LA GRANDE MISÈRE

Jude Law, des problèmes de parking, un but face à l’Indonésie, un gourou finlandais… Thomas Vermaelen avait rêvé d’autres débuts au FC Barcelone. Retour sur sa saison galère.

La première chose que l’Argentin Gerardo Tata Martino demanda à sa direction lorsqu’il devint entraîneur du FC Barcelone, en 2013, c’était un défenseur central. Le bon vieux CarlesPuyol était de plus en plus souvent blessé et Marc Bartra pointait à peine le bout du nez. C’est pourquoi Tito Vilanova, le prédécesseur de Martino, avait souvent fait redescendre Javier Mascherano d’un rang pour dépanner dans l’axe de la défense, aux côtés de Gerard Piqué.

Le Barça avait, certes, été sacré champion mais il avait tout de même encaissé 40 buts, plus d’un par match de moyenne. Selon Vilanova, il était fragile sur les phases arrêtées et ses défenseurs n’étaient pas suffisamment rapides. Martino était d’accord et Andoni Zubizarreta, le directeur sportif, savait ce qu’il lui restait à faire. Mais qui le Barça a-t-il acheté en priorité ? Neymar ! Il a également rappelé Ibrahim Affelay et Isaac Cuenca, qui avaient été prêtés, tandis qu’il faisait monter quelques joueurs de l’équipe B. Parmi eux, pas le moindre défenseur…

Un an plus tard, malgré tout, le FC Barcelone pouvait à nouveau être champion. Pour cela, il lui fallait battre l’Atletico Madrid à domicile. Mais la rencontre s’est soldée par un nul (1-1). Un but encaissé sur coup de coin par Diego Godin, réputé très fort de la tête, mais libre de tout marquage. Adieu le titre, donc ! Zubizarreta sentait la pression augmenter : il devait absolument renforcer l’axe de la défense avant le début de la saison suivante. Il sondait Thiago Silva et Marquinhos, deux défenseurs rapides et forts dans les duels aériens mais ils étaient impayables. Le nom de Jan Vertonghen était cité mais notre compatriote était jugé trop lent. Puis, au cours des négociations avec Arsenal au sujet du transfert d’Alexis Sanchez chez les Gunners, un autre nom tombait : celui de Thomas Vermaelen, qui n’était plus que troisième choix d’Arsène Wenger derrière Per Mertesacker et Laurent Koscielny.

Une situation que Vermaelen devait surtout à des blessures à répétition : les médias espagnols avaient compté qu’au cours des quatre saisons précédentes, il avait manqué 456 jours de travail. Cela n’empêchait pas Louis van Gaal, tout juste arrivé à Manchester United, de lui faire la cour et d’être prêt à débourser 19 millions d’euros pour acquérir ses services. Mais Wenger, préférant que Vermaelen ne renforce pas un concurrent direct, l’envoyait plutôt en Catalogne, où le FC Barcelone lui offrait un contrat de cinq ans.

Le club blaugrana achetait aussi Jérémy Mathieu, de Valence, pour 20 millions d’euros. Vermaelen et Mathieu pouvaient jouer dans l’axe ou à gauche. Autant dire qu’on attendait beaucoup de ces deux défenseurs de respectivement 28 et 30 ans qui, ensemble, avaient coûté près de 40 millions…

CHEZ LE DOCTEUR-MIRACLE

 » Vermaelen est un joueur qui rendra immédiatement des services « , disait Zubizarreta, sûr de lui, au moment de la présentation du joueur belge, qui se voyait attribuer le numéro 23. Nous étions le 10 août 2014 et le directeur sportif poursuivait :  » C’est un défenseur central de niveau international, il connaît la musique et il a l’habitude de jouer très haut. Il va nous apporter de la stabilité.  » Zubizarreta ne craignait rien car le staff médical de Barcelone avait donné son aval après avoir examiné de près le joueur, qui n’était pas encore rétabli de la blessure subie face à la Russie lors d’un match de Coupe du monde au Brésil.

Plus tard, le joueur dira :  » Selon les médecins de Barcelone, il y avait deux possibilités : soit je me faisais opérer – mais ils m’assuraient que ce n’était pas nécessaire, soit je faisais des exercices de renforcement et de prévention et je n’aurais plus de problème. J’ai choisi la deuxième option, d’autant que j’avais contacté pas mal de spécialistes du monde entier et que tous m’avaient dit qu’il était possible de soigner ce genre de blessure sans opération.  » A Barcelone, on pensait que Vermaelen serait guéri en trois semaines.

Entre-temps, interviewé par BarçaTV, le joueur parlait, entre autres, de son admiration pour Carles Puyol. On ne lui posait aucune question relative à sa blessure. La question la plus étonnante concernait sa ressemblance avec l’acteur Jude Law.  » Oui, beaucoup de gens disent que je lui ressemble « , rigolait-il. Un mois plus tard, alors qu’il n’avait toujours pas joué, on reparlait de lui : avant le match à domicile face à l’Athletic Bilbao, il éprouvait les pires difficultés à faire entrer sa voiture dans le parking du Camp Nou. Des centaines de supporters du Barça filmaient ses manoeuvres désespérées.

