» La joie collective, c’est le max « 

Une interview à deux voix avec John Degenkolb, un des meilleurs coureurs cyclistes du monde, et Tim Matthys, un joueur de Malines ? Que peuvent-ils bien avoir en commun ? Parcourez donc ces lignes pour le savoir.

Fin février 2011. Tim Matthys et ses copains fanas de cyclisme établissent leur top trois pour le Circuit Het Nieuwsblad, comme chaque année. Ils misent sur des noms connus, comme Tom Boonen ou Philippe Gilbert. L’un d’entre eux pense à un coureur plus surprenant : John Degenkolb, un pro encore relativement inconnu de HTC-Highroad, malgré sa deuxième place au Mondial pour espoirs. Jeroen défend son choix :  » C’est un garçon solide, taillé pour les pavés.  » Quand Matthys et Cie arpentent les collines du Circuit, le regard braqué sur le dossard de Degenkolb, ils découvrent que l’Allemand de 22 ans s’est aisément lové dans le peloton de tête. Il termine douzième.  » Ce sera notre homme « , décident-ils, sans encore comprendre que le coureur va devenir un des meilleurs du monde.

Un an plus tard, les potes de Zottegem sont à nouveau le long des routes, cette fois avec une banderole. Ils postent leurs photos sur Twitter avec Degenkolb comme tag et celui-ci répond immédiatement, agréablement surpris d’avoir un (demi) club de supporters en Flandre. Il n’effectue sa percée internationale que plus tard dans la saison. A 23 ans, l’Allemand enlève cinq étapes de la Vuelta. Matthys et ses copains sont ravis d’avoir découvert ce diamant brut depuis bien longtemps. Leurs contacts s’intensifient et en mars dernier, trois jours avant sa victoire à Gand-Wevelgem, Degenkolb les rencontre pour la première fois à l’hôtel où réside son équipe. Et le courant passe admirablement. Un club de supporters est même formé dans la foulée en Belgique.

Voici quelques semaines, Mathys nous raconte cette histoire, en marge d’un article sur sa carrière. L’idée mûrit : pourquoi ne pas réaliser une double interview de lui et de son idole en été ? Les problèmes d’agenda sont vite réglés : Degenkolb va sans doute participer à un critérium belge après le Tour. De fait : deux jours après l’arrivée de la caravane à Paris, nous attendons le sprinter à Roulers, en compagnie de Matthys, qui a tout organisé. Pas dans un café car c’est la seule exigence de Degenkolb : il veut manger un bout avant de courir le critérium, en soirée.

Le vainqueur de Gand-Wevelgem ne s’y colle pas seulement pour les primes de départ.  » C’est ici qu’on peut gagner en popularité, nouer des liens avec les supporters belges. Distribuer des autographes, poser pour un selfie… Si je me comporte mal maintenant, ils me traiteront de la même façon lors des prochaines classiques. Or, je veux être un héros que le public acclame et pousse en avant.  »

 » Le foot monopolise toute l’attention  »

Comme vous l’avez fait au Tour en roulant sur la roue arrière ou en faisant applaudir le public après les victoires de votre coéquipier Marcel Kittel ?

Degenkolb : Oui. Ce n’est même pas conscient. C’est une impulsion. Si j’aime tant mon sport, c’est parce que les vedettes sont proches des supporters alors que de grands footballeurs comme Messi et Ronaldo en sont protégés. Je veux éviter ça, surtout en Belgique, le coeur battant du cyclisme. Ici, on scande davantage mon nom qu’à Francfort, où j’habite. Au début de ma carrière, j’ai même envisagé de déménager en Flandre mais j’ai finalement suivi ma femme de Thuringe à Francfort et je n’arrive pas à l’en arracher. Je n’ose pas trop insister, pour éviter les problèmes !

Tim, à Zottegem, en plein coeur des Ardennes flamandes, vous avez grandi dans le milieu cycliste ?

Matthys : Dès la première cuillère ! Toute la famille assistait même aux courses pour amateurs car le neveu de mon grand-père y participait. Je me baladais sur un vélo de course, avec un maillot fluo de Lotto que ma mère, coiffeuse, avait reçu en cadeau de Sammie Moreels, un coureur pro qui faisait partie de sa clientèle. Supporter de Gand, j’étais encore plus dingue de football et j’y étais bon, donc j’ai opté pour ce sport. Mais je n’ai jamais perdu ma passion du cyclisme.

John, que dit-on en Allemagne quand vous racontez qu’un footballeur professionnel a fondé un club de supporters en Belgique ?

Degenkolb : Je viens d’en parler à quelques footballeurs de l’Eintracht Francfort, lors d’une fête organisée par un journal. Ils ne comprenaient pas. Le dopage a éteint tout intérêt pour le cyclisme en Allemagne. Le football monopolise l’attention des médias. Les footballeurs eux-mêmes pensent qu’il n’y a que leur sport sur la planète.

Matthys : Je le remarque ici aussi. Il n’y a qu’à Zulte Waregem que nous allions ensemble voir le Tour des Flandres. Toujours les mêmes : Stefaan Leleu, Pieter Merlier, Nathan D’Haemers… C’était plus pour l’ambiance que pour la course. Mais ensuite, au Lierse, à Mons et maintenant à Malines, je n’ai pas trouvé de véritable amateur de cyclisme, même parmi les Flamands.

 » Gagner procure un kick  »

Les cyclistes s’intéressent-ils au football, John ?

