La marque 96

Quatrième de la dernière Bundesliga, le HSV96 manque de visibilité et de moyens mais a bâti une équipe jeune, reine de la contre-attaque et qui n’est plus traumatisée par le suicide de son gardien, Enke. Les Roten attendent les Rouches…

20 minutes entre l’aéroport de Hanovre et le stade. Le temps de passer devant un des fleurons de la région, l’usine de pneumatiques, Continental, puis de longer le Sprengel Museum, centré principalement sur les peintures de l’expressionnisme allemand, et le Machsee, le lac de Hanovre, construit par des chômeurs réquisitionnés par le régime Nazi, et qui sert aujourd’hui de poumon vert et de lieu de délassement aux habitants de cette ville de 500.000 habitants.

A cet endroit qu’on pourrait qualifier de  » coin détente  » de Hanovre, surgit enfin l’ AWD Arena, enceinte moderne qui a remplacé le Niedersachsenstadion pour la Coupe du Monde 2006. Comme le nouveau stade s’est articulé autour d’une tribune déjà existante. Il n’a coûté que 66 millions d’euros, une paille comparée aux nouvelles enceintes de Munich (280 millions), de Cologne (120) ou de Francfort (130).

Sur un terrain annexe s’entraîne l’équipe de Hanovre 96, sous la houlette de Mirko Slomka, entraîneur en Basse Saxe depuis janvier 2010, et qui se fit connaître de 2006 à 2008 à Schalke. Un peu plus loin, dans un bureau annexe, nous attend le directeur sportif, Jorg Schmadtke, un des éléments moteurs du succès actuel. On nous avait prévenu : autant Slomka est charmeur et toujours souriant, autant Schmadtke, ancien gardien de but de seconde zone, semble toujours de mauvaise humeur.

Quand il nous propose un café, on n’a qu’une envie : le refuser. Et pourtant, après quelques minutes, il se déride et nous confie les secrets de fabrication du HSV96 :  » C’est bien que vous vous intéressiez à Hanovre. Ça prouve que notre travail attire le regard. Et c’est d’ailleurs notre but : faire connaître la marque 96. Le club n’est pas aussi établi que Stuttgart, Hambourg, Brême ou le Bayern. Nos résultats sportifs sont meilleurs que ceux de Hambourg depuis deux ans mais l’histoire joue en faveur du HSV qui conserve une plus grande popularité. C’est normal. Le fait de disputer la Coupe d’Europe va nous aider à nous établir. Grâce à vous, les Belges sauront déjà où se trouve notre ville. « 

Hanovre suscite peu de commentaires. Encore moins d’éloges. Tant en Allemagne où le club vit dans l’ombre encombrante de ses voisins du nord, Hambourg et Brême, respectivement distants de 160 et 130 kilomètres, qu’en Europe où personne ne sait vraiment où se situe la capitale de la Basse Saxe, région verte et plate. Ces dernières années, Hanovre a cherché à se faire connaître, en organisant l’exposition universelle en 2000, un flop, et la Coupe du Monde 2006. En vain. Un drame fit par contre bien plus parler de la ville que ces événements festifs, le 12 novembre 2009.

Ce jour-là, toute l’Allemagne s’était retrouvée à l’ AWD Arena dans un silence religieux. Le jour le plus dramatique de l’histoire d’Hanovre 96, habitué à une discrétion bien régionale. Quelques jours plus tôt, le gardien numéro un de la Mannschaft, Robert Enke, s’était suicidé, ébranlant les certitudes du foot allemand et détruisant le cours normal d’un club sans histoires.  » Cette mort a constitué un choc pour toute la ville « , raconte le Français Valérien Ismaël. L’ancien défenseur qui joua le plus clair de sa carrière en Bundesliga (Werder Brême, Bayern puis Hanovre 96) avant d’intégrer l’équipe dirigeante locale comme directeur sportif adjoint.  » Tout le monde a été effrayé et a commencé à se poser des questions car Robert Enke était aimé de tous et n’avait rien laissé transparaître.  »

 » C’était un homme exemplaire « , continue l’attaquant Didier Ya Konan.  » Très humble et très important pour Hanovre et pour l’Allemagne. Une sorte de cerveau pour notre formation.  »

Le gardien était un guide pour toute l’équipe.  » Il n’y avait qu’un joueur d’Hanovre en équipe nationale : Enke. Tout était focalisé sur lui. Il constituait une sorte de héros pour les supporters et servait un peu de symbole pour la ville d’Hanovre qui ne compte pas de monuments et qui cherche à se faire un nom sur la scène nationale et internationale « , explique Dirk Tietenberg, journaliste au quotidien d’Hanovre, Neue Presse.

Ce gardien de but avait conquis les c£urs de ses supporters, de ses partenaires et de ses dirigeants en ne faisant rien de spécial. Sa mort a donc constitué pour toute une région un traumatisme. Au-delà de l’aspect humain, cette disparition a également eu un impact sur le club lui-même qui a failli être emporté par la tragédie. Dans la foulée de ce suicide, Hanovre 96 perd 11 matches consécutifs, s’engluant dans les profondeurs du classement. Les joueurs, en mémoire d’Enke, trouvèrent finalement les ressources suffisantes pour se maintenir in-extremis.

