La girafe

Le défenseur congolais des New Jersey Nets en impose par sa taille et celle de son cour.

Voilà 12 ans déjà que l’immense Congolais (2,18 m-118 kg) embête les attaquants de la NBA, contrant leurs tirs en déployant ses interminables bras et récupérant tous les ballons qui traînent dans ses parages. Après avoir joué quatre années (de 1987 à 1991) à l’Université de Georgetown (Washington D.C.) sous la direction du légendaire coach JohnThompson, il fut embrigadé par les Denver Nuggets en été 91 en qualité de quatrième choix de la draft. Après cinq saisons aux pieds des Rocheuses, il émigra vers Atlanta où il resta quatre saisons et demie avant d’être recruté par Philadelphie. Il se prévaut donc d’une solide expérience. C’est la raison principale pour laquelle les 76ers ont fait le forcing pour l’enrôler. Sa seule présence sous l’anneau est synonyme d’autorité, de force, d’intimidation aussi. DikembeMutombo ne s’en laisse pas compter. Il est l’un des meilleurs défenseurs de l’histoire de la NBA, comme l’attestent ses statistiques (de 8,6 rebonds par match lors du championnat universitaire, sa moyenne est montée à 12,3 en NBA) et ses distinctions honorifiques : quatre titres de meilleur défenseur du championnat et huit sélections dans l’équipe AllStar, pour ne citer que les plus prestigieuses.

Un bilan impressionnant pour un garçon que rien, sinon sa taille, ne prédestinait à une carrière de basketteur professionnel. Dans les quartiers de Kinshasa, c’était plutôt le ballon de foot qu’il taquinait. Et même si sa taille était déjà exceptionnelle (on le surnommait, à son grand dam, lagirafe), ce ne sont pas les recruteurs des collèges et des universités qui lui proposèrent une bourse pour étudier aux States mais bien l’USAID ( UnitedStatesAgencyforInternationalDevelopment). C’est que le  » petit  » Dikembe, fils d’un administrateur pédagogique, était bon élève. Son rêve était de devenir médecin et de retourner au Congo pour pratiquer l’art d ‘Hippocrate. Le destin allait en décider autrement. Dès sa deuxième année, Thompson le remarqua et le persuada de joindre l’équipe de basket. Dikembe accepta avec, à la clé, un changement d’option scolaire : l’abandon de la médecine pour une double licence en linguistique et en diplomatie. Une deuxième spécialisation qui prête à sourire quand on connaît la manière manumilitari avec laquelle notre homme opère dans la raquette ! On l’accuse parfois de jouer dirty, ce à quoi il rétorque sèchement :  » Je ne joue pas vicieusement. Je joue, c’est tout !  » Lors du match contre Houston le mois dernier qui marquait son retour à la compétition, il a montré au Chinois YaoMing de quel bois il se chauffait en lui assénant une magistrale manchette à la gorge. Tout le monde y vit une agression flagrante. Sauf l’intéressé qui continue à prétendre, non sans un certain don poétique, que le basket n’est pas pour les fillettes…

Une saison tronquée

Nous avons rencontré Dikembe le vendredi 11 avril, quelques heures avant le match contre les Chicago Bulls. Il n’avait à ce moment que quelques rencontres dans les jambes. Ironiquement, c’est le jour même du Thanksgiving (la fête de l’Action de Grâces, le jeudi 28 novembre) qu’il se blessa gravement à la main droite :  » Je suis allé à la lutte avec un joueur des Los Angeles Clippers que je ne tiens pas absolument pas pour responsable. Ma main s’est tordue contre l’anneau. J’ai tout de suite su que c’était grave. Je l’ai entendu et ressenti. Les ligaments étaient déchirés. Une blessure grave suivie d’une opération compliquée. Il m’a fallu trois mois de réhabilitation, et encore : je ne suis pas à mon niveau normal. Disons que je suis à 80 % de mes capacités « . De fait, le soir même, ByronScott, le coach des Nets et ancien joueur des Los Angeles Lakers, des Indiana Pacers et des Vancouver Grizzlies, ne le fit jouer que quelques minutes. Ce fut également le cas lors des matches suivants et surtout lors de la première rencontre des playoffs contre les Milwaukee Bucks, gagnée 109-96. Là, il ne joua que 17 minutes et la trouva mauvaise.  » Est-ce qu’il y a un problème ? Est-ce qu’on ne m’apprécie pas ou est-ce qu’on n’apprécie pas ma manière de jouer ? » Le lendemain, après une franche discussion avec Scott, il avait retrouvé un peu de sérénité.  » J’accepte les décisions prises par l’entraîneur. Ce n’est pas le moment de se plaindre. Nous voulons tous remporter le titre. Et si c’est la manière de le faire, tant mieux « .

