La guerre, le foot, les blessures et la peau

Timide dans la vie, le magicien du stade Constant Vanden Stock ne vit pas dans une tour d’ivoire.

Son coeur balance entre Abidjan et Bruxelles. Son pays natal est déchiré depuis le début de l’automne par une rébellion militaire qui inquiète toute l’Afrique. Le nord de la Côte d’Ivoire est aux mains des mutins. Cette région est réputée pour ses plantations, notamment de cacaoyers, les plus grandes du monde. Le prix du cacao était en chute libre sur la scène internationale et l’abandon des cultures n’arrangera rien.

Les putschistes avancent mais le président Laurent Gbagbo aurait de quoi leur répondre. Des troupes angolaises opéreraient en Côte d’Ivoire. Les paras français ont évacué les résidents étrangers des zones de combat. « On est toujours inquiet quand il se passe des choses graves », dit Aruna Dindane. « Mais, heureusement pour moi, ma famille vit à Abidjan où la situation est calme. Ils ne souffrent pas des troubles qui secouent la Côte d’Ivoire ». Les guerres civiles et autres révolutions font généralement beaucoup de victimes en Afrique. Il suffit de citer le Rwanda, le Burundi, le Congo, le Liberia, etc. La Côte d’Ivoire était pourtant une véritable corne d’abondance: sa prospérité ne sera-t-il bientôt plus qu’un souvenir?

« Je tente de suivre la situation via le presse, la télé et en téléphonant régulièrement à mes proches à Abidjan », confie Aruna Dindane. « Je n’ai toutefois pas un panorama complet de la situation et je suppose qu’une partie de l’armée n’a pas supporté sa perte d’influence au plus haut niveau. J’espère que tout s’arrangera très vite ».

Loin de là-bas, en Europe, Aruna Dindane n’a pas le temps de palabrer sur les terrains de football. Tout va vite et il ne suffit pas d’enflammer un stade par un beau dribble pour réussir sa carrière de footballeur. « Je sais qu’on ne vit pas de souvenirs, surtout pas en Europe où l’exigence est quotidienne », dit-il. « J’entame ma troisième saison à Anderlecht et je sais ce qui fut bon ou pas ».

Son écolage n’est pas terminé

Un sourire dévoile des dents Ultra-Brite. Au rayon positif: gros bagage technique, polyvalence dans le secteur offensif, solide dans les duels d’homme à homme, vivacité, créativité, dribble dévastateur, personnalité. Négatif: un travail de repositionnement qui laisse encore à désirer à la récupération, une lecture du jeu qui doit parfois être plus collective, un sens du but encore hésitant. Autrement dit, les perspectives sont plus que jamais énormes mais l’écolage n’est pas terminé. Aruna le sait et c’est un signe d’intelligence.

La saison passée, l’Ivoirien a connu autant de bas que de hauts avec, en conclusion, une saison difficile à l’image de toute l’équipe. Anderlecht a galopé, à en perdre haleine, derrière son foot, ses objectifs, Genk et Bruges au point de se contenter d’un billet pour la Coupe de l’UEFA. La gueuze du président mauve révéla plus d’amertume que d’habitude et Aimé Anthuenis fut adroitement expédié à l’ombre des boules de l’Atomium.

« Je ne pense pas que la saison se clôtura par un échec sur toute la ligne », rectifie Aruna Dindane. « Inutile de refaire l’histoire mais Anderlecht a tout de même remplacé un tiers de son équipe avec, à la clef, le départ de Jan Koller, TomaszRadzinski, Bart Goor et Didier Dheedene. Cela ne fait pas du jour au lendemain ».

