LA GARDE HAUTE

Il affronte Lionel Messi comme si c’était Manny Pacquiao et touche le ciel du bout des doigts grâce à une détente surréaliste. Le nouveau Carles Puyol est argentin et barbu. Lui, c’est Nicolás Otamendi.

Nicolás est en alerte. Ses appuis sont fermes, son jeu de jambes est fluide. Interdiction de baisser la garde. En face, Lionel Messi a pris le ballon pour monter sur le ring. La Pulga enchaîne les crochets à un rythme irréel. Une seconde d’inattention et c’est l’uppercut, fatal. Anesthésié en mondovision, Jérôme Boateng peut en témoigner. Otamendi, lui, encaisse les crochets sans broncher.

En 180 minutes de duel cette saison, le défenseur argentin a écoeuré Lionel Messi à coups de tacles inouïs, d’anticipations géniales et de face-à-face héroïques. Une véritable leçon de jeu défensif qui lui a valu une place incontestée dans le onze de la saison en Liga. Et une entrée fracassante dans la caste des meilleurs défenseurs du jeu.

La légende européenne de Nicolás Otamendi commence presque avec un lustre de retard. En 2009, l’enfant de El Talar de Pacheco n’a qu’une saison de Primera au compteur, mais forme déjà la meilleure paire centrale d’Argentine avec Sebastián Dominguez, sous les couleurs de Vélez.

Face à River Plate, Otakáiser n’a aucun mal à museler un certain Radamel Falcao.  » C’est le meilleur défenseur que j’aie vu depuis très longtemps « , lance carrément Diego Maradona, qui compare Nicolás au mythique Roberto Perfumo, défenseur de l’Argentine à la fin des sixties.

Maradona est tombé amoureux, et il s’avère que le D10S est sélectionneur d’une Argentine qui rêve de sacre en Afrique du Sud. Otamendi vit encore chez sa mère, mais va déjà jouer une Coupe du Monde. Rêve d’enfant qui tourne rapidement au cauchemar. Les monstres qui le hantent s’appellent BastianSchweinsteiger et LukasPodolski, un soir de quart de finale où l’Albiceleste est martyrisée par la Mannschaft.

Exilé sur le côté droit de la défense à cause d’une sélection sans latéraux, Otamendi quitte la pelouse après septante minutes de souffrance, et voit sa carrière retourner dans l’ombre.

Une enfance sur le ring

Nicolás est mis au tapis, mais finira par se relever. Sans doute les restes de ces heures passées sur les rings de boxe dès son dixième anniversaire, dans le sillage d’un père qui voulait éviter à un fils trop fluet de vivre des heures difficiles dans les quartiers à forte criminalité d’El Talar.

De cette éphémère mais intense carrière de boxeur, Otamendi conservera une musculature propice à effrayer les attaquants, une vitesse de jambes surréaliste pour un arrière central et, surtout, une puissance abdominale presque absurde. Celle-là même qui lui permet de décoller au-dessus des géants malgré son  » petit  » mètre 83.

Sergio Ramos, surmonté comme un vulgaire ailier sur le corner qui a permis à Otamendi de mettre fin à la gigantesque série de victoire du Real d’Ancelotti, l’a appris à ses dépens.

En ce jour de janvier, Otakáiser a définitivement conquis Mestalla. Maradona voyait en lui le nouveau Perfumo ? C’est un autre Roberto argentin que les supporters Ché retrouvent en Otamendi.

Un certain Roberto Ayala, meneur héroïque de l’infranchissable défense de Valence au tournant du millénaire, à l’époque où GaizkaMendieta et Pablo Aimar régnaient sur l’Espagne.

L’histoire d’amour entre Nicolás et Mestalla avait pourtant commencé par un rendez-vous manqué. Acheté douze millions d’euros au FC Porto en janvier 2014, Otamendi devient le défenseur le plus cher de l’histoire du club Ché, mais doit surtout partir en prêt, faute d’une place d’extra-communautaire disponible dans le noyau.

L’Argentin choisit le Brésil et l’Atlético Mineiro, histoire de se rapprocher des yeux d’Alejandro Sabella à quelques mois du Mondial. Près des yeux, mais un peu trop loin du coeur du sélectionneur, le défenseur quitte le groupe lors de la réduction de la liste argentine à 23 noms, supplanté par la polyvalence de JoséMariaBasanta.

Quatre ans après avoir joué sa première Coupe du Monde, Otamendi est devenu plus fort, mais doit quand même suivre le Mondial brésilien devant sa télévision.

Le bon profil

Enfin débarqué à Valence, Nicolás Otamendi s’installe au coeur de la défense de Nuno Espirito Santo. ShkodanMustafi, son nouvel associé en défense centrale, a beau être champion du monde, l’identité du patron de la paire Ché ne fait pas le moindre doute.

L’Argentin n’a encore qu’un quart de siècle, mais il joue avec le charisme d’un vétéran, conjugué à la passion d’un enfant qui monte sur le terrain pour la première fois.  » Je pense que ma façon de jouer attire sans doute l’attention « , raconte le joueur à El Gráfico lors d’une interview donnée en 2009.  » Chaque match est une finale. Il s’agit d’y laisser la vie s’il le faut.  »

Celui qui a vu jouer Nicolás Otamendi sait que ce ne sont pas des paroles en l’air. L’enfant d’El Talar défend son rectangle comme si c’était sa propre chair. Comme si chaque attaquant qui pénètre dans le rectangle balle au pied était un coup de poignard en plein coeur. Alors, Otamendi donne tout. Parfois au-delà des limites, mais toujours avec un charisme fou, qui a rapidement fait chavirer Mestalla.

Des tacles hallucinants de justesse, des sacrifices parfois insensés pour contrer un tir, et surtout une façon bien à lui d’anticiper les passes adverses.  » J’ai tendance à tenir mon attaquant de profil, parce que c’est une posture qui me donne plus de chances de le devancer « , explique Otamendi. Un homme qui voit le jeu avec une seconde d’avance, comme les plus élégants numéros dix, mais qui met ce don au service de son propre rectangle.

Sélectionné pour la Copa América, Nicolás n’a pas vraiment le temps de réfléchir à son transfert, mais il est de plus en plus certain que son avenir ne s’écrira pas à Valence. En un an, le meilleur défenseur-buteur de Liga (six buts), roi des airs (3,5 duels aériens gagnés par match) malgré son gabarit, est devenu une référence mondiale.

En quête de stabilité défensive, les deux clubs de Manchester se l’arrachent déjà. Et tant pis si la tête d’Otamendi est mise à prix à plus de 40 millions d’euros. Après tout, est-ce vraiment si cher pour un joueur qui gagne tous ses duels face à Lionel Messi ?

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTO : REUTERS

 » J’ai tendance à tenir mon attaquant de profil, ça me donne plus de chances de le devancer.  » Nicolás Otamendi

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