La longue marche

Le T1 liégeois s’est torturé les méninges pour définir son avenir, mais la Belgique n’est-elle pas trop petite pour lui ?

« Ils sont faits l’un pour l’autre… Séparer, séparer, séparer, séparer. On ne pourra jamais les séparer « . Il y a quelques semaines, tout le monde aurait juré que les paroles du tube de la chanteuse Maurane résumaient bien la solidité d’un couple qui a fait merveille au Standard : Michel Preud’homme et Luciano D’Onofrio.

C’était la parfaite union du charisme, de la connaissance technique de l’ancien meilleur gardien de but du monde et de l’intelligence d’un ex-agent de joueurs surdoué et spécialiste du relationnel auprès des plus grands clubs de la planète. Luciano a sauvé le Standard de la déroute financière et a bâti un centre d’entraînement de classe internationale en attendant d’ériger un nouveau stade. MPH a rassemblé des briques venues de partout et construit une équipe championne. Ils étaient complémentaires, faits l’un pour l’autre…

Après dix ans de travail de D’Ono, de progrès et de petites avancées avec divers coaches ( Tomislav Ivic, Zeljko Mijac, Jean Thissen, Henri Depireux, Robert Waseige, Dominique D’Onofrio, Johan Boskamp, Preud’homme), c’était enfin le nirvana. Le Standard était parti pour un long règne. On oubliait que l’enfer n’est jamais loin du paradis. La joie du titre tant attendu depuis 25 ans a peut-être caché les premières tensions qui ont flétri cette union sacrée. En Belgique, la durée moyenne d’un mariage ne dépasse plus les huit ans et on note, chaque année, quatre mariages pour trois divorces. C’est encore plus délicat pour les entraîneurs dont la présence à la tête d’un club excède rarement les trois championnats…

Mais Preud’homme, c’est autre chose. Joueur de légende des Rouches, il était revenu au Standard en 2000, requinqua une coquille de noix et la transforma en bon bateau de D1. Cette tâche l’épuisa et il prit du recul en 2002, devenant directeur sportif. Cette activité et un rôle en vue à l’Union Belge (président de la Commission technique, donc patron des Diables Rouges) lui ont permis de multiplier l’influence du Standard. Déçu par les politicards de la grande maison de verre (n’était-il pas le candidat idéal pour être élu président de l’Union Belge ?), il accepta de prendre le relais de Boskamp en tant qu’entraîneur.

Du travail à la Arsène Wenger

L’heure était grave : les Liégeois n’avaient pas d’équipe sur le terrain et toutes les conquêtes réalisées par Dominique D’Onofrio (deux fois troisième et une fois deuxième !) risquaient de disparaître. MPH était redevenu entraîneur pour de bon. Il était libre Michel, il ne dépendait plus de personne, ni de l’Union Belge, ni de Luciano D’Onofrio mais uniquement des résultats. Pour lui, cela passait ou cela cassait en tant que coach. Avec son staff ( Manu Ferrera, José Veloso, Stan Vandenbuijs, Guy Namurois), MPH n’a connu que des succès : 3è du championnat et finaliste de la Coupe de Belgique en 2006-07, champion cette saison, rajeunissement réussi de l’équipe après le départ de Sergio Conceiçao, etc. C’est du travail à la Arsène Wenger avec une approche très moderne de la vie de groupe.

Cette avancée significative dans le développement du Standard n’aurait cependant pas été appréciée à sa juste valeur au c£ur du club. Ne dit-on pas sous cape que les hauts gradés du club préfèreraient des entraîneurs à poigne style Tomislav Ivic ou Javier Clemente ? Conceiçao ne pourrait-il pas entamer une carrière de coach à Sclessin ? De plus, les huiles estimeraient que le jeu doit être encore plus direct et vertical que celui de MPH pour avoir une chance de succès sur la scène européenne. La direction liégeoise s’en défend en avançant qu’elle a présenté un nouveau contrat d’un an à son coach. Même si le montant de cette proposition est certainement intéressant, le problème de tractations s’étirant en longueur se situait ailleurs. MPH connaît les limites financières de son club qui essuiera un petit déficit d’exploitation cette saison (entre 2,5 et 4 millions d’euros) dus aux efforts consentis pour garder les vedettes ( Marouane Fellaini, Milan Jovanovic) et payer les primes de succès, etc. Il aurait été étonné par le temps que tout cela a pris : trois semaines après la conquête du titre.

Le Standard a expliqué que c’était dans ses habitudes. En 2006, Preud’homme a pourtant signé pour près de deux ans quand il prit la succession de Boskamp. MPH a-t-il estimé que le Standard manquait de respect à son égard en lui proposant cet accord d’un an synonyme de doute à son égard ? La méfiance était au rendez-vous. En hiver, il a été cité en tant qu’éventuel successeur de René Vandereycken à la tête des Diables. La direction de Sclessin ne s’est pas élevée contre cette éventualité et Luciano D’Onofrio aurait dit à Jean-Marie Philips :  » Si vous le voulez, prenez-le « .

Preud’homme ne l’ignorait pas. Etonnant alors que le Standard n’avait pas encore fait le break en championnat. Encore fallait-il interpréter cette phrase. Etait-ce l’expression d’un désaveu ou une preuve de la sérénité du Standard ?

