La Louvière + Mons= LA solution ?

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Les constats démographiques et géographiques sont clairs : les Loups seraient mieux avec les Dragons qu’avec les Zèbres.

Le carrousel aux rumeurs ne s’est jamais aussi bien porté dans le Hainaut. Chaque jour apporte son lot de nouveaux bruits, de nouveaux pseudo-investisseurs, de nouveaux médiateurs, de protestations de supporters des trois clubs concernés par une éventuelle fusion. Son lot de frustrations, aussi. A La Louvière, la tension est palpable à tous les niveaux du club. Les dirigeants analysent avec un certain scepticisme toutes les offres de collaboration qui leur parviennent. Une chose est sûre : s’il semble y avoir beaucoup de candidats pour donner la main à ce club, le président FilippoGaone attend toujours un premier geste concret : un chèque à plusieurs zéros. Les joueurs, eux, s’inquiètent et essayent vaille que vaille de rester concentrés sur le plus grand défi de l’histoire de la RAAL : la finale de la Coupe. A Charleroi aussi, on relève certaines tensions. Quand on a d’importantes responsabilités dans le fonctionnement purement sportif du Sporting, on se sent automatiquement menacé par une union éventuelle avec Mons ou La Louvière. A Mons, troisième club en lice, tout est assez calme, par contre. Pour une raison évidente : l’Albert n’est pas le plus demandeur des trois pour une fusion. Les patrons de Charleroi et de La Louvière sont conscients que tout sera plus difficile, dans les années à venir, s’ils continuent seuls. Les Montois, eux, pourraient très bien continuer à se débrouiller sans l’aide de personne. Ils ont en effet une triplette d’atouts qui ne sont pas réunis au Tivoli et au Mambourg : une équipe compétitive, une trésorerie (apparemment) saine et l’assurance de posséder prochainement un tout nouveau stade.

Filippo Gaone continue à chercher des solutions. La meilleure, pour lui, est une poursuite des activités de La Louvière sans passer par une fusion. S’il s’associe avec Charleroi ou Mons, cela voudra dire que sa quête d’investisseurs sera restée vaine. Mais, en cas de fusion, auquel de ces deux clubs a-t-il le plus intérêt à se lier ? S’il lit une référence en matière de répartition géographique idéale de nos équipes de D1, il tranchera très vite : il continuera à discuter avec Mons et mettra fin à ses contacts avec Charleroi. Cette référence, c’est le mémoire présenté il y a trois ans par un licencié gantois en géographie et économie : Trudo Dejonghe. Aujourd’hui professeur d’université, il avait à l’époque détaillé, en plusieurs centaines de pages, quelques théories qui interpellent. Pour lui, la D1 belge devait au plus vite tomber à 14 clubs. OK, mais il n’était pas le seul à raisonner comme cela. Par contre, il fut le seul à pronostiquer, dans les années à suivre, la disparition de cinq clubs si ceux-ci ne décidaient pas d’une fusion avec l’un ou l’autre voisin : Alost, Malines, Lommel, Harelbeke et le RWDM. Tous ses pronostics se sont entre-temps vérifiés. Et l’homme, dont les raisonnements sont analysés de près à la Ligue Pro, connaît aussi bien le football wallon que flamand. Dans le même ouvrage, il préconisait fortement une fusion entre La Louvière et Mons ! Alors que l’Albert était encore en D3. Pour lui, rien n’a changé depuis l’accession de ce club en D1 : réunir les Dragons et les Loups est une vraie nécessité économique. Par ailleurs, il est tout aussi convaincu qu’une fusion entre Charleroi et La Louvière serait une grosse erreur. Pour les Louviérois surtout.

