La main de VATA

Presque 20 ans plus tard, Benfica et Marseille se retrouvent et le grand arbitre belge se souvient de l’épisode qui a fait hurler Tapie.

Si le public belge s’intéressera surtout aux confrontations entre Hambourg et Anderlecht, d’une part, et entre le Panathinaikos et le Standard, d’autre part, nos voisins français ont directement eu leur attention arrêtée sur l’affiche entre Benfica et Marseille lors du tirage au sort. Parce que l’OM est un club prestigieux et populaire, bien sûr, mais surtout parce que cette confrontation leur rappelle celle de 1990 : une demi-finale de Coupe des Champions remportée en avril 1990 par les Portugais sur un but de Vata, entaché d’une faute de main.

Dans l’Hexagone, l’épisode est tout aussi célèbre que la  » main de Dieu  » de DiegoMaradona ou, plus récemment, celle de ThierryHenry qui a valu aux Coqs une qualification pour la Coupe du Monde en Afrique du Sud. L’arbitre de la rencontre à l’Estadio da Luz était un certain MarcelVanLangenhove et cela n’a pas échappé aux médias.

 » Une maîtresse portugaise, un compte en Suisse ? Allons donc… « 

 » Curieusement, les premiers coups de fil que j’ai reçus, la semaine dernière, ont émané de journalistes portugais et pas français « , raconte celui qui est aujourd’hui premier échevin à Wemmel tout en étant toujours chargé de l’accueil des arbitres à Anderlecht.  » A l’époque, ce match avait pris une tournure politique : BernardTapie voulait devenir le premier président d’un club français à remporter la Coupe d’Europe des Clubs Champions. Après la victoire 2-1 enregistrée à l’aller au stade Vélodrome, il se voyait déjà en finale. Un match nul à Lisbonne suffisait à l’OM pour passer. C’était la grande équipe de l’OM, avec DidierDeschamps, JeanTigana, JeanPierrePapin, ChrisWaddle, EnzoFrancescoli et autres. Le coup lui paraissait donc parfaitement jouable. Malheureusement, il s’est incliné 1-0, à six minutes de la fin, sur la phase désormais célèbre et a été éliminé sur base du but inscrit à l’extérieur par les Portugais. Pour Tapie, peu importait que son équipe avait loupé l’occasion de s’imposer 4-1 ou 5-1 à l’aller. Le coupable, c’était moi.  »

Van Langenhove reste serein par rapport à ce qu’il s’est passé et en parle ouvertement :  » Je peux toujours regarder tout le monde droit dans les yeux. De là où j’étais placé, il m’était impossible de voir la faute de main de Vata : j’avais la vue complètement masquée, car entouré par une dizaine de joueurs. Mes juges de ligne ( MichelPiraux et JeanWuyts) ne pouvaient rien voir non plus. Je me demande d’ailleurs si les joueurs eux-mêmes se sont aperçus de la supercherie : seuls deux d’entre eux, le gardien JeanCastaneda et un joueur de champ, ont un petit peu rouspété. Ce n’était pas comme avec Maradona, qui avait sauté avec la main tendue vers le ciel. Dans ce cas-ci, Vata avait le bras à peine décollé du corps. On continue d’ailleurs à se demander si le ballon a heurté le poignet, le milieu du bras ou l’épaule. En plus, au moment de reprendre le ballon, Vata avait été poussé dans le dos par DiMeco. Si je n’avais pas accordé le but, j’aurais pu siffler penalty.

ThierryRoland et JeanMichelLarqué, malgré l’écran dont ils disposaient, ont eu besoin de trois ralentis pour s’apercevoir de la faute. La poussée de Di Meco, en revanche, est passée inaperçue à leurs yeux. Cela ne les a pas empêchés de me vouer aux gémonies dans leurs commentaires. Par la suite, ils n’ont jamais cherché à me rencontrer pour me demander des explications. D’ailleurs, s’ils m’avaient invité à Téléfoot ou demandé une interview par la suite, j’aurais refusé. Je ne parle pas à des gens pareils…  »

La presse française, pourtant, s’est déplacée jusqu’à Wemmel :  » Paris Match a campé pendant trois jours devant mon domicile pour voir si je n’avais pas une maîtresse portugaise ! Une plainte a été déposée auprès de l’UEFA, une enquête a été ouverte et j’ai été convoqué en Suisse pour vérifier si je n’avais pas un compte secret là-bas. Il n’y avait rien, bien sûr, et heureusement car si l’on avait constaté une malversation, je risquais la prison. Tapie a fait pression pour que je n’officie pas à la Coupe du Monde, qui démarrait deux mois plus tard en Italie. L’UEFA m’a cependant maintenu sa confiance : j’ai sifflé Egypte-Irlande du Nord et j’ai fait la ligne lors de trois autres matches. A l’époque, il n’y avait pas de trio constitué à l’avance : chaque arbitre prenait également le drapeau. Lors du match que j’ai arbitré, j’étais assisté par le Français JoëlQuiniou et par l’Italien LoBello.  »