 » On peut comprendre les joueurs : tous les quinze jours, ils donnaient le coup d’envoi à l’endroit même où reposait le cercueil de Enke lors de la cérémonie de commémoration « , rappelle Tietenberg,  » Certains n’ont jamais réussi à enlever cette image de leur tête.  » Des psychologues ont entouré les joueurs. Leur conclusion : ils ne savaient plus gagner, paralysés par la tristesse.

Le succès actuel trouve son origine dans le suicide d’Enke

Pour Hanovre, la mort d’Enke a donc constitué un tournant. Le club a mis sur pied une fondation en mémoire de son gardien, qui a déjà été sollicitée puisque le deuxième gardien, Markus Miller vient d’être placé en congé maladie pour burn-out. Mais le club a également pris conscience qu’il courrait à sa perte en se lamentant sur ce coup du sort. Les prémisses du succès actuel datent donc de l’été 2010. Les circonstances dramatiques coïncidaient avec la fin d’une époque. Le noyau, arrivé en fin de cycle, se composait de joueurs trop vieux et trop proches du gardien défunt. Des joueurs à qui l’ancien directeur technique avait offert des beaux contrats et qui n’avaient plus l’énergie de rebondir après la débauche émotionnelle de la saison 2009-2010, née des conséquences du décès mais également de la lutte pour le maintien.

Jorg Schmadtke, le nouveau directeur sportif arrivé un an plus tôt, et l’entraîneur Mirko Slomka, débarqué en cours de saison et qui avait mené à bien la mission du sauvetage, décidèrent donc de faire le ménage. Les trentenaires, en fin de contrat, comme le Néerlandais Arnold Bruggink et Hanno Balitsch, amis proches de Enke, reçurent leur bon de sortie.  » Ces joueurs n’auraient plus pu jouer à Hanovre « , explique Schmadtke.  » Ils avaient été trop touchés par les événements. Le club était également acculé. Financièrement, il ne pouvait plus continuer avec de si lourds contrats.  »

Après être remonté en Bundesliga en 2002, et avoir joué le maintien lors des premières saisons, le HSV avait aspiré à d’autres ambitions et avait sorti entre 12 et 14 millions de transfert pour attirer les Bruggink, Ismaël (qui se blessa six mois après son arrivée, l’obligeant à mettre un terme à sa carrière) et Mikaël Forssell, avec comme seul résultat une 13e place.  » Le club vivait au-dessus de ses moyens « , explique Schmadtke.  » Il pensait pouvoir atteindre les sommets et pour cela, a énormément investi. Il estimait que c’était la seule voie possible et cela a échoué.  »

Retour donc à l’austérité. La saison 2010-2011 débuta avec un noyau plus jeune, revigoré, lavé de toute tristesse anesthésiante.  » Cela ne nous fait pas pour autant oublier cet événement tragique mais pour retrouver un certain moral, il était nécessaire d’apporter une nouvelle fraîcheur à ce noyau « , reconnaît Ya Konan, formé à l’ASEC Abidjan avec Gohi Bi Cyriac. Avec un budget de 26 millions d’euros, la reconstruction était cependant limitée. Pas question d’attirer des gros poissons. Tout fut une question d’imagination et de scouting pointu.  » Il y a trop de concurrence sur le marché allemand « , explique Schmadtke.  » De plus, les autres clubs ne pointent pas Hanovre comme prioritaire lors des négociations car ils savent que nous ne dépenserons pas beaucoup d’argent. On n’a que le 12e ou 13e budget de Bundesliga et on essaie donc de trouver des jeunes joueurs à des prix intéressants et de les développer par la suite. On n’a pas de Roman Abramovich ; il s’agit donc de l’unique chemin à emprunter.  »

Un an plus tard, le pari s’est avéré gagnant. Hanovre dispute la coupe d’Europe pour la deuxième fois seulement de son histoire. On peut même considérer qu’il s’agit d’un baptême du feu car en 1992, après être devenu le premier club de deuxième division à remporter la Coupe, Hanovre avait eu l’occasion de goûter aux joies des compétitions continentales. Pas de chance, le tirage avait désigné… le Werder Brême et c’en était fini dès le premier tour.  » On a eu l’impression de disputer un match de Bundesliga « , se souvient Schmadtke.  » Alors, vous pouvez comprendre le sentiment qu’on a ressenti lorsque nous avons rencontré Séville lors du tour préliminaire. Pour tout le club et les supporters, c’était nouveau. Cela explique que toutes les places ont été vendues pour les trois matches de poules. Il y a une sorte d’euphorie dans la région.  »

