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La Gaume pro

Champion de D1 Amateur dans la douleur, Virton effectue son retour dans l’antichambre avec des ambitions grosses comme le monde. Décryptage de l’Excelsior 2.0, entre clubs satellites, transferts à la pelle et rumeurs de déménagement.

Des grands va-et-vient rythment le quotidien de Virton. En Gaume, l’Excelsior vit à cent à l’heure, ou presque. Les grands travaux d’expansion de son propriétaire luxembourgeois, le magnat de l’immobilier Flavio Becca, prennent forme. Plus que jamais. Le titre de D1 Amateur en poche, donc l’accession au monde pro de la D1B validé, c’est le grand chambardement.

Samuel Petit, coach ad interim, laisse son fauteuil à Dino Toppmöller, fils de Klaus, jusque-là sur le banc de Dudelange, entité pionnière de la Beccalaxie qui tourne à plein régime et qui s’étend désormais d’Hespérange à Kaiserslautern, au troisième échelon allemand.

Ainsi, plusieurs éléments du Grand-Duché suivent logiquement, à l’instar de Jerry Prempeh, déjà actif au Faubourg d’Arival auparavant, de Clément Couturier, finaliste de la Coupe de France avec Les Herbiers, ou de Stelvio Cruz, qui a disputé la CAN avec l’Angola.

Dans le sens inverse, Mohamed Fadhloun et Jérémy Grain, deux éléments importants dans la conquête du sacre, sont poussés vers la sortie ou invités à signer dans un club satellite. Pareil pour Raphaël Lecomte, capitaine et cadre essentiel, écarté une semaine puis finalement rappelé.

Une  » erreur de communication  » selon la direction qui traduit vitesse, précipitation et laisse comprendre le message : le RE Virton entre dans une nouvelle dimension.

Temps d’adaptation

Une vidéo et des photos émouvantes. C’est le cocktail concocté par Rik Vande Velde, adjoint de Samuel Petit parti depuis au scouting d’OHL, pour souder les troupes avant d’aborder le tour final de la saison passée. La mayonnaise prend et les Virtonais, auteurs d’une bonne saison mais jamais sûrs de valider leur ticket pour les play-offs, imposent leur loi d’entrée.

À Tessenderlo, qui joue pour la forme puisque son board n’a pas demandé la licence, ils font le break (2-0) et embrayent pour rouler sur Deinze et la version 2.0 du Lierse.  » Samuel Petit a vraiment réussi à former un groupe « , pose Guillaume François, revenu en terre promise pour la cause.

 » Ce n’est pas qu’on était suffisant, mais on avait beaucoup de mal à imposer un football correct face à des blocs bas. Avec lui, on a appris à attendre les bons moments pour concrétiser notre domination. Surtout, il nous a dit qu’il fallait qu’on arrête de se cacher derrière des excuses. Quand il est arrivé, il a vraiment transformé notre état d’esprit.  »

Anthony Moris, portier élu meilleur élément du squad sur l’exercice 2018/2019, converge :  » En fait, on était une équipe pro dans une série amateure. Tous nos adversaires voulaient nous mener la vie dure, un peu comme nous, quand on a joué en Coupe contre Gand. Il nous a fallu du temps pour nous adapter « .

C’est le moins que l’on puisse dire. En tout cas, Flavio Becca, le patron des lieux, sur place depuis juillet 2018, s’impatiente. Les vingt-neuf transferts de la saison ne suffisent pas à mettre son Excel en tête, ni à créer des liens. Logique. Alors Samuel Petit, qui prend la suite de Marc Grosjean et David Gevaert alors que le club se situe au pied du podium, décide d’ajouter un peu de joie dans la pression de la vie gaumaise.

Team building

 » J’ai d’abord dû restreindre le noyau « , commence le principal intéressé.  » J’ai ensuite tenu à remettre beaucoup plus de fun à l’entraînement. Il y avait eu trop de concurrence, trop de compétition. Pour ça, le match du samedi suffit, alors on a aussi organisé deux ou trois journées de team building, dont un tournoi de tennis.

Ce n’est pas ce qui nous a fait battre Deinze tactiquement, mais ça y a participé. Avec un tel effectif, c’était impensable de ne pas monter, mais il fallait remettre les pieds sur terre à tout le monde.  »

Sébastien Grandjean, de retour l’été précédent au sein d’une entité qu’il connaît par coeur, redescend rapidement. Après un match nul  » dégueulasse « , d’après les mots de Petit, le directeur sportif prend la porte à Seraing, mi-mars. Son licenciement suit celui d’un adjoint et d’un analyste vidéo, sans parler des joueurs tour à tour mis de côté.

Des  » divergences de point de vue  » ou la dure conséquence d’ambitions démesurées. C’est selon.  » Pour moi, le motif, c’est l’impulsivité « , réagit Sébastien Grandjean, ex-T1 de Becca à Dudelange, qui rebondit vite sur le banc de la Jeunesse Esch, qu’il qualifie pour l’Europa League.

 » À Virton, ce n’était pas moi le coach. On m’a reproché de ne m’occuper que de l’équipe première. C’était faux et un peu vrai, mais il n’y avait pas grand-chose à changer à l’académie tant qu’on était pas sûr de monter. On s’est séparés, je ne conserve pas d’amertume, mais ça m’a enlevé le mérite et la récompense du titre.  »

Fièvre acheteuse

À l’heure actuelle, ils ne sont plus qu’une dizaine d’éléments avec la médaille de champion dans le noyau des vert, qui vire au bleu pour satisfaire le marketing du chef luxembourgeois.  » Quand tu as vécu quelque chose d’aussi intense avec tes potes, c’est un peu frustrant de voir la majorité partir. On a tous été un été un peu surpris, mais c’est la rançon de la gloire. Dans l’ensemble, on a gagné en qualité et en expérience « , se convainc Anthony Moris.

 » On repart complètement de zéro « , abonde Guillaume François, qui se rappelle avoir surfé sur les vagues des montées successives sous les couleurs mauves du Beerschot.  » On a un nouveau staff, avec une nouvelle philosophie basée sur la possession, et des nouveaux joueurs, avec beaucoup de bons manieurs de ballon. C’est positif. Le noyau est bien balancé et les bases de travail sont bonnes.  »

Pour la saison à venir, les décideurs de l’Excel doivent établir une  » squad list  » comprenant 25 joueurs maximum, dont huit belges, sans compter les U21 ( voir cadre). De quoi tempérer la fièvre acheteuse du proprio ?

 » Depuis la reprise, le club reste dans une phase de reconstruction. On a eu très peu de temps d’une saison à l’autre alors qu’il fallait rebâtir le noyau en profondeur parce que la différence entre la D1B et la D1 Amateur est significative. Nous nous sommes donc armés en conséquence. On veut d’abord décrocher le maintien pour voir plus grand ensuite « , répond Frédéric Lamotte, employé et relais de Becca à Virton, qui officie en tant que directeur opérationnel mais qui, s’il dit travailler de concert avec Dino Toppmöller, concentre l’essentiel des pouvoirs en Gaume, notamment depuis le départ forcé de Sébastien Grandjean.

 » Lamotte, casse-toi  »

 » J’essaye simplement de jouer mon rôle, j’interviens surtout dans la phase contractuelle « , explique-t-il. Quant à la récente nomination d’Emilio Ferrera au poste de directeur sportif de la Beccalaxie, elle n’est pas encore effective.  » Pour le moment, je me concentre exclusivement sur Dudelange « , confesse le désormais T1 du F91, d’ailleurs vainqueur de Virton en amical (4-3), au début du mois.

 » La priorité, c’est d’abord de stabiliser ce club, qui a connu un nombre impressionnant de départs. Ce rôle de directeur sportif, c’est l’étape suivante. C’est planifié, mais il n’y a pas de date précise.  »

Une date est justement rayée en rouge sur le calendrier des pensionnaires du  » Congo « . Dans la nuit du 15 au 16 juin, des supporters fâchés placardent deux banderoles sur les grilles d’entrée du stade Yvan Georges. La première rappelle que  » L’Excelsior, c’est à Virton « , la second réclame tout bonnement le départ du directeur opérationnel :  » Lamotte, casse-toi !  »

Accusé de vouloir déménager le club à Neufchâteau, où il a déjà présidé le club de basket local, mais aussi de jouir des pleins-pouvoirs, Frédéric Lamotte regrette  » une perte de temps, d’énergie et de crédibilité. Ce n’est pas bon pour l’image du club. Les responsables de ces calicots, qui ont été identifiés en deux heures, ne voient pas l’engagement réalisé au quotidien par l’équipe de M. Becca. Peut-être que ces personnes manquent de piment dans leur vie. Il suffit qu’on vous voit quelque part… Le monde d’aujourd’hui est comme ça et c’est très fâcheux, mais il ne s’agit que d’une tempête dans un verre d’eau.  »

Lamotte n’a pas le temps pour les jérémiades, ni pour les concessions. Peu importe si des aficionados rapportent qu’il fait  » l’unanimité contre lui « . D’ici octobre 2020, il doit terminer la rénovation du stade actuel en conformité avec les exigences de la Pro League. 8.000 places avec vue sur le bonheur, avant de penser à une enceinte flambant neuve. Mais la route semble encore longue.

Nouvelle ère

 » Je suis assis sur le terrain d’entraînement et de ce que je vois, il va falloir des infrastructures au niveau si on veut atteindre la D1A d’ici trois ou quatre ans. Je comprends les inquiétudes des supporters. Il faut garder ce côté convivial, mais à un moment, le Faubourg d’Arival, ça ne sera plus possible. On entre dans une nouvelle ère « , prophétise Moris, dont le  » but ultime  » est d’amener Virton tout en haut de l’échelle.

 » Cela ne fait qu’un an qu’on est là. On a dû gérer tout le passif du club et se battre pour obtenir la licence. Pour le moment, on n’a qu’un seul employé au club ( le secrétaire, ndlr) et le foot, ce n’est pas mon job à plein temps « , temporise Lamotte, ancien journaliste.  » On ne sait pas construire un stade en une année. Personnellement, je ne connais pas Harry Potter donc je ne peux pas faire de tours de magie. Mais pourquoi pas le faire à Virton ? Il n’y a pas de raison. On verra sur le long terme. Je préfère me tourner vers le futur que de me plonger dans le passé.  »

Sauf qu’il rattrape assez souvent ses acteurs. Flavio Becca va bientôt comparaître au Luxembourg pour blanchiment et abus de biens sociaux. En 2011, l’homme d’affaires, qui n’a pas répondu à nos sollicitations, animé par la construction de nouveaux complexes, est soupçonné d’avoir utilisé des montres de luxe comme pots-de-vin dans le cadre de ses projets immobiliers. Frédéric Lamotte :  » Je ne connais pas ce dossier et nous ne sommes pas concernés, donc ça ne m’intéresse pas.  » La communication, toujours.

La jeunesse gaumaise

C’est la grande crainte des habitués du Faubourg d’Arival. L’identité, cette notion vaste, floue et naturelle à la fois. Pour l’heure, les rumeurs vont bon train. L’équipe première à Neufchâteau, l’académie à Longlier, un nouveau stade loin de Virton… Frédéric Lamotte les démonte toutes, surtout en bottant en touche. Parmi ces interrogations, subsistent celle qui a fait la renommée de l’entité normalement tranquille du Sud du pays : la formation.

Après Thomas Meunier, Renaud Emond et Timothy Castagne, trois ambassadeurs parfaits, Samuel Petit est chargé de faire percer les jeunes pousses qui portent le label du cru.  » C’est un rôle que j’avais déjà, avant d’entrer dans le staff de Marc Grosjean, qui n’a malheureusement pas poursuivi chez nous « , relate le responsable de l’académie virtonaise.  » La montée de l’équipe première nous permet de passer en élite et c’est super motivant. L’objectif, c’est de continuer de sortir des jeunes. Après le titre, j’ai eu une discussion à ce sujet avec Flavio Becca et il m’a rassuré en ce sens. Même s’il y a beaucoup de pression, c’est agréable de travailler avec quelqu’un qui se donne les moyens de ses ambitions. On veut aussi garder les valeurs de l’académie, c’est-à-dire former de bons gars en plus de bons joueurs.  »

Et, au passage, si possible, réaliser quelques belles plus-values. Au cours de l’intersaison, les gamins du cru Thibaut Lesquoy (Dudelange), Florent Devresse, Benjamin Schmit (FC Liège) et même le vétéran Aurélien Joachim, international luxembourgeois qui a refusé de rallier le Swift Hespérange, situé au deuxième étage du Grand-Duché, ont quitté les terrains de leur adolescence.

 » On a pris un peu de retard vis-à-vis du projet de l’académie puisque le directeur a été promu coach ( Samuel Petit, ndlr), mais le dossier est là, il est écrit. Il va être mis en place. Il y a un groupe de travail qui va oeuvrer pour emmener le plus de jeunes possibles vers l’équipe première « , assure Frédéric Lamotte, qui se félicite d’avoir fait signer pro trois U21.

 » Une fois dans le noyau A, s’ils n’ont pas l’occasion de jouer, on va pouvoir leur trouver du temps de jeu dans un club partenaire. Autant les envoyer ailleurs pour qu’ils grappillent des minutes et qu’ils reviennent plus forts ici.  » D’Hespérange à Kaiserslautern, en passant par Dudelange, les voyages n’ont jamais aussi bien formé la jeunesse.

Le président Flavio Becca en compagnie du T1 Dino Toppmöller.
Le président Flavio Becca en compagnie du T1 Dino Toppmöller.© photos belgaimage
Petit conciliabule entre Guillaume François (à gauche), le gardien Anthony Moris et Jerry Prempeh.
Petit conciliabule entre Guillaume François (à gauche), le gardien Anthony Moris et Jerry Prempeh.© photos belgaimage

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