Seuil de survie : 300.000 personnes

 » La première étape, pour une amélioration de la santé de notre football professionnel, serait de ramener le nombre d’équipes de D1 à un maximum de 14, mais aussi de les répartir équitablement sur la carte « , lance Trudo Dejonghe.  » Mons, La Louvière et Charleroi se marchent clairement sur les pieds. En analysant ce qui se passe dans les grands pays du football, j’ai calculé qu’un club avait besoin, pour être viable, d’un réservoir de 300.000 personnes habitant dans un rayon de 15 kilomètres. Parce que c’est là qu’on recrute les masses. Ne nous voilons plus la face : la théorie des supporters qui viennent de l’autre bout du pays n’est valable que dans trois clubs : le Standard, Anderlecht et Bruges. Tous les autres ont un recrutement populaire fort régional. C’est dans ce fameux rayon de 15 km qu’il faut disposer de forces vives, pas dans les provinces voisines. Charleroi a un potentiel de 550.000 personnes dans ce cercle, mais Mons plafonne à 230.000 et La Louvière à 150.000. Il n’y a pas de club luxembourgeois en D1 et il n’est pas souhaitable qu’il y en ait prochainement un. Il n’aurait aucune concurrence régionale, mais pas non plus assez de public, dans le coin, pour lui permettre de survivre. Idem avec Eupen. Là-bas, au moins, les dirigeants ont le mérite d’en être conscients. Ils seraient contents de monter en D1 via le tour final mais ils ne se font pas d’illusions : pour une ville comme Eupen, il est utopique d’envisager un séjour prolongé en première division. Quand Ostende est monté en D1, j’avais déjà pronostiqué la chute aux enfers de ce club. Logique à partir du moment où Ostende est très loin des 300.000 personnes dans un rayon de 15 km. Il y a la mer d’un côté, le Westhoek de l’autre… et le Club Brugeois un peu plus loin. Impossible de survivre dans ces conditions. Seules les moyennes et les grandes villes ont un avenir. Il n’y a qu’en Belgique et en France qu’on trouve de petites cités en D1. On voit les problèmes financiers que cela occasionne chez nous, alors qu’on ne peut clairement plus considérer la France comme une référence à l’échelle de l’Europe. Dans les vrais grands pays du football, seules les villes importantes comptent : en Espagne, en Italie (il y a encore des clubs dans des petites villes, mais ils sont occupés à s’étrangler financièrement), en Angleterre, en Allemagne, même aux Pays-Bas. La seule exception notoire, c’est Kaiserslautern. C’est une petite ville, mais elle est facilement accessible et il n’y a aucune concurrence à 150 km à la ronde. Le football obéit à la même logique que la grande distribution : Carrefour cherche à couvrir tout le territoire mais n’ouvre pas de magasins proches les uns des autres et veut qu’ils soient tous rentables. Les décideurs des grands sports aux Etats-Unis l’ont compris : un club n’est accepté en NBA ou dans la ligue de football professionnel qu’à partir du moment où on a la certitude qu’il sera rentable. Un système fermé serait bon aussi dans le football belge : une petite trentaine de clubs de D1 et de D2 dans les principales villes, avec un système de relégation/promotion entre les deux divisions mais l’impossibilité de chuter en D3. Les dirigeants des actuels clubs de D3 et de Promotion vont crier au scandale si on instaure cette formule, mais ils doivent ouvrir les yeux : quel avenir ont-ils en D2 ou en D1 ? »

Si nos championnats restent ouverts, on ne pourra jamais empêcher un club de village de vivre une fantastique aventure, de se hisser jusqu’en D1. Un Westerlo, par exemple.  » Là-bas, il y a 22.000 habitants et 2.000 détenteurs d’une fan card « , explique Trudo Dejonghe.  » 10 %, c’est vraiment très bon. La moyenne de possesseurs d’une fan card est par exemple de 5 % dans le grand Charleroi, 4 % à La Louvière et à Mons. Ce qui importe, ce n’est toutefois pas le pourcentage de détenteurs par rapport à la population mais le nombre de fan cards vendues. Westerlo n’a aucune chance de tripler ou même de doubler son assistance moyenne au cours des prochaines années, tout simplement parce que le potentiel est insuffisant. Mes études, basées sur les populations et les ventes de fan cards, m’ont en tout cas révélé une chose étonnante et intéressante : plus la ville est petite et plus le pourcentage de gens qui vont au foot est élevé. Transposez les 10 % de Westerlo à Charleroi et vous aurez 20.000 détenteurs d’un fan card du Sporting habitant dans le grand Charleroi. En y ajoutant les supporters d’autres régions ayant acheté une fan card de ce club, on obtiendrait un stade comble tous les 15 jours « .

Charleroi + La Louvière = absorption.

Trudo Dejonghe suit de près les négociations qui secouent actuellement le football hennuyer.  » Je suis convaincu que ce serait une grosse erreur d’unir Charleroi et La Louvière. Pourquoi les dirigeants de Charleroi se sont-ils montrés intéressés ? Parce qu’ils n’étaient pas certains, à l’époque, d’obtenir leur licence. Je ne dis pas que le Sporting a quelque chose à perdre dans une aventure comme celle-là, mais il n’a pas grand-chose à gagner non plus. Quant à La Louvière, elle a tout à perdre. Charleroi-La Louvière n’aurait rien d’une fusion, finalement : ce serait purement et simplement une absorption. La Louvière a, cette saison, une moyenne de 4.000 spectateurs. Je prévois qu’un millier de supporters seulement accepteraient de se rendre à Charleroi. Les autres préféreraient se rabattre sur un club de leur région, comme l’US Centre. On ne peut pas fusionner deux villes aussi différentes. Charleroi est le géant, La Louvière est le petit Poucet. Pour avoir des chances de réussir, une fusion doit rassembler deux villes et deux clubs d’une importance comparable. Or, aussi bien en termes de population que d’assistances moyennes, La Louvière et Mons sont sur le même pied : 92.000 habitants à Mons, 77.000 à La Louvière ; 7.600 fan cards vendues à Mons, 5.800 à La Louvière. A côté de cela, la taille de Charleroi est disproportionnée : 200.000 habitants, 15.700 fan cards. Charleroi ne ferait qu’absorber La Louvière : souvenez-vous de Standard-Seraing. Après quelques semaines, on ne parlait déjà plus de Seraing. Comme si ce club n’avait jamais existé. La Louvière risque exactement le même phénomène si elle va à Charleroi « .

Mons + La Louvière = fusion.

L’exemple à suivre, pour Trudo Dejonghe, est celui de Genk : deux villes géographiquement très proches (Winterslag et Waterschei), mais aussi û et peut-être surtout û un nouveau stade.  » Mons va avoir de nouvelles installations : c’est le moment d’en profiter. Si La Louvière fusionne avec Charleroi, les supporters de la RAAL auront un complexe d’infériorité parce qu’on leur demandera d’aller dans un stade au départ ennemi, où les fans de l’autre équipe concernée ont depuis longtemps leurs habitudes. Le mieux, en cas de fusion entre Mons et La Louvière, serait de construire un nouveau stade à mi-distance entre les deux villes. Mais la rénovation du Tondreau peut aussi faire l’affaire parce que les supporters actuels de La Louvière assisteront aux travaux et auront l’impression qu’on construit leur stade. A Genk, les anciens supporters de Waterschei n’ont pas de raisons d’avoir un quelconque complexe de supériorité par rapport à ceux de Winterslag, parce que le Fenix a été construit pour tout le monde. Ils se sentent tous chez eux. Or, perdre son identité, c’est ce qu’il y a de pire pour un supporter. Et, si on leur impose d’aller à Charleroi, ceux de La Louvière la perdront clairement « .

Une fusion : tout bon pour le sponsoring

La Louvière a une moyenne de 4.000 spectateurs et celle de Mons tourne autour des 5.000. Combien y aurait-il de supporters dans le nouveau club fusionné ?  » Le noyau dur des deux clubs n’irait plus au stade « , pense Dejonghe.  » Mais combien de personnes cela représente-t-il ? Quelques dizaines tout au plus. Une autre catégorie patienterait avant de retourner au foot, le temps de voir ce que donne la fusion. Mais on pourrait raisonnablement espérer 6.000 spectateurs dès le départ, lors des matches à domicile. Avec la possibilité de faire grimper très vite ce chiffre si les résultats suivent. Evidemment, passer de 5.000 à 6.000 n’est pas spectaculaire, mais il faut aussi voir les effets annexes : un seul noyau à entretenir au lieu de deux, la diminution par deux des frais de personnel et d’entretien des installations, ainsi que la probabilité d’attirer de nouveaux sponsors régionaux. Or, ce sont des pions essentiels du jeu. Combien de clubs de D1 ont un grand sponsor national sur le maillot ? Bruges et Anderlecht parce qu’ils ont une aura nationale. Ainsi que le GBA et Mouscron jusqu’à la fin de cette saison. Et les autres ? VDK à La Gantoise. Le CPH à La Louvière. Holcim à Mons. Trudo à St-Trond. Presque tous les clubs moyens et les petits sont logés à la même enseigne. La présence conjuguée de Mons et de La Louvière en D1 dissuade aussi, très certainement, pas mal d’entreprises régionales de s’impliquer dans le football car elles ne veulent pas faire pour l’un ce qu’elles refusent à l’autre. Et elles préfèrent dès lors s’abstenir. Réunir Mons et La Louvière serait à coup sûr une façon de conclure de nouveaux contrats publicitaires car il n’y aurait plus le risque de faire un jaloux « .

La théorie de Trudo Dejonghe est bien argumentée et mérite certainement qu’on s’y attarde. N’y a-t-il toutefois pas un hic ? Cet homme accorde une grande importance aux revenus de la billetterie. Or, que représentent encore les abonnements et les ventes aux guichets dans le budget des clubs de D1 ? Un pourcentage ridicule, de nos jours.  » C’est vrai, mais le nombre de spectateurs conditionne beaucoup de choses. Pour un sponsor, soutenir une équipe qui attire 4.000 ou 8.000 spectateurs est très différent. Si les gens viennent au stade, cela veut dire que le club vit et il sera dès lors plus tenté de le soutenir financièrement. Le meilleur exemple, c’est l’ex-Seraing. Cette équipe faisait de bons résultats et était fort médiatisée, mais elle n’est quand même parvenue à séduire qu’un seul gros sponsor : son patron, Gérald Blaton ! C’est révélateur. Alors que les sponsors auraient fait la file s’y avait eu, à chaque match, 10.000 personnes au Pairay. A partir du moment où un club a du monde dans son stade, la première étape est franchie et tout le reste suit « .

Faut-il fermer les championnats de D1 et D2 ? » Les supporters de La Louvière n’iraient pas à Charleroi mais accepteraient d’aller à Mons « 

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