Après un an de présence en D1, et compte tenu des absences de Nenad Jestrovic (fracture du péroné) et d’ Ivica Mornar (souvent blessé), la pression sur les épaules de Dindane fut très forte. Il devait confirmer l’étendue de son talent. Pas évident à 21 ans. De plus, ses adversaires connaissaient son caractère de feu. En Supercoupe, Björn De Coninck, de Westerlo, lui cira souvent les tibias. Après un dernier tour de brosse, l’Anderlechtois se révolta, secoua son adversaire et paya la note: par là, la sortie. Plus tard, contre St-Trond, il fut régulièrement séché. Après un coup de fauche de Philippe Lenglois, il reprocha à l’arbitre d’avoir fermé les yeux. Dindane dessina un zéro en pliant le pouce et l’index avant de l’exposer sous le nez de l’arbitre, Johnny Ver Ecke. Carte rouge, six semaines de suspension.

« Je regrette ce geste. », dit-il. « Il me coûte cher mais je l’explique aussi par la haute tension qui entoura la rencontre. Anderlecht devait gagner pour rester dans le coup pour le titre. Tout le monde était nerveux: les joueurs, les supporters, etc. L’arbitre ne vit pas qu’on me cisaillait sans cesse, même à l’arrêt et je méritais d’obtenir un coup franc dangereux à l’entrée du rectangle. J’ai réagi trop vite car je manque encore de métier. J’ai réfléchi. A l’avenir, je me méfierai. Il faut que je dompte mon caractère sans devenir quelqu’un d’autre. Je peux enrichir ma personnalité mais pas la transformer totalement ».

Plus grave que cela: il fut gêné durant toute la saison passée par des ennuis au dos. Pas évident à vivre dans le football actuel. Ronaldo n’a-t-il pas révélé récemment que Hector Cuper l’avait obligé à jouer à l’Inter alors qu’il n’était pas totalement rétabli? Marc Overmars du Barça est monté sur le terrain durant une saison sans jamais être en pleine possession de tous ses moyens. Aimé Anthuenis et Anderlecht avaient déjà assez de blessés sur les bras pour se passer d’Aruna Dindane. Pas de repos pour lui mais des matches même si on décela enfin la nature du mal en janvier dernier: début d’hernie discale. Un diagnostic étonnant pour un aussi jeune joueur. Le dos usé à 21 ans?

« Non, pasdu tout mais mon style m’expose à prendre beaucoup de coups et à tomber », rectifie-t-il tout de suite. « Rien ne dit que le mal n’est pas plus ancien et résulte d’une mauvaise chute quand j’étais gamin. Un disque a progressivement bougé. Le mal était plus difficile à supporter certains jours que d’autres ».

Opéré au laser

En Belgique, la Faculté était favorable à une intervention lourde. Jean-Marc Guillou, qui le forma en Côte d’Ivoire, l’aiguilla vers un membre de sa famille. Ce chirurgien niçois avait d’ailleurs connu Dindane au centre de formation de l’ASEC d’Abidjan. Le spécialiste français préconisa une technique moderne basée sur l’utilisation du laser. Pas de scalpel,pas de cicatrice… L’intervention dura une heure, sous anesthésie totale, et le disque fut soigneusement poli et remis en place.

« Je croise les doigts: l’opération a eu lieu en fin mai « , se souvient-il. « J’ai immédiatement senti que tout allait beaucoup mieux. Je suis rentré en Côte d’Ivoire afin de me reposer ».

Tout avait une fois de plus changé à Anderlecht entre les deux saisons. Quel souvenir gardait-il d’Aimé Anthuenis? Ce dernier lui a-t-il rendu un service en le transformant en médian droit alors qu’il était attaquant de pointe en Côted’Ivoire?

« A Abidjan, je jouais en effet à l’attaque aux côtés de Zezeto« , confie-t-il. « Nous ne sommes pas grands et il s’agissait de miser sur la vitesse et l’innovation technique permanente. J’ai parfaitement admis et géré le fait qu’on me fasse confiance dans un autre secteur de l’équipe. La position, si elle est d’abord offensive, n’a pas une importance décisive. L’essentiel est d’y prendre du plaisir, d’être heureux dans ses missions et de rendre service au groupe. Aimé Anthuenis a bien cerné mon potentiel et m’a tout de suite fait confiance à l’époque de Jan Koller et de Tomasz Radzinski, qui étaient indiscutables en pointe. J’ai été décalé sur la droite et, dans le fond, j’y ai découvert de nouveaux horizons où, finalement, je peux m’affirmer d’une façon très intéressante. Mon grand défaut est, me dit-on, de garder trop longtemps la balle. C’est ma marque de fabrique. Il ne faut pas perdre cet atout mais, j’en conviens, je dois encore mieux servir le collectif. Je ne discute jamais la décision d’un coach. Et si j’ai plus d’une corde à mon arc, c’est utile dans le football actuel ».