Mpolondo Mukamba Jean Jacques Wamutombo, de son nom complet, n’a pas été épargné par les problèmes ces derniers temps. Outre sa propre blessure qui l’a fait manquer 56 des 82 rencontres du championnat, il a dû composer avec l’opération au cerveau d’une de ses s£urs, une intervention chirurgicale d’un neveu, l’accident de la route de son jeune frère et le décès, il y a quelques jours à peine, de son frère aîné. Il faut ajouter une naissance toute prochaine qui lui occupe l’esprit. En juin, en pleine phase finale de playoffs (si les Nets sont toujours dans le coup à ce moment-là), son épouse mettra au monde leur troisième enfant.  » Cela fera sept au total car nous en avons adopté quatre « , sourit-il.  » Chez nous, on parle l’anglais, le français et l’espagnol « .

Et il ajoute que même s’il a beaucoup de choses en tête pour l’instant, il essaie malgré tout de rester concentré sur son métier et sur l’objectif que ses coéquipiers et lui se sont fixés : rien de moins que le titre national.

La plus grande distinction du volontariat

Le joueur veut encore tenir quatre ans.  » J’ai deux ans garantis par contrat avec les Nets. Après, on verra, mais ce serait intéressant de gagner encore un peu d’argent…  » Tenir jusqu’à 40 ans, ce sera bien. L’homme, lui, voit plus loin, beaucoup plus loin.  » Je ne sais pas si je resterai aux Etats-Unis. Je suis en train de faire construire une maison à Kinshasa. Il le faut bien, j’ai donné la mienne à mon père ! « , rigole-t-il. Il devra aussi se rendre fréquemment dans son pays d’origine.  » Dans quelques semaines, on donne les premiers coups de pelle pour un hôpital de 300 lits appelé BiambaMarieMutombo, du nom de ma maman, décédée en 1998. Cela fait plusieurs années que ce projet du quartier Masina est en gestation, mais tout prend du temps dans mon pays. Même ma notoriété a ses limites. Dès la fin de la saison, je monte d’ailleurs dans le premier avion pour régler quelques problèmes administratifs « .

Ce que Dikembe ne dit pas, c’est qu’il est à la fois la cheville ouvrière de cette réalisation et son bailleur de fonds. Il a personnellement donné 3,5 millions de dollars de son trésor de guerre pour démarrer le fonds spécialement réservé à la construction. Il a ensuite créé la Fondation Dikembe Mutombo pour recueillir les dons privés nécessaires, estimés à 14 millions de dollars. Une petite déception de ce côté. Le projet fut long à mettre en branle.  » Je pensais que les gens étaient plus généreux, surtout du côté des stars de la NBA, mais ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas donné initialement qu’ils ne le feront pas par la suite « , confie-t-il avec optimisme.  » Parfois ils ont besoin de voir pour croire « .

La générosité du joueur est bien connue. On rapporte ainsi un don pour le moins original, voire étrange, qui a permis de réparer le toit de l’ambassade du Congo à Washington. Au pays, on a vu le fils prodigue financer tous azimuts : des lits d’hôpitaux, du matériel sanitaire, des équipements de sport… et notamment les maillots qu’ont endossé les joueuses congolaises lors du tournoi olympique d’Atlanta en 1996. Epinglons aussi, entre autres, les petits stages sportifs qu’il organise en Afrique et ses nombreuses interventions pour le compte de l’Association CARE et pour le UNDP ( UnitedNationsDevelopmentProgram).

Aux Etats-Unis non plus, en dehors de ses obligations professionnelles, il ne reste pas inactif. Le 13 juin 2000, il a reçu des mains de BillClinton le President’sServiceAwards, la plus grande distinction américaine en matière de volontariat. Grâce à ses efforts, Dikembe fut l’un des 20 récipiendaires choisis parmi 3.000 soumissions. On voulait ainsi récompenser ses efforts envers les adolescents en détresse (le programme STARTS) et ses efforts à motiver les étudiants à s’engager personnellement en faveur des plus démunis de la société ( TeamUp).

L’homme sait parfaitement faire la part des choses.  » Il y a des gens qui meurent tous les jours. Beaucoup sont malchanceux. Quand on se lève chaque matin, que peut-on faire d’autre que de remercier le ciel de voir un autre jour ? Il n’y a pas grand-chose d’autre que nous puissions demander « .

Et l’après NBA ?  » Je ne sais pas encore avec précision. Diplomate. Ambassadeur des Nations Unies ou de l’Unesco ? Envoyé spécial pour des ONG ? Tout ce que je sais, c’est que mon avenir sera au service des autres « . n

 » Je ne joue pas vicieusement. Je joue,c’est tout « 

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