La légende Thys

Le 19 décembre 1979, le coach au cigare engrangeait à Glasgow le premier de ses grands succès : qui était cet adepte du football pur malt ?

« Je ne le répéterai pas. Dehors ! « , d’habitude si flegmatique, Guy Thys n’hésite pas, le 19 décembre 1979, à virer le président fédéral Louis Wouters du vestiaire des Diables Rouges. L’Ecosse est menée 0-3 au repos à Hampden Park de son duel face à la Belgique et celle-ci est potentiellement qualifiée pour Rome et à l’ Europeo80. Le président et d’autres huiles de la fédé forment une bande bruyante, rendue gaie par un bon repas arrosé des meilleurs whiskies et chante à tue-tête :  » On va en Italie, on va en Italie…  » Mais il reste 45 minutes de jeu et Thys sait que la deuxième mi-temps peut être infernale face à des Ecossais rageurs.

Que prépare Jock Stein, le célèbre coach adverse, qui n’a toujours pas digéré la défaite à Bruxelles (2-0) ? Dans la capitale de l’Europe, il avait dû se passer de quelques titulaires, dont Graeme Souness, et avait été horripilé par la brutalité des interventions de… Michel Renquin que Thys rappela à l’ordre au repos. A l’heure de la tasse de thé à Glasgow, la donne est claire : seul un succès peut qualifier les Diables pour la grande fête italienne. Alors comment protéger ce 0-3 ?

Au repos, Wilfried Van Moer demande son remplacement mais Thys le prie de jouer quelques minutes en deuxième mi-temps. Que cherche-t-il ? N’est-ce pas une perte de temps ? Malin comme un renard, Thys veut lire dans les cartes de Stein. Le coach écossais a lancé un attaquant de plus sur la pelouse et la réaction de son adversaire belge fuse : Van Moer cède sa place à un élément défensif, Gérard Plessers, dès la 49e minute de jeu. La partie d’échecs peut continuer.

A 57 ans, Thys est au sommet de son art. Depuis le 22 mai 1976, l’Anversois a pris la succession de Raymond Goethals au poste de coach de l’équipe nationale . Thys a passé le football belge aux rayons x durant des mois afin de détecter de nouveaux talents. Son métier et son coup d’£il font merveille et, en 1977 déjà, il lance Jan Ceulemans, titulaire dès sa deuxième sélection face à l’Islande (4-0). Caje est dans un mauvais jour et le public bruxellois le siffle, demande la montée au jeu de Frankie Vercauteren resté sur le banc. A l’issue du math, le terrible Wouters n’y va par quatre chemins :  » J’espère que tu n’aligneras plus jamais ce lourdaud.  » Thys réplique calmement :  » On verra, on verra…  » Avant tout le monde, le coach fédéral sait que Ceulemans a la taille et la classe d’un futur immense attaquant.

Il ne quitte pas les Juniors UEFA des yeux, eux qui se sont emparés du titre européen en 1977.  » C’est l’avenir… « , dit-il. Il le prouve à Glasgow deux ans plus tard quand deux de ces jeunes fêtent leurs débuts en tant que Diable Rouge : Erwin Vandenbergh et Plessers. A côté des jeunes, il a aussi fait appel à un vieux de la vieille pour le poste d’arrière gauche : Maurice Martens. Le grand alchimiste anversois jongle avec les problèmes, trouve sans cesse des solutions et son bon sens fait merveille.

Une variété d’expériences lui a offert un savoir-faire unique

Cet art plonge ses racines dans la vie de Guy Jean Léonard Thys (né le 6 décembre 1922) qui, avec son frère Roger, son cadet de sept ans, a passé son enfance près du Palais de justice d’Anvers où son père, Ivan, possède un commerce de combustibles. International (20 caps), Ivan Thys a rang de star du grand Beerschot et, durant les années 30, le stade Olympique du Kiel est l’endroit en vogue de la D1 belge. Guy Thys grandit dans cette passion du football et le commerce des parents où fleurissent l’accent, la truculence et l’humour des Anversois.

Le foot, c’est la fête et il s’est longtemps souvenu des tournées des grands ducs de son père après de grands matches. Le fils le suit parfois et marie plus tard football et plaisirs de la vie. Doué et cool, Guy Thys débute en équipe première le 10 avril 1940, à 17 ans, aux côtes de Raymond Braine. Ce bon vivant, né coiffé, devine que l’orage gronde sur la scène internationale. Certains de ses équipiers plus âgés sont rappelés sous les drapeaux.

Un mois après ses débuts en D1, la Deuxième Guerre mondiale éclate. Il interrompt ses humanités en poésie et sa maman lui prépare d’urgence une mallette remplie de tartines, de jambon et de fromage. Le jeune homme file à vélo vers la France pour échapper aux Nazis. C’est l’exode. Il dure 12 jours et s’arrête à Abbeville sur de routes bombardées et mitraillées par l’aviation ennemie. Le retour à Anvers est pénible. La vie reprend péniblement son cours, le football aussi et Guy Thys joue même au Daring. En 1944, il se cache durant trois mois chez les parents de sa future première épouse pour échapper au travail obligatoire en Allemagne.

L’occupant fouille en vain le commerce de ses parents. Guy Thys est introuvable. Son sens de la débrouillardise est-il né lors de ces moments difficiles, comme quand les sinistres bombes volantes, les V1 et les V2, s’abattent sur la Métropole ?

Après la victoire, il s’investit de plus en plus dans l’affaire familiale tout en devenant une valeur sure de la D1. En 1954, il signe au Standard qu’il avait déjà renforcé lors de tournois aux Pays-Bas et en Suède. Guy Thys a été mis en contact avec les Rouches par ses relations liégeoises dans le commerce du charbon. Il vit quatre belles saisons, décroche deux caps en équipe nationale avant de devenir joueur/entraîneur puis coach. Entraîneur, il récolte des succès (Cercle Bruges, Herentals, Beveren, Antwerp) mais des moments plus délicats aussi (Lokeren et l’Union Saint-Gilloise).

En tant que coach, Thys a été champion dans toutes les séries nationales sauf en D1 où il termine à deux reprises à un souffle du titre. Il adapte son football aux réalités de ses clubs, offensif avec Beveren ou l’Antwerp, défensif style béton armé au Parc Duden. Cette variété d’expériences lui offre au fil des années un savoir-faire unique qui lui sera utile en tant que coach fédéral.

En 1979, au retour d’un match en Norvège (1-2), il remarque que  » les Diables Rouges ont besoin d’un meneur de jeu « . Et, dans l’avion, au cours d’une conversation avec Rik De Saedeleer (ancien joueur et journaliste à la VRT), surgit le nom de Van Moer, 34 ans, qui achève sa carrière à Beringen tout en tenant une taverne à Hasselt, le Wembley. Thys finit par convaincre Kitchie qui, après cinq ans d’absence signe un but et réussit un retour de feu contre le Portugal (2-0). Finalement, l’inoubliable Ecosse-Belgique du 19 décembre 1979 est aussi le résultat de la lente maturation personnelle de Thys.

Les attaquants écossais tombent dans le piège comme des guêpes dans une bouteille de bière brune

Grand amateur de whisky, Thys décolle au pays du scotch et Stein a bien du admirer les directives que l’Anversois a donné à René Vandereycken :  » Tu ralentis le jeu. Quand tu as la balle, fais semblant de tenter une transversale. Puis, tu te ravises, tu attends et tu transmets le ballon à notre gardien. Cela fera chaque fois une minute gagnée…  » Et c’est aussi ce soir-là, à Glasgow, que Thys demande à Walter Meeuws d’organiser pour la première fois la man£uvre du hors-jeu. Les attaquants écossais tombèrent dans le piège comme des guêpes dans une bouteille de bière brune.

Et sa patte de lapin ? Cette histoire l’a toujours énervé. La chance ne sourit jamais à ceux qui manquent d’audace. La chance ? Oui, il en a eu en étant heureux aux côtés de sa deuxième épouse, Christiane Contamine (ex-championne de natation, de tennis et de hockey) dont les parents et les grands-parents étaient des fabricants de cigares. La légende se souvient aussi de la finale de l’Euro 80 (Allemagne-Belgique, 2-1), d’Argentine-Belgique (0-1) en ouverture du Mundial 82, de la saga mexicaine quatre ans plus tard, d’Italia 90, etc.

Thys a toujours désigné Argentine-Belgique et Ecosse-Belgique comme ses matches préférés à la tête des Diables Rouges. A Barcelone, il ne lança pas un garde du corps dans les jarrets de Diego Maradona mais l’enferma dans une défense en zone. Ce fut la clef d’un grand succès, le chef d’oeuvre tactique d’un coach qui n’oublia jamais que  » tout a commencé en Ecosse, le 19 décembre 1979. Ce fut un match parfait avec un but pour un sacré débutant, Erwin Vandenbergh, et deux pour l’intenable François Van der Elst.  » Une grande équipe nationale était née, un état d’esprit aussi qui porta les Diables de 1980 à 2002.

par pierre bilic – photos: belga

Thys n’hésita pas à virer le président de l’Union belge du vestiaire des Diables Rouges !

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