Un peu plus tard, Anderlecht tâta le terrain. C’était une idée de Roger Vanden Stock qui fit cependant marche arrière. Il n’avait pas envie de se heurter à Luciano D’Onofrio et, de toute façon, Ariel Jacobs répondait amplement à toutes les attentes. Philippe Collin aurait-il été aussi prudent que Vanden Stock s’il avait eu cette idée ? Pas sûr. Collin se serait bien frotté à Luciano, dit-on. MPH a noté cet intérêt qui, même s’il n’était pas concret, constituait un atout dans sa stratégie. Il savait désormais que le monde de la D1 ne le voyait pas travailler uniquement au Standard. C’était une prise de conscience importante dont il fut beaucoup question lors de la soirée du Footballeur Professionnel. L’entraîneur de l’année n’avait toujours pas de club pour la prochaine saison. Des langues se délièrent. Une confirmation fut de plus en plus évidente : les relations entre MPH, d’un côté, et Dominique D’Onofrio ne sont pas spécialement bonnes.

MPH estimerait que DD lui tire régulièrement dans les pattes. Ce dernier, d’après l’hebdomadaire Le Vif/L’Express, serait jaloux des lauriers du T1. Or, leurs différents boulots sont complémentaires. Après avoir bien bossé comme coach, DD est désormais directeur technique et sillonne le monde à la recherche de talents non sans succès : il a découvert Marcos, recommandé Dieumerci Mbokani, etc. MPH serait cependant lassé par le linge sale que Dominique lave de plus en plus souvent en public. Quand on parle fort, cela s’entend. Il y avait moyen de les mettre sur la même longueur d’onde, ces deux amoureux du football. MPH n’a pas du tout le même caractère que Pierre François, cet ancien brillant avocat. L’un plaide, l’autre coache. MPH a son auditoire : les stades, le monde du foot, les médias.

La Belgique est trop petite pour lui

François ne sera jamais aussi populaire que MPH devant de telles assemblées. Combien utile, son rôle est forcément plus discret que celui d’un coach à succès. Le directeur du Standard a- t-il essayé de cantonner le terrain d’expression du T1 au Standard ? Désire-t-il prouver qu’il est le numéro 2 derrière Luciano et dirige la baraque ? Il y a eu quelques solides disputes entre eux. Pierre François a parfois convoqué le T1 dans son bureau : MPH a évité car il avait d’autres chats à fouetter. Ce fut le cas quand Preud’homme supprima un entraînement. Les troupes avaient besoin de repos cet après-midi-là. Pierre François n’apprécia pas car il avait prévu la visite d’une école à l’Académie Robert Louis-Dreyfuss. Les explications n’ont pas dû être tendres. Ces deux-là n’iront jamais en vacances ensemble car ils ne voient pas la vie par le même bout de la lorgnette.

Les doutes et le manque de respect ont pesé dans la réflexion de MPH. Tout entier concentré dans la lutte pour le titre, il n’a pas songé à confier ses intérêts (la gestion de sa carrière) à un agent. Et, de toute façon, qui a plus de relations que Luciano D’Onofrio qui l’a transféré à Benfica et fait revenir au Standard ? Personne. Cette absence de conseillers a probablement limité sa marge de man£uvre. Le Standard et Preud’homme ont longtemps joué au chat et à la souris. C’était à qui prendrait la décision de rompre les négociations, de dire que c’était OK ou pas. Il y a eu du bris de vaisselle malgré les discours. Entre eux, ce ne sera plus jamais comme avant.

Bien renseigné, Gand en a profité et proposé deux ou trois ans de contrat : à MPH de choisir. Mais ce club, aussi sympa soit-il, n’a pas du tout la même allure que le Standard. Le centre d’entraînement est indigne d’une équipe de D1. A partir du mois de novembre, les pelouses sont gorgées d’eau et même de boue. Il est impossible d’y travailler comme c’est le cas au Standard. Cela a fini par décourager des entraîneurs tels Georges Leekens et Trond Sollied. Gand serait décidé à remédier à la situation. Les travaux de construction d’un nouveau stade vont commencer. Les Buffalos disposent d’une cellule de recrutement haut de gamme. En quelques années, la vente de joueurs a permis à ce club d’effacer une fameuse ardoise. L’effectif actuel ne manque pas d’atouts. Gand était tombé amoureux de MPH

Gand ou le Standard : était-ce le véritable défi de Preud’homme la semaine passée ? Pas sûr. Il a pris ses responsabilités pour l’instant, mais si MPH veut devenir un jour l’égal d’ Eric Gerets, il devra quitter la Belgique, trop petite pour lui, et s’affirmer ailleurs que sous l’aile de Luciano. Il doit quitter le nid sous peine de rester un oisillon. C’est la grande leçon de ce qu’il vient de vivre. Gerets est désormais un dieu à Marseille et une valeur en vue à l’échelle de l’Europe. Eric-le-Lion a brillé en Hollande, en Allemagne et en Turquie avant de conquérir la France. En Belgique, il ne peut qu’hypothéquer son acquis, devenir l’égal de ces coaches qui vivent dans le vase clos de la D1. MPH vaut bien plus que cela…

par pierre bilic – photos : reporters

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire