LA MAIN DE FATIMA

A ses débuts, il était un footballeur maladroit qui faisait le désespoir de ses entraîneurs et coéquipiers. Aujourd’hui, il est devenu un défenseur de classe mondiale. A 27 ans, Jérôme Boateng est l’un des hommes en vue de la Mannschaft.

Lorsqu’on découvre son corps imposant, le regard se porte immédiatement sur un énorme tatouage dans le dos : cinq doigts avec, au centre, un oeil. C’est la main de Fatima, qui a accompagné Jérôme Boateng tout au long de sa vie mouvementée et qui, selon la croyance, le protège contre les mauvais esprits. Durant ce Championnat d’Europe, c’est dans l’ordre : la main de Fatima protège Boateng et Boateng protège l’Allemagne. Souvenez-vous de ce sauvetage acrobatique sur la ligne qui a empêché l’Ukraine d’égaliser contre la Mannschaft.

Ce fut l’un des gestes les plus spectaculaires du tournoi, prouvant une nouvelle fois, si besoin en était, que ce footballeur de 27 ans est omniprésent dans cet EURO. La main à l’origine du penalty qui a permis à l’Italie d’égaliser, samedi, n’était pas celle de Fatima. C’était plutôt une résurgence du passé. Car Boateng n’a pas toujours été ce footballeur que personne ne peut prendre en défaut, comme il l’est aujourd’hui. Heureusement pour lui, cette main n’a finalement pas porté à conséquence.

Boateng est le patron de la ligne défensive allemande. Il ne se contente pas de cela. S’il est l’un des joueurs les plus en vue sur les pelouses françaises, il n’hésite pas, non plus, à s’immiscer dans le débat politique et est très présent dans les médias. Il a, par exemple, réagi lorsqu’un homme politique allemand a adopté un comportement raciste à son égard ou lorsqu’on a évoqué la menace terroriste au Championnat d’Europe.

Il s’est manifesté aussi lorsque l’ancien capitaine de la Mannschaft, Michael Ballack, a relancé l’éternelle discussion sur l’absence de vrais leaders au sein de la sélection. Ainsi, il n’a pas hésité à piquer les attaquants allemands au vif après le partage blanc contre la Pologne. Selon lui, ils se seraient créé trop peu d’occasions et auraient pris trop peu d’initiatives.  » En jouant de cette manière, nous n’irons pas loin « , grogna-t-il.

DANS L’OMBRE DE KEVIN-PRINCE

En agissant de la sorte, il n’a fait que répondre à l’appel du sélectionneur Joachim Löw qui l’enjoignait à faire entendre sa voix. Pourtant, les Allemands ont été surpris en entendant Boateng parler de la sorte. Car, dans sa jeunesse, lorsqu’il jouait au Hertha Berlin, il était très introverti. Presque timide, toujours dans l’ombre de son demi-frère Kevin-Prince Boateng.

Lui, il n’avait jamais sa langue en poche. Il se départissait souvent de son devoir de réserve, c’était un leader né. Jérôme était encore loin d’être un leader, mais il n’allait pas tarder à le devenir. Learning by doing. Et il a appris vite, comme on peut s’en rendre compte lors de ce Championnat d’Europe. Jérôme Boateng est le personnage-clef de la Mannschaft en France et peut-être aussi le meilleur footballeur allemand lors de ce tournoi.

Il a pris une autre dimension depuis le titre mondial de 2014, sa prestation en finale durant laquelle il a pris la mesure de Lionel Messi et le statut de héros qui lui a été décerné après cela. Sur la pelouse, sa présence est impressionnante. C’est une force de la nature. 192 centimètres, 90 kilos : rien que du muscle. Malgré une morphologie de décathlonien, Boateng est rapide et technique. Il défie les lois de l’anatomie, de la pesanteur et du football.