Degenkolb : Absolument. Au début du Tour, tout le peloton parlait du Mondial, même en course. Les Néerlandais et moi charrions les Belges :  » Vous allez perdre contre l’Argentine !  » J’ai évidemment regardé tous les matches de la Mannschaft. Elle a inspiré les coureurs allemands car Marcel Kittel s’est imposé à Lille le jour de la demi-finale et Tony Martin a triomphé à Mulhouse quelques heures avant la finale.

Pendant le Tour, vous avez rencontré Mark van Bommel, invité par votre équipe. Enthousiaste, vous avez twitté :  » Une légende !  »

Degenkolb : Après quatre saisons au Bayern, il est célèbre en Allemagne ! En plus, c’est un chouette gars. A part Tim, je ne connais pas personnellement de footballeurs. En hiver, j’assiste parfois à des matches de Francfort, dans la grande tribune debout, au milieu du kop. C’est cool mais avec mon agenda, c’est une exception plutôt que la règle.

Vous avez également joué au football, d’après votre site web ?

Degenkolb : Ces derniers hivers, une fois par semaine avec un club cycliste local mais en salle. J’aurais pu devenir footballeur car à neuf ans, comme mes camarades, je jouais au SC Ettenstatt. C’était amusant mais ça ne plaisait pas à mon père, un ancien coureur amateur, qui m’a acheté un vélo. Un vieux, avec les vitesses en bas. Je l’ai longtemps boudé car je trouvais le football plus amusant puis mon père m’a inscrit à un critérium. Que j’ai gagné ! J’étais parti…

Vous vous reconnaissez dans l’histoire, Tim ?

Matthys : Oui, tout petit, je ne rêvais que d’une chose : devenir footballeur professionnel. Un prof m’a dit qu’on ne pouvait pas vivre du football mais je lui ai répondu que les bons le pouvaient. Je jouais pour Zottegem mais j’ai tout mis en oeuvre pour réussir. Sortir ? Rarement. De l’alcool ? Seulement à partir de vingt ans, à Gand.

Degenkolb : Il est essentiel de trouver un équilibre. De temps à autre, il faut souffler : sortir, boire une bière… Sinon, je ne tiendrais jamais pendant tous ces mois, à devoir faire attention au moindre détail. Par exemple, du 1er janvier à Paris-Roubaix, je ne bois pas une goutte d’alcool. Un coureur doit être à 100 % pour pouvoir gagner, au plus haut niveau. C’est ma motivation ultime. Ce sentiment, cette adrénaline après une victoire dans un sprint massif… c’est si spécial. J’y suis accro. C’est tout juste si ce n’est pas une drogue !

Matthys : Je ressens ce kick-là aussi. C’est pour ça que j’ai toujours joué en attaque : j’ai besoin d’attaquer, de délivrer des assists et de marquer !

 » Partager sa joie  »

Qu’est-ce qui donne le plus gros frisson : gagner un sprint massif ou marquer dans un stade comble ?

Matthys : Nous ne connaissons l’un et l’autre qu’une de ces facettes mais je pense que ça doit être le sprint. Quand un coureur franchit la ligne d’arrivée, après s’être faufilé pendant des kilomètres, il a gagné alors que mon but n’est généralement pas synonyme de victoire. A moins, évidemment, que je ne marque le 2-1 sur coup franc, dans la dernière minute de la Coupe, contre Mouscron, au Heysel.

Ce fut votre plus gros kick sur un terrain de football ?

Matthys : Non car l’arbitre a immédiatement sifflé la fin du match et j’ai été tiré de tous côtés. Je me demandais ce qui m’arrivait. J’en ai pris conscience après, quand Zulte Waregem a éliminé le grand Lokomotiv Moscou de l’Europa League. Ces dix dernières minutes, après le 2-0 de Tony Sergeant, alors que j’avais ouvert la marque, ont été magiques ! Le stade n’était pas comble mais je n’oublierai jamais le moment où les supporters ont scandé  » Komaan SV ! « . Le kick a été bien plus intense qu’en finale de la Coupe.

Degenkolb : Mon plus beau moment est surprenant aussi : ce n’est pas ma victoire à Gand-Wevelgem mais celle en championnat d’Allemagne pour espoirs, à Erfurt. Je m’y étais préparé pendant des mois. Les années précédentes, j’avais toujours raté le titre d’un cheveu mais cette fois-là, je l’ai remporté. Et pas au terme d’un sprint mais d’un solo, avec six secondes d’avance, sous les acclamations de mes supporters.

Encore un point commun : vous aimez marquer tous les deux mais vous éprouvez autant de plaisir à distiller une passe décisive ou à préparer un sprint.

Matthys : A Mons, j’étais très heureux d’être en tête du classement des assists devant des grands noms comme Boussoufa. Je me suis glissé sans problème dans la peau du passeur attitré de Jérémy Perbet, un super avant, avec lequel je m’entendais bien.

Degenkolb : Gagner soi-même est plus chouette, ne serait-ce que pour les bisous des demoiselles de podium, mais mon rôle est crucial pour Marcel Kittel. Ensuite, les temps ont changé : désormais, c’est toute l’équipe du vainqueur qui est sous les feux de la rampe.

Matthys : C’est le partage de sa joie qui rend les sports d’équipe si beaux et le cyclisme en est un, quelque part. Après une victoire, dans le vestiaire, entre nous, nous faisons la fête. C’est ça aussi, le sport.

PAR JONAS CRÉTEUR – PHOTOS: BELGAIMAGE/ KETELS

 » On scande davantage mon nom en Flandre qu’à Francfort, mon lieu de résidence.  » John Degenkolb

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