Dix jours plus tard, après qu’il eut joué 63 minutes sans problème au poste d’arrière gauche avec l’équipe B du Barça (il avait même inscrit un but), le staff médical le déclarait bon pour le service. Pas pour longtemps car, quelques jours plus tard, il était victime d’une rechute. Les médecins du club catalan ne s’attendaient pas à le revoir aussi vite à l’infirmerie. Luis Enrique se faisait du souci :  » Il s’entraîne individuellement car sa rééducation ne se passe pas comme nous l’aurions souhaité. C’est très embêtant pour lui. Nous devons le soutenir et lui souhaiter un prompt rétablissement.  »

Des examens complémentaires démontraient que le défenseur central présentait deux cicatrices internes aux ischio-jambiers de la jambe droite, dont une très grande en forme de fermeture-éclair, signe d’une déchirure musculaire mal soignée. Pendant des semaines, on tenta d’éviter l’opération en prescrivant du repos mais, fin novembre, après une énième rechute à l’entraînement, la décision était prise : Vermaelen allait se faire opérer par le Finlandais Sakari Orava, spécialiste des tendons et des muscles qui avait déjà guéri, entre autres, Haile Gebreselassie, Merlene Ottey, Didier Deschamps, Pep Guardiola et David Beckham. Le 2 décembre, Vermaelen passait entre les mains d’Orava. L’intervention se passait bien et le gourou finlandais affirmait que, dans trois à quatre mois, le Belge pourrait rejouer. Selon lui, une rechute était peu probable.

LA MALÉDICTION ARSENAL

Dans l’intervalle, une bonne partie de la presse espagnole voulait voir tomber des têtes à Barcelone. Comment était-il possible d’avoir dépensé des millions pour un défenseur qui n’allait pas jouer un seul match au cours de sa première saison ?

Vermaelen, écrivait-on, était le énième transfert manqué en provenance d’Arsenal après Alex Song, Aleksandr Hleb, Marc Overmars, Emmanuel Petit… Le fait que Cesc Fabregas et Thierry Henry avaient également débarqué d’Arsenal était habilement passé sous silence.

Les médias voulaient surtout la peau de Zubizarreta, dont la politique de transferts, il est vrai, n’était pas exempte de tout reproche. Avoir déclaré que Vermaelen  » rendrait immédiatement des services  » faisait rigoler tout le monde.

Fin novembre, pourtant, le directeur sportif en rajoutait une couche :  » J’ai voulu dire qu’il rendrait immédiatement des services dès qu’il pourrait jouer. Parce qu’il a évolué en Ligue des Champions et disputé une Coupe du monde…  »

Début décembre, Ramon Balius, spécialiste des pathologies tendineuses et musculaires, professeur en médecine et en chirurgie à l’université de Barcelone, écrivait dans El País une chronique intitulée A propos de Vermaelen.

 » Il n’est pas du tout aisé de savoir quand une blessure musculaire va poser problème, surtout lorsqu’elle n’est pas prise en charge depuis le début par le même staff médical. Dans une telle situation, il est encore plus complexe de décider d’une intervention chirurgicale peu fréquente, en particulier lorsque le joueur n’y est pas favorable.  »

Et il concluait par un camouflet à l’encontre de tous les journalistes qui écrivaient n’importe quoi sans maîtriser le sujet :  » En cas de blessure musculaire, la seule chose qui soit gratuite et que tout le monde est capable de faire, c’est de donner son avis.  »

Même l’omniprésent Johan Cruijff se mêlait au débat.  » Vermaelen a un contrat de cinq ans. Est-ce si grave s’il ne joue pas pendant un certain temps ?  » La direction du club, en tout cas, continuait à croire en lui.

 » Il a le profil de Barcelone et c’est un très bon joueur, je pense que personne n’en doute « , affirmait un administrateur. Dans le même temps, en coulisses, le club demandait à la FIFA de faire une exception à l’interdiction de transfert qui lui avait été imposée. C’est Mathieu, trop bavard, qui révélait les négociations secrètes.

 » On va voir si le club peut encore acquérir un défenseur central car nous ne sommes que trois pour deux places (Mathieu parlait de lui-même, Piqué et Bartra, oubliant Mascherano, ndlr) et parce que Thomas en a encore pour longtemps.  » Mais la FIFA ne cédait pas.

EXCELLENT TRANSFERT

Pendant des mois, on n’entendait plus parler de Vermaelen. Début janvier, par contre, Andoni Zubizarreta, l’homme qui l’avait engagé, était viré. Pour les journaux, il était clair que le transfert manqué de Vermaelen constituait l’une des causes de cette décision. Depuis son départ, Zubi se mure dans le silence.

Fin mars, on reparlait de Vermaelen, qui s’entraînait partiellement avec le groupe. Un mois plus tard, le staff médical le déclarait bon pour le service et le remettait à la disposition de Luis Enrique, même s’il manquait de rythme. Il fallait attendre le 23 mai pour le voir jouer une première fois à l’occasion du dernier match de la saison, sans enjeu (Barcelone était déjà champion), face au Deportivo La Corogne (2-2). Un match qui était aussi le dernier de Xavi, seul sujet de conversation du jour.

Vermaelen était aligné dans l’axe de la défense, aux côtés de Marc Bartra. Il jouait 62 minutes et, outre une ovation du public du Camp Nou, il avait droit à une critique positive dans la presse. Luis Enrique était satisfait également :  » Il contrôle tout, on sent qu’il a de l’expérience au plus haut niveau. Il a été très bon. C’est un excellent transfert en vue de la prochaine saison.  » Après le match, Vermaelen déclarait :  » Je veux oublier cette saison au plus vite mais au moins, elle se termine par une bonne note.  »

PAR STEVE VAN HERPE – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Vermaelen a un contrat de cinq ans. Est-ce si grave s’il ne joue pas pendant un certain temps ?  » JOHAN CRUIJFF

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