 » Ma carrière politique fut plus brillante que celle de Tapie « 

Tapie a finalement réalisé son objectif – remporter la C1 avec un club français – trois ans plus tard avec RaymondGoethals. Deux ans plus tôt, Van Langenhove a arrêté sa carrière d’arbitre, atteint par la limite d’âge :  » Elle était fixée à 47 ans à l’époque. Un moment, j’avais songé arrêter après la Coupe du Monde 1990, mais l’affaire Benfica-OM était encore trop fraîche dans les esprits. J’ai donc fait une dernière saison, histoire de démontrer ce dont j’étais encore capable. J’ai encore été élu une huitième fois Arbitre de l’Année, cela démontre que les joueurs n’avaient pas perdu leur confiance en moi. J’ai demandé à arrêter le soir de la dernière journée de championnat. On m’a attribué Genk-Standard, ce fut mon dernier match. J’ai refusé qu’on m’offre un dernier cadeau avec la finale de la Coupe de Belgique. J’ai tourné la page sans amertume : 30 ans d’arbitrage – j’ai commencé chez les jeunes en 1961 lorsque j’avais 17 ans – c’était assez.

Je pense que je peux être fier de ma carrière. Huit fois Arbitre de l’année, consécutivement, ce n’est pas rien. J’ai été arbitre international pendant 15 ans, de 1976 à 1991. J’ai sifflé des matches européens du calibre de Barcelone-Porto, Bayern-PSV, Inter Milan-AEK Athènes et d’autres. J’étais partisan du dialogue, du sourire également, et je crois que les joueurs m’appréciaient pour cela. Je qualifie mon attitude d’arbitrage préventif : j’estime que le carton jaune ou rouge ne doit être brandi que lorsque qu’il n’y a pas moyen de faire autrement. Je peux être fier de ma vie professionnelle également : mon commerce, une épicerie, a très bien marché pendant 35 ans. Tout comme je peux être fier de ma carrière politique. Davantage, même, que Tapie. J’ai commencé comme échevin en 1988 et j’ai été bourgmestre de Wemmel pendant huit ans, de 2000 à 2008. Tapie a, certes, été ministre, mais cela n’a pas duré longtemps. « 

Son meilleur souvenir d’arbitre ?  » Le Championnat du Monde U21 au Japon en 1979. C’était la première fois que je sifflais dans une compétition de niveau mondial et on n’oublie jamais la première fois.  » Et ce Benfica-OM, est-ce son pire souvenir ?  » Même pas. C’était un moment malheureux, mais je n’ai pas à en rougir. J’ai joué de malchance, c’est tout. N’importe quel arbitre qui se serait trouvé dans la même situation, aurait vécu la même mésaventure. Cette faute de main était impossible à voir, mon placement n’était même pas déficient. Si j’avais commis la même erreur dans un match banal de championnat de Belgique, alors que le score était déjà de 3-0, personne n’en aurait parlé. Ici, c’était une demi-finale de C1 et le but était décisif. C’est regrettable, mais j’ai la conscience tranquille. Ce que je trouve encore le plus triste, c’est qu’on ait préféré me vilipender plutôt que condamner le principal coupable : Vata. C’est lui qui a triché, n’êtes-vous pas d’accord ? C’est comme si, dans un cambriolage, on condamnait le policier pour ne pas avoir arrêté le voleur… « 

Compte tenu de ce qu’il a vécu, Van Langenhove est-il partisan d’un recours à la vidéo ?  » En tout cas, il faudrait au moins une caméra qui signale lorsqu’un ballon a franchi la ligne de but, ce serait la moindre des choses. On utilise cet £il en tennis, je ne vois pas pourquoi on ne l’utiliserait pas en football. Dans d’autres situations, c’est plus délicat. On ne peut pas arrêter le match à tout instant. Mais on pourrait, par exemple, accorder aux coaches le droit de demander la vidéo une fois par mi-temps. Comme on l’accorde aux joueurs de tennis.  »

« Paris Match a campé pendant trois jours devant chez moi pour voir si je n’avais pas une maîtresse portugaise ! « 

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