Slomka et la règle des 10 secondes

Comment en un an, le club est-il parvenu à effectuer sa mue ? Grâce à l’apport de nouveaux joueurs comme l’Autrichien Emmanuel Pogatetz ou le Norvégien Mohamed Abdellaoue, arrivé l’été dernier et qui a éclaté en deuxième partie de saison, mais également grâce au travail de Slomka, réputé pour son souci des détails. Proche de ses joueurs, il ne les complimente pourtant jamais et n’hésite pas à prendre certaines mesures impopulaires, comme la saison passée avec la star de l’équipe, Jan Schlaudraff. Arrivé en 2007 du Bayern Munich, Schlaudraff avait conservé quelques rudiments de la vie munichoise, comme cette propension à s’afficher en Ferrari et dans les discothèques. Slomka, qui analyse toutes les données physiques de ses joueurs grâce à des équipements modernes, avait remarqué que le milieu offensif en gardait sous la pédale lors des entraînements et des matches. Il n’a pas hésité à l’écarter durant… trois mois. Depuis, Schlaudraff, un des meilleurs joueurs qu’Hanovre ait connu dans son histoire, est revenu en grâce. Et en forme, puisqu’il constitue le meilleur élément du HSV96 depuis le début de la compétition.

Souci du détail mais également réflexion sur le jeu. Slomka a cherché pendant plusieurs semaines son schéma de jeu. Suite à l’arrivée d’Abdellaoue, il a modifié son sacro-saint 4-2-3-1 en 4-4-2 avec Abdellaoue et Ya Konan en front d’attaque. Hanovre a démarré la saison 2010-2011 avec deux succès (contre Francfort et à Schalke) et la machine était lancée. Deux ailes, deux médians défensifs, pas de créateur, une défense solide et surtout une attaque propulsée à 100 à l’heure sur des contre-attaques savamment orchestrées à l’entraînement.

 » Notre philosophie de jeu consiste à rester compact et se projeter rapidement vers l’avant « , résume Schmadtke.  » Slomka a instauré la règle des 10 secondes à l’entraînement « , continue Ya Konan.  » Quand on récupère le ballon, on a 10 secondes pour atteindre le but adverse. Slomka insiste sur la vitesse de jeu. En deux ou trois touches passes, on doit être capable de finir l’action.  » Résultat : après Dortmund, Hanovre était la formation la plus concrète et la plus rapide de Bundesliga. Ce qui en fit la quatrième meilleure équipe au classement général de l’ultime saison. Un résultat historique.

Restait alors à éviter les lendemains douloureux d’une saison one-shot. Pour ce faire, le HSV96 a réussi à garder tous ses meilleurs joueurs.  » On avait décrété que certains étaient invendables en dessous d’un certain prix « , affirme Schmadtke.  » On veut toujours plus mais il faut être réaliste. On sait très bien qu’on a réalisé une saison exceptionnelle et que cela va être compliqué de réaliser le même parcours cette année. On compte bien s’ancrer dans une certaine continuité mais on sait aussi qu’on n’a que le 13e budget du championnat et qu’il faut garder les pieds sur terre. Si on termine dans les dix premiers, on aura réussi notre objectif.  »

 » Les dirigeants évitent de mettre la pression sur l’équipe et le top 10 est un objectif réalisable « , analyse Tietenberg,  » Hanovre se situe dans la catégorie de clubs comme Mainz ou Nuremberg. Hanovre 96 est très important pour la ville car il ne s’y passe pas grand-chose et le HSV a réussi à coller à la région : c’est un club peu attractif mais c’est sympa d’y évoluer. En gardant son ossature (la première fois qu’ils y parviennent), les dirigeants ont déjà assuré l’essentiel.  » Ce que confirme Ya Konan :  » On sait très bien qu’on est un club normal, moyen qui ne fait pas de bruit mais on est malgré tout en train de forcer le respect. « 

Le futur consistera donc à se positionner dans cette Bundesliga toujours plus attrayante et compétitive. Et surtout à se doter d’une image plus glamour.  » La seule façon d’y arriver, c’est de réaliser des résultats « , conclut Schmadtke.  » D’autres clubs, comme Sankt Pauli ont choisi la voie du marketing pour se faire connaître. Ils ont trouvé une niche et en ont profité pour se façonner une image mais ce modèle n’est pas transposable à Hanovre. Cependant, si on continue à être compétitif en championnat, je ne vois pas pourquoi on n’y arriverait pas. Il n’y a pas de club à moins de 80 kilomètres (Wolfsburg est distant de 75 km) et si on prend toute la région d’Hanovre, il y a un réservoir d’1,5 million d’habitants.  »

Si le projet échoue, il restera alors aux Hanovriens la possibilité de partir en voyage supporter un club plus ambitieux. Ça tombe bien, la ville est le siège de l’agence de voyages Tui Travel, sponsor du HSV96 et un des plus gros pourvoyeurs d’emploi de la région…

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: REPORTERS

Il y a deux ans, dans la foulée du suicide de Enke, Hanovre 96 perdait 11 matches consécutifs, s’engluant dans les profondeurs du classement.

 » On n’a pas de Roman Abramovich ! On essaie donc de trouver des jeunes joueurs à des prix intéressants et de les développer « 

(Jorg Schmadtke, directeur sportif)

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