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LA MACHINE

Tim Wiese. Si son nom vous dit sans doute quelque chose, son corps ne vous rappelle probablement rien. Durant sa carrière, le gardien du Werder Brême et de la Mannschaft pesait 90 kilos. Quand il a quitté Hoffenheim, la balance accusait 132 kilos. C’était le début de sa reconversion comme catcheur professionnel.

Au printemps 2012, Tim Wiese, maintenant âgé de 35 ans, paraissait sur le point de quitter le Werder Brême pour le Real Madrid. Un an et demi plus tard, le TSG Hoffenheim 1899 flanquait le gardien à la porte. Il avait 32 ans et le club pour le compte duquel il s’était retourné 25 fois en dix matches, ne voulait plus de lui. Il n’était plus que l’ombre du gardien qui avait écrit l’histoire du Werder pendant sept saisons. Deux fois deuxième derrière le Bayern, un succès en Supercoupe en 2006, un autre en Coupe d’Allemagne en 2009, une finale de Coupe UEFA la même année, troisième du Mondial sud-africain 2010 et demi-finaliste de l’EURO 2012, en tant que doublure de Manuel Neuer.

Le Weserstadion le portait aux nues mais les supporters d’Hoffenheim n’aimaient pas leur capitaine. Ils s’offusquaient de son plantureux salaire de 3,5 millions par an, qui faisait de lui le plus le plus gros salaire de la Rhein-Neckar-Arena. Il avait encaissé à quinze reprises durant ses quatre premiers matches, notamment quatre fois contre le Berliner AK, un petit club de la capitale qui évoluait en Regionalliga Nordost – le quatrième niveau.  » Ce n’est pas Wiese le problème « , avait dit Markus Babbel, l’entraîneur, pour le défendre, mais les huées incessantes excédaient le gardien.

Blessé au genou, il a disparu de l’équipe et son remplaçant, Heurelho Gomes, loué par Tottenham, a été impeccable. Pendant ce temps, Wiese et son coéquipier Tobias Weis se faisaient éjecter d’une discothèque par la sécurité, pendant le carnaval, après avoir été pincés avec une fille dans les toilettes des hommes. Le club leur a infligé une amende et Wiese n’a plus jamais joué au football.  » Si nous sommes rétrogradés, tous les joueurs peuvent rester, sauf Wiese « , a commenté le manager Andreas Müller un mois après l’incident.

Le club s’est finalement maintenu en Bundesliga à l’issue d’un double match de barrage face au troisième de deuxième Bundesliga, le FC Kaiserslautern mais il n’en a pas moins rompu le contrat de quatre ans du gardien quelques mois plus tard, le 21 janvier 2014. Il n’était plus apte à jouer, selon le verdict du club, qui s’est toutefois acquitté de son salaire jusqu’en juin 2016. Des photos du gardien circulaient sur internet. Il y ressemblait à un bonhomme Michelin. Durant ses jours de gloire à Brême, Wiese, qui mesure 1m93, pesait 90 kilos. Durant sa dernière saison, la balance accusait… 132 kilos. Les images ont fait le buzz et ont encore accru la colère des supporters.  » Il faut qu’il reste. Il suffit qu’il prenne encore quelques kilos et le ballon ne pourra plus entrer dans la cage.  »

C’est ce cynisme qui l’a incité à rejoindre la salle de musculation, a-t-il raconté à Eurosport.  » Mon départ d’Hoffenheim a été mauvais, c’est clair, mais les commentaires étaient largement exagérés. Quand on perdait, c’était toujours ma faute. Pas celle de l’équipe, la mienne. On ne cessait de m’analyser. Je n’avais encore jamais vécu ça. Un jour, quelques supporters ont organisé une action de protestation contre moi et je me suis senti encore un peu plus indésirable. La pression était trop forte pour pouvoir encore être performant. Pour me changer les idées, j’ai commencer à soulever de la fonte. C’est devenu obsessionnel.  » Il reconnaît n’avoir plus été capable d’arrêter ensuite.

 » Je trouvais ça fantastique. J’ai toujours déterminé mon avenir moi-même, sans tenir compte de l’avis des autres. L’école ne m’intéressait absolument pas car j’ai très vite compris que dans les affaires, on ne devenait vraiment riche que si on était au top. Je suis donc devenu football professionnel. C’était le seul moyen pour moi de gagner des millions.  »

UN PERSONNAGE CONTROVERSÉ

Huit mois après la rupture de son contrat à Hoffenheim, il reçoit une proposition surprenante de la World Wrestling Entertainment, une entreprise américaine de divertissement qui veut former l’Allemand, au sein de son projet NXT Wrestling, et le reconvertir en catcheur professionnel.  » En Allemagne, on en rit mais aux États-Unis, le catch est vraiment très à la mode. Je préférais monter sur le ring que retourner dans un but. Le football ne m’intéresse absolument plus. Mon avenir sportif est sur le ring. Ce n’est pas une fuite mais une bonne alternative pour ne pas passer ma vie dans mon fauteuil comme un vieil homme gras. C’est un sport excitant, avec beaucoup de show et qui permet de gagner beaucoup d’argent. C’est rude ? Ceux qui me connaissent savent que je ne vais pas faire dans mon froc quand j’affronterai ces grands noms « , a-t-il expliqué à la chaîne allemande Sport1.

