Si un jeune s’entraîne un seul jour avec l’équipe fanion et qu’il revient en arborant un air rayonnant et en bombant le torse, ça ne va pas. Donc, nous avons une discussion avec ce jeune… Certains footballeurs de l’équipe première montrent parfois le bout du nez, comme Iniesta, qui a conservé des liens particuliers avec La Masía. En fait, nous devons traiter nos jeunes de la manière la plus naturelle possible. Si un jeune frappe à mon bureau pendant que je bavarde avec Iniesta, son premier réflexe est de s’excuser : -Oh, je repasserai plus tard si je ne dérange pas. Je lui réponds d’entrer et de m’exposer sa question. En général, les garçons en perdent leur langue ! Mais j’insiste : qu’Iniesta soit là ou pas, cela ne change rien. Nous restons normaux avec tout le monde.  »

10 % des résidents de La Masía effectuent leurs débuts en équipe fanion et 9 % se produisent pour un autre club ibérique ou pour une formation étrangère. Comment expliquer le succès de La Masía ? Folguera :  » Notre histoire commence avec Josep Lluís Núñez, le président, qui a eu l’idée en 1979 de transformer cette maison en foyer pour les jeunes footballeurs. Hormis un toit, il faut des gens qui croient en un tel projet et avoir l’argent requis. Peut-on exporter le modèle de La Masía dans d’autres clubs, dans d’autres pays comme la Belgique, par exemple ? Oui, mais soyons clairs : je ne m’en sortirais pas seul face à 60 adolescents en pleine puberté. J’ai besoin d’une équipe qui rassemble différentes disciplines : psychologie, pédagogie, médecine… La Masía garantit tout cet encadrement grâce à un budget annuel de 600.000 euros. Un collaborateur permanent gagne de 1.500 à 2.000 euros nets par mois.  »

La pérennité de la formation des jeunes semble assurée car le club projette la construction d’un nouveau bâtiment au complexe d’entraînement Ciudad Deportiva Joan Gamper. Il pourra abriter 80 enfants au lieu de 60. La vitesse des travaux et l’avenir de La Masía dépendent du nouveau président du club, qui sera élu en mai prochain.

L’intelligence de jeu

Albert Benaiges (54 ans), au service de Barcelone depuis seize ans comme entraîneur des jeunes puis coordinateur, ne doit pas réfléchir longtemps quand on lui demande quel jeune lui a fait la plus forte impression durant ce laps de temps :  » Messi. J’en ai eu l’eau à la bouche la première fois que je j’ai vu jouer.  »

Benaiges détaille le système de scouting de Barcelone.  » Nous avons un scout dans chacune des 15 régions autonomes d’Espagne. A l’étranger, nous travaillons généralement avec des amis mais nous venons de fonder une école de football en Argentine. Nous sommes souvent en concurrence avec d’autres clubs dans le recrutement d’un jeune. Si cet autre club est anglais, c’est difficile car il offre de l’argent mais s’il s’agit d’un club espagnol, 80 % des jeunes optent pour nous, parce que nous sommes Barcelone et parce qu’ils savent qu’ils ont plus de chances de devenir pros chez nous que, disons, au Real Madrid. Les scouts cherchent avant tout des jeunes créatifs et intelligents. L’intelligence en soi et celle du jeu vont de pair. Nous recevons parfois des cas. Connaissez-vous Haruna Babangida ? Ce Nigérian de l’Ajax a débarqué ici à 16 ans. Il a ensuite joué pour Metalurh Donetsk et l’Olympiacos. Il était notre premier Noir. Un très bon footballeur mais là (il montre sa tête), c’était le vide. Nous n’avons rien pu lui apprendre car il ne comprenait rien. Nous avons fini par abandonner et nous avons demandé aux autres joueurs de s’adapter à lui : Si Babangida va à gauche, tu dois faire ceci. S’il se dirige vers la droite, fais cela. Etc. Comme ça, ça fonctionnait.  » Il éclate de rire.

Ce n’est pas une surprise mais en catégories d’âge, tous les entraînements du Barça se déroulent avec ballon. Benaiges :  » Les joueurs de sept à 16 ans ne s’entraînement jamais physiquement. Jamais ! Le ballon est au centre de l’entraînement. Au-delà, on leur dispense aussi des séances physiques mais 90 % des entraînements continuent à se dérouler avec ballon. Nous leur enseignons l’abc du football dès leur plus jeune âge, nous discutons de tactique. Toutes les équipes évoluent dans le 4-3-3 typique du Barça.  »

Identité catalane

Le slogan catalan de Barcelone Més que un club (plus qu’un club) a un sens particulier aux yeux de Benaiges.  » Barcelone est un club spécial. Les joueurs doivent apprendre ce que représente la Catalogne. Ils doivent savoir qu’ils représentent une nation. Parfois, ils me demandent pourquoi Barcelone soutient officiellement l’idée d’une Catalogne indépendante. Je leur explique qu’en 1936, au début de la Guerre civile, les troupes de Franco ont arrêté la voiture de Josep Sunyol, qui était alors président du FC Barcelone. En découvrant son identité, ils l’ont abattu. Parce qu’il était de Barcelone. C’est ainsi que le lien du club avec la Catalogne s’est développé.  »

Benaiges est lancé :  » Quand, en 1973, dans un attentat, des membres de l’ETA ont tué Carrero Blanco, le bras droit et le successeur de Franco, tous les stades d’Espagne ont observé une minute de silence, sauf le Camp Nou ! Franco ne voulait pas risquer que les gens applaudissent pendant une minute. Ce jour-là, on disputait le match Barcelone-Atlético Madrid. Johan Cruijff a inscrit le but décisif, le 2-1, d’une fabuleuse talonnade. Une photo de ce but orne le mur du couloir. Ces connotations rendent notre club spécial. Les enfants doivent être au courant.  »

par steve van herpe à barcelone

« Arriver cinq minutes en retard n’est pas permis. (Folguera, directeur de la Masia »

« J’en ai eu l’eau à la bouche dès que j’ai vu jouer le jeune Messi. (Benaiges) »

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