Dans cette zone où il faut aussi dégager des espaces pour les hommes de pointe et signer de bons centres (une arme toujours fatale), Aruna Dindane apprend donc les lois du réalisme. Depuis le début de la saison, le grand Ivica Mornar s’est rendu indispensable à droite. Le Croate a des atouts : la taille, la vitesse, le physique, une recherche de l’assist le plus direct possible… Mornar réalise un but tous les trois matches auxquels il prend part. Aruna a marqué 10 buts pour 54 matches de D1 en deux ans. Moyenne: un but tous les cinq matches. Mais il est vrai que Mornar a 28 ans, Dindane fêtera ses 22 ans le 26 novembre: la différence est importante. Le divin chauve de Dalmatie a une fois de plus imposé ses atouts pendant que Dindane se remettait de son opération au dos, évacuait ses six matches de suspension, passait d’une inflammation d’un tendon d’Achille à une déchirure à la cuisse en début de saison.

« Je n’ai pas peur de la concurrence », dit-il. « Ivica peut jouer à une autre place, moi aussi, et rien ne peut nous interdire d’évoluer de concert dans la même équipe. Et s’il négociait presque tout le championnat à droite, les mérites lui en reviendraient. Tout le monde se bat pour avoir une place dans cette équipe ».

Le départ d’ Alin Stoica vers Bruges ne joue-t-il pas en sa faveur? Anderlecht a besoin des trouvailles qu’un joueur comme Dindane peut lui apporter. « Alin a fait un choix, c’est son problème mais jen’en tire aucun profit, ce serait trop simple », avance-t-il. « De nouveaux joueurs sont arrivés et il y a d’autres équilibres dans le groupe.Je dois aussi me définir en fonction de ces réalités: personne n’a de visa pour voyager sans problème durant toute une saison ».

Encore un an et demi de contrat

Lancé en D1 par Aimé Anthuenis, Aruna Dindane constate aussi que le nouveau mentor, Hugo Broos, passe parfois du 4-4-2 au 4-3-3 en fonction des atouts de son noyau ou de la mission à accomplir. Là aussi, il n’en fait pas tout un plat. L’Ivoirien s’adaptera à toutes les sauces. Il a encore un an et demi de contrat et mesure que sa production sera importante pour son avenir. La saison passée, il avait attiré le regard de Schalke 04. Une référence. Pour lui, la priorité, reste Anderlecht, le club qui lui a permis de réaliser son rêve: découvrir l’Europe. Même s’il s’avoue timide dans la vie de tous les jours, le bonhomme sait ce qu’il veut.

« J’ai été très bien accueilli à Anderlecht qui, quoi qu’il arrive, demeurera un club important pour moi », commente-t-il. « C’est une référence dans le paysage européen. Quand on s’impose ici, cela veut évidemment dire quelque chose ».

Son chemin est à la fois plus compliqué et plus simple que celui de ses camarades de l’Académie Guillou, qui doivent d’abord s’affirmer dans un contexte infiniment plus compliqué à Beveren. Là, ils vivent la pauvreté du bas de classement où les victoires et l’intérêt médiatique sont rares. Dindane était évidemment le plus doué de sa génération mais il a gagné du temps même si on mise moins sur les jeunes à Anderlecht qu’à Beveren où le résultat hebdomadaire est moins vital…

A 21ans, l’Ivoirien fait déjà preuve d’une grande maturité. « Les voyages forment la jeunesse », dit-il en riant. « J’ai déjà vécu de bons moments ici: le titre, la Ligue des Champions.C’est impayable ».

Pierre Bilic

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