Sur les terrains de football, il était explosif, souvent agressif et dénué de compromis sur les hauts ballons qui arrivaient dans son rectangle. Comme en mai 2008, dans une affiche face à Hambourg. Il décoche un coup de karaté à Ivica Olic, qui doit être évacué. Les pétards volent sur la pelouse du Volksparkstadion et à l’issue du match, Wiese doit plonger pour éviter une bouteille de Jägermeister. Le personnage a toujours été controversé. Il s’est souvent disputé avec les arbitres, ses adversaires et ses coéquipiers.

 » Oliver Kahn était mon grand modèle. Il possédait également un style reconnaissable et il suscitait aussi des réactions extrêmes. Il faut parfois pouvoir polariser un peu « , a-t-il raconté fin de l’année passée au Guardian.  » Naturellement, les supporters des autres clubs me haïssaient mais ça ne m’a jamais dérangé. Le fait qu’ils parlaient de moi signifiait que j’existais. C’est typiquement allemand : on jalouse les gens qui ont du succès. Je ne supporte pas cette mentalité.  »

Wiese a grandi à Bergisch Gladbach, une petite ville de Rhénanie-Westphalie, et a commencé à jouer au DJK Dürscheid. À sept ans, en 1989, le Bayer Leverkusen l’y a remarqué. Après dix années de formation, le Bayer l’a renvoyé. Il ne le jugeait pas assez bon. Wiese a alors effectué ses débuts en Regionnalliga avec le Fortuna Cologne, en 2000. Le FC Kaiserslautern a trouvé quelque chose à ce géant de vingt ans. Après le départ de Roman Weidenfeller au Borussia Dortmund, il s’est avéré meilleur que son concurrent, Georg Koch, et il a effectué ses débuts en Bundesliga en 2002.  » Une époque fantastique. L’ambiance était paisible et on connaissait le succès. C’est grâce aux Grün-Weissen que j’ai intégré l’équipe nationale.  »

Il a disputé son premier match à l’Olympiastadion de Berlin contre l’Angleterre. Joachim Löw l’a fait entrer en seconde période, en remplacement de René Adler. Après le suicide de Robert Enke en novembre 2009, il espérait devenir le numéro un de la Mannschaft mais le sélectionneur lui a préféré Manuel Neuer, son cadet de cinq ans.  » Il joue au Bayern alors que moi, je suis au Werder « , a-t-il déclaré dans une interview, accentuant encore son impopularité en Allemagne.

 » J’ai toujours dit ce que je pensais et je ne le regrette pas, pas plus que je ne regrette d’avoir refusé l’offre du Real. Iker Casillas était un monument et je n’avais aucune envie de passer un an sur le banc et de risquer ainsi ma place en équipe nationale. A l’époque, Hoffenheim me paraissait être le meilleur choix.  » Ironie du sort : quelques mois plus tard, José Mourinho renvoyait San Iker sur le banc et Wiese avait disparu de la Rhein-Neckar-Arena. Il n’allait plus jamais être sélectionné en équipe nationale. Il a eu l’opportunité de signer en Russie mais il a refusé et a déménagé à Brême, avec son épouse Grit Freiberg et leur fille Alina. Dégoûté du football et des supporters. La grande gueule avait quand même un côté sensible, finalement.

UN PAQUET DE MUSCLES

Son retour à Brême,  » le seul endroit où il a été vraiment heureux « , était une fuite, comme il l’a reconnu plus tard. Pas son choix pour le catch.  » Là, on aime les vrais hommes, les gaillards qui se défient physiquement et verbalement « , explique Wiese au Guardian.  » Je ne supporte pas de paraître faible et je ne comprends donc toujours pas comment j’ai pu craquer mentalement à Hoffenheim « , a-t-il raconté en novembre 2014, pendant une tournée à Francfort du WWE World Tour où il tenait le rôle de Special Timekeeper. Un paquet de muscles en jeans et veste de cuir, qui jubilait comme un gosse le long du ring.

Il était invité par Paul Michael Levesque, Executive Vice President of Talent, Live Events and Creative de la WWE, où il avait fait carrière sous le surnom de Triple HHunter Hearst Helmsley.  » C’est ce qu’il veut faire et je crois en lui. Ancien footballeur professionnel, Tim sait comment se concentrer sur un objectif « , avait raconté The King of Kings.

Wiese s’est préparé pendant des mois en Allemagne à son stage au WWE Performance Center d’Orlando, où il a perfectionné ses mouvements aux côtés de stars internationales.  » Je pensais que la préparation à une saison de Bundesliga était dure mais c’est encore d’un tout autre niveau.  » Pour exécuter ses mouvements avec plus d’explosivité, il a dû redescendre à 116 kilos.  » Je me sens invincible « , a proclamé Wiese la veille de ses débuts à l’Olympiahalle de Munich, début novembre 2016.

Il tenait le rôle du méchant, un rôle qui convient parfaitement à La Machine. Ses adversaires ? The Shining Stars, les lourds cousins Primo & Epico, et Bo Dallas, un athlète de plus de cent kilos dans un minuscule short. Le public a jubilé et Wiese s’est auto-proclamé invincible.  » Si je dois balancer du ring plus de catcheurs que vous aimez, appelez donc La Machine.  »

PAR CHRIS TETAERT – PHOTO GETTY

 » Je me sentais indésirable. La pression était trop forte pour pouvoir encore être performant.  » TIM WIESE

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