HÉSITANT ET MALADROIT

En voyant Jérôme Boateng surclasser tout le monde dans ce tournoi, on a du mal à imaginer qu’avant la Coupe du Monde 2014, il était loin d’être une certitude au sein de l’équipe nationale allemande. L’image que l’on se faisait de lui, était celle d’un défenseur maladroit et hésitant, à l’allure trop souvent flegmatique, qui marchait parfois sur le ballon, concédait inutilement des penalties, écopait de nombreux cartons jaunes et rouges, et constituait un danger pour sa propre équipe.

Boateng était trop souvent absent. En mai 2014, son président Karl-Heinz Rummenigge l’avait encore qualifié de « footballeur sans cervelle ». Lors du match de Bundesliga contre Hambourg, il avait été exclu pour avoir giflé un adversaire, Kerem Demirbay. Plus stupide encore : il l’avait giflé alors que son équipe menait 4-1 et qu’il ne restait que cinq minutes à jouer.

Comment expliquer sa métamorphose et la sérénité qu’il dégage aujourd’hui ? Boateng a mûri, comme footballeur et comme être humain. Un processus naturel. Tout le monde prend de l’âge, lui aussi. L’impétuosité qui le caractérisait encore en 2012, lorsqu’il avait failli rater le Championnat d’Europe pour avoir invité une strip-teaseuse dans sa chambre juste avant le départ pour la Pologne et l’Ukraine, a fait place à la réflexion, qu’il a utilisée pour répondre à un homme politique qui insinuait qu’il n’était pas un vrai Allemand.

PEP GUARDIOLA

Mais le plus grand changement est intervenu lorsque Boateng a été pris en charge par Pep Guardiola, le maestro. Lorsque l’entraîneur catalan a rencontré Boateng pour la première fois en 2013 à Munich, il s’est retrouvé nez-à-nez avec un autodidacte. C’est ce que l’on peut dire dans le livre Herr Guardiola. Le jeune défenseur allemand a révélé à son nouvel entraîneur que personne ne lui avait encore appris comment il devait défendre. Boateng a également confié à Guardiola qu’il ignorait qu’on pouvait organiser une défense. Jusque-là, il pensait que l’art de défendre était inné.

Guardiola croyait au potentiel de Boateng et était convaincu qu’il pourrait faire de lui un défenseur hors catégorie.  » Jérôme est un joueur top-top « , a encore déclaré le coach récemment.  » Je lui ai souvent dit : ‘Si tu le veux réellement, tu peux devenir l’un des meilleurs défenseurs du monde. J’en suis sûr à 100 %.’ Il est jeune, rapide, puissant, possède une bonne conduite de balle, du gauche comme du droit. Il a une bonne personnalité, c’est un chouette gars et il progressera encore d’année en année. Bref, il a tout.  »

Dans une interview accordée au Süddeutsche Zeitung, Boateng a expliqué en fin d’année dernière comment Guardiola l’avait hissé au niveau le plus élevé et avait gommé progressivement toutes les lacunes de son jeu.  » Autrefois, après un ballon perdu, mon premier souci était de le récupérer au plus vite. Je m’engageais à fond dans le duel, mais tout ce que j’obtenais, c’était généralement un carton pour une faute stupide.

A peine arrivé à Munich, Guardiola m’a pris à part. Il m’a montré des images de moi-même dans certaines situations et réalisait lui-même le commentaire. Cela ressemblait à un film : le best-of des fautes stupides deBoateng. Guardiola m’a aussi donné des conseils plus concrets. ‘Un défenseur ne peut jamais se retrouver au sol. Jamais ! Il faut toujours rester sur ses appuis ! ‘ Il a été le premier entraîneur à s’occuper de moi tactiquement. Grâce à Guardiola, mon jeu s’est affiné.  »

UNE PROGRESSION ÉPOUSTOUFLANTE

En outre, la philosophie footballistique de Guardiola a aussi influencé Boateng. Durant la saison 2011/12 – sa première au Bayern Munich – sous Jupp Heynckes, il touchait 78 ballons par match. Sous la houlette de l’exigeant Guardiola, ce chiffre est monté à 104. Plus important encore : la qualité de ses passes s’est accrue. Plus tranchantes et plus précises. Ses longues diagonales de 40 mètres, qui lui permettent de renverser le jeu, sont devenues impressionnantes.

Via le Hertha Berlin SC, Hambourg, Manchester City et le Bayern Munich, Jérôme Boateng s’est définitivement hissé, à 27 ans, au firmament du football international.  » Sa progression a été époustouflante « , a récemment déclaré le directeur sportif du Bayern, Matthias Sammer. Le rêve de ce footballeur né d’un père ghanéen et d’une mère allemande – devenir le premier footballeur de couleur à enfiler le brassard de capitaine de la Mannschaft – est désormais tout proche de se réaliser, car il a grimpé dans la hiérarchie. Löw :  » En sélection, Jérôme n’hésite désormais plus à faire entendre sa voix et est écouté. Chacun sait qu’il est un défenseur de classe mondiale.  »

CONSEILLÉ PAR JAY Z

En tant que footballeur, Boateng connaît déjà le succès depuis plusieurs années, mais l’ancien gamin des rues de Berlin veut également devenir une star mondiale. Il veut rayonner d’Anchorage à Adelaïde. Mais, lorsqu’il s’agit de se vendre et d’assurer sa promotion, d’autres footballeurs sont bien plus doués que lui. Jusqu’à l’an passé, il ne participait que rarement à des campagnes publicitaires, d’autant qu’il a des principes : il est croyant, ne boit pas d’alcool et refuse de prêter son nom ou son visage à des produits dangereux pour la santé.

Et voilà maintenant qu’il s’est rapproché de Jay Z, un ancien dealer de drogue qui, à 12 ans, avait tiré sur son propre frère parce qu’il voulait lui voler un anneau. Depuis un an, Boateng est conseillé par le rappeur américain, homme d’affaires à ses heures et grand amateur de sport. Tout ce que Jay Z touche, se transforme en or. Il a vendu 40 millions de disques à travers le monde, sa fortune est estimé à 500 millions d’euros et – ce n’est pas à négliger non plus – il partage le lit de Beyoncé.

En dehors de cela, l’artiste gère un empire commercial actif dans la mode vestimentaire, les cosmétiques, l’horeca, le sport et le divertissement. Jay Z est, par exemple, actionnaire du club de basket des Brooklyn Nets, et conseiller de la star de NBA Kevin Durant et de l’ancien champion du monde de boxe Miguel Cotto.

BENTLEY ET ARMANI

Aujourd’hui, il doit aider Jérôme Boateng à conquérir le monde, à commencer par les Etats-Unis. Il y a un an, à New York, une ville dont il est tombé amoureux, le footballeur a signé un contrat avec RocNations, le bureau de Sport &Entertainment du rappeur, qui gère aussi les intérêts commerciaux de Rihanna et de Shakira. Car, oui : Jay Z ne s’occupe que des plus grands.

Il est évident que Jay Z voit un gros potentiel en Boateng. En tant que champion du monde et vainqueur de la Ligue des Champions, le défenseur possède une belle carte de visite. En dehors du sport, ses apparitions dans le domaine de la mode lui procurent les vibrations nécessaires. Sa force physique et ses tatouages lui donnent une autre dimension. Le logo JB qu’il a fait graver sur les sièges de sa Bentley et le bling-bling sont gages de succès.

Les costumes Armani qu’il porte dégagent une certaine élégance. Ce n’est pas pour rien que le footballeur, qui possède chez lui une chambre où 800 paires de chaussures sont exposées, a été élu l’homme le plus élégant d’Allemagne par le magazine GQ, l’an passé. Beaucoup de jeunes s’identifient à ce millionnaire du football, car sa carrière a débuté à Wedding, un quartier malfamé au coeur de Berlin. Transposez Berlin dans le Bronx, et vous obtiendrez la version allemande de l’American Dream : du ghetto à l’or.

PAR PETER WEKKING – PHOTOS BELGAIMAGE

En mai 2014, le président du Bayern, Karl-Heinz Rummenigge, le considérait encore comme un  » footballeur sans cervelle.  »

Jay Z doit aider Jérôme Boateng à conquérir le monde.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire