La gaffe mauve

Snobé à Anderlecht, le Congolais est désormais une des goals machines des Rouches.

Il y a un an, Mémé Tchite crachait le feu au Stade Constant Vanden Stock après avoir quitté les rives de la Meuse. Sa productivité fut souvent décisive dans la lutte pour le titre. Cette saison, Dieumerci Mbokani, lui, a pris le chemin inverse en quittant la capitale afin de s’installer dans la Cité Ardente. Avec Milan Jovanovic, Igor de Camargo et Ali Lukunku, le Congolais forme l’arsenal offensif où MPH choisit ses armes en fonction de la forme de ses joueurs, des plans tactiques, de la vie d’un match, des atouts adverses, etc. Le numéro 9 est progressivement monté en régime. A Roulers, il a surtout été question du pétaradant Milan Jovanovic qui a fêté la prolongation et l’amélioration de son contrat avec trois buts et une passe décisive. Mbokani a participé à la fête en surprenant le gardien de but adverse à une reprise. Il continue son petit bout de chemin sans s’inquiéter, fort dans sa tête, certain de ses choix, et en disant  » être sûr d’avoir fait le bon choix en ne restant pas une saison de plus à Anderlecht où Frankie Vercauteren ne lui faisait pas confiance « .

Milan Jovanovic vous a mis sur orbite lors de la réalisation du troisième but à Roulers : qu’est-ce qu’il vous apporte ?

Dieumerci Mbokani : Beaucoup, ce n’est pas un secret. Mais, dans ce groupe, chacun enrichit tous ses équipiers. Tout le monde a besoin de tout le monde et ce n’est que dans cet état d’esprit que naissent les bonnes équipes. Durant la campagne de préparation, Milan a déclaré qu’Anderlecht avait commis une gaffe en lâchant un joueur comme moi. Alors que je découvrais à peine l’effectif, il était certain que j’allais réussir. J’ai lu tout cela et cela m’a fait plaisir. Sur le terrain, Jova est incroyable balle au pied, surprenant, inventif, déroutant, rapide, décisif mais aussi collectif comme quand il m’a offert ce but à Roulers. L’avantage, c’est que l’on est différent. Il est gaucher alors que je joue des deux pieds. Je ne dois pas réfléchir, c’est inné. Je suis plus à l’aise que lui dans le jeu aérien. Les atouts sont différents, donc complémentaires. Si je pouvais être aussi rapide que lui, ce serait le rêve. Mais, je le redis, chaque attaquant a ses atouts et il faut de la diversité, celle de Milan, d’Igor, d’Ali, la mienne.

Heureusement que Milan Jovanovic est resté : avec qui préférez-vous jouer en pointe ? Jova, Igor ou Ali ?

Je n’ai aucune préférence car tous peuvent faire la différence. On connaît le style Jova mais il ne faudrait pas négliger l’apport d’Igor ou d’Ali. Ce sont des pivots qui déblayent le ciel ou servent de points d’appuis pour les attaquants ou les médians. Nos adversaires craignent Jova comme la peste mais ils ont peur de Lukunku et de Camargo qui sont des tours. Avec eux, cela déménage et j’y vois une nouvelle preuve de la richesse de notre attaque. Moi, je joue avec tout le monde, en duo ou à trois devant ; cela m’est égal. Je peux jouer en pointe, plonger dans les espaces, me déplacer sur la largeur du terrain.

 » Ce sera surtout un test pour la défense brugeoise  »

Avec 16 buts en quatre matches, l’attaque liégeoise sera-t-elle votre grand atout lors du premier grand test de la saison, dimanche, face au Club Bruges ?

C’est une moyenne formidable mais le Standard c’est aussi d’autres mécanismes. Il y a la défense qui ne lâche rien et une ligne médiane jeune mais déjà expérimentée et surtout très intelligente. J’aime bien reculer dans le jeu, combiner avec les milieux de terrain, aider à la construction. Je ne suis pas un attentiste. Je dois toucher souvent la balle et forger des espaces pour les autres. Le jeu de tête est une de mes spécialités. Je n’ai pas découvert cela tout de suite. Je fais 1,85 m et il ne faut pas toujours être un basketteur pour marquer de… haut. Le timing est quasiment aussi important que la taille. Il faut bien se placer, anticiper, prendre sa battue au bon moment.

A Bruges, on mise beaucoup cette saison sur François Sterchele, Wesley Sonck et Dusan Djokic…

Oui, et alors ?

C’est du bon matériel offensif aussi, non ?

Je ne les crains pas.

Oui, mais ce sera le premier grand test et…

Ce sera surtout un test pour la défense brugeoise. Elle sait aussi que l’attaque du Standard cartonne à chaque sortie. A mon avis, ils y pensent et prendront de fameuses précautions défensives.

Mais, quoi que vous disiez, ce sera aussi un test pour cette jeune équipe du Standard : est-elle capable de rouler un des favoris de la compétition dans la farine ?

On a tout pour gagner ce match important contre Bruges. C’est juste un test parmi tant d’autres. Le déplacement à Roulers n’était pas une petite affaire non plus. Je suis confiant. Je l’ai toujours été. Au Congo, au Standard et même à Anderlecht quand on ne me regardait même pas.

Qui ne vous regardait pas ?

Frankie Vercauteren entre autres. Je n’ai rien compris à son attitude. Je n’étais pas venu en Belgique pour faire du tourisme. Je voulais réussir à Anderlecht. Et j’en avais les moyens. Je n’étais pas moins fort que Mémé Tchite ou Nicolas Frutos. On ne m’a pas permis de le prouver, je me demande pourquoi.

Vous y allez quand même un peu fort, ne croyez-vous pas ?

Non, il y a des choses que tout le monde voit à l’entraînement. Les footballeurs savent quand quelqu’un est meilleur, ou aussi fort, qu’un autre. Je devais jouer mais on ne m’a pas fait confiance. Vercauteren n’avait que deux noms en tête. Pour lui, c’était Tchite et Frutos, point final. Je suis de nature timide et un peu renfermé mais il ne fallait pas me faire un dessin. Pour lui, quand il n’avait pas besoin de moi, je n’existais pas. Il ne me parlait pas, je n’ai jamais eu de véritables échanges tactiques avec lui. Or, j’avais besoin de soutien, d’explications et de chaleur humaine. C’est le cas de tous les joueurs, encore plus des Africains. Herman Van Holsbeek m’a recommandé la patience car, disait-il, j’étais encore jeune. Tchite et Lucas Biglia étaient aussi jeunes que moi. Mais, eux, ils jouaient, pas moi. Glen De Boeck, l’ancien T2 d’Anderlecht, me comprenait, lui. Il m’a demandé d’être patient : -Tu auras ta chance un jour car tes qualités sont évidentes. Tu dois continuer à travailler. De Boeck m’estimait mais pas Vercauteren. Pourtant, il a eu besoin de moi en fin de saison. A ce moment-là, ma décision était prise. Je suis venu en Europe pour réussir dans un grand club, pas pour m’enterrer à Anderlecht. C’était dommage : Vercauteren ne me faisait pas confiance, je ne croyais plus en lui. Je ne pouvais pas me permettre de cirer le banc une deuxième saison à Anderlecht. J’avais faim de temps de jeu. C’était vital pour moi…

 » Anderlecht ne comptait plus sur moi  »

Ne vous a-t-on pas reproché un manque de discipline ?

Anderlecht m’ignorait et j’ai eu dur mais je me suis toujours bien entraîné. Il ne faut pas rire : si j’avais levé le pied, ma fin de saison n’aurait pas été aussi bonne. Je suis un homme et un joueur sérieux. Je ne pense qu’au football. Je travaille tout le temps, même à la maison où je me tape cinq séries de 20 pompages tous les matins et tous les soirs. On a dit que je fréquentais Matonge, le quartier africain d’Ixelles. J’allais à la Porte de Namur pour me faire couper les cheveux ou acheter des produits culinaires congolais. Anderlecht m’a prié de quitter mon appartement, c’est plus grave.

Cela a eu pour effet de vous réveiller, dit-on à Anderlecht…

J’étais bien éveillé, j’avais compris avant cela.

Compris quoi ?

Anderlecht ne comptait plus sur moi. On ne vire pas un joueur de chez lui quand on croit en lui. Là, on m’a manqué de respect. Quand on ajoute cela à l’indifférence du coach, cela fait mal. Je n’étais pas content : n’est-ce pas normal ? C’est probablement la goutte qui a fait déborder le vase. Je devais déblayer et faire de la place pour un joueur réserviste accompagné par sa maman. Même si mon contrat prévoyait que j’occupe un appartement jusqu’à la fin de mon contrat, je me suis retrouvé dans un hôtel près de l’hôpital Erasme. Le message était clair. Quand la roue a tourné, on m’a dit qu’il était temps de discuter d’un nouveau contrat. Trop tard : ma décision était prise. A Anderlecht, en plus de De Boeck, deux personnes me comprenaient bien : Werner De Raeve et Robert Depot. Eux, ils étaient certains de mes qualités. En fin de saison, Vercauteren m’a félicité pour mon transfert au Standard. J’aurais préféré garder cette nouvelle : c’était à moi, à personne d’autre. J’avais des amis dans le groupe : Vanden Borre, Tchite, Lamah, Tiote, etc. Je devais les quitter car c’est mon avenir, et celui de ma famille, qui était en jeu.

Strasbourg et Bordeaux, entre autres, étaient sur votre piste.

Oui mais c’est le Standard qui me voulait le plus. Tout était concret et j’ai aimé le discours. Je suis venu discuter à Sclessin avec mon agent, Fabio Baglio, le même jour que Dahmane, qui a signé plus tard à Genk. J’ai tout de suite fait partie de la famille. Le Standard me connaissait bien. J’avais marqué en demi-finales de la Coupe de Belgique contre lui. Quand je suis arrivé à Anderlecht, j’ai pris part à un test, en Réserve contre le… Standard. Je sais que Dominique D’Onofrio, qui assista à ce match, m’avait à l’£il.

Tchité vous a-t-il parlé du Standard ?

Oui et en bien. Mais j’avais ma petite idée. Je savais que le groupe, très jeune, était prêt pour le début d’une grande aventure.

Pouvez-vous comparer les deux groupes ?

Ils sont équivalents. Techniquement, c’est très fort des deux côtés. Anderlecht a Ahmed Hassan mais Steven Defour est aussi doué que lui. Chaque secteur du Standard vaut celui d’Anderlecht.

Biglia, Hassan, Polak, c’est pas mal quand même…

Defour, Fellaini, Witsel, Toama aussi. Il y a égalité, cela se joue sur des détails et cette ligne du Standard a l’avantage de la jeunesse et de la taille. Biglia balaye mais c’est aussi le cas de Fellaini.

Ce sont les attaques qui feront la différence en fin de championnat ?

Peut-être, celle du Standard cartonne. Puis, il y a le fonds le jeu. On ne peut pas le nier : le Standard pratique pour le moment le meilleur jeu de D1.

 » Au Standard, on m’a fait confiance dès la première minute du premier entraînement  »

Oui.

C’est énorme…

Non, c’est mon objectif pour toute une saison. Je ne compte pas seulement sur le championnat. Il y a la Coupe de Belgique et l’Europe aussi. Non, c’est jouable. Après mes buts contre le Cercle Bruges, j’ai reçu des messages de félicitations des dirigeants d’Anderlecht qui m’aimaient bien.

Pas de Van Holsbeek et de Vercauteren ?

Je ne sais plus. Ça provenait de ceux qui m’apprécient en tout cas…

Le dialogue avec Michel Preud’homme est-il différent qu’avec Vercauteren ?

En ce qui me concerne : oui. La campagne de préparation a été éprouvante et j’ai eu des moments difficiles comme tout le monde. Michel Preud’homme, Manu Ferrera et tout le staff m’ont beaucoup parlé. On m’explique, je compte, je fais partie d’un projet. Le dialogue est permanent et c’est ce que j’apprécie car j’aime comprendre ce qu’on attend de moi. Je n’avais jamais eu droit à la moindre discussion tactique à Anderlecht. Ici, c’est quand même assez différent. Au Standard, on m’a fait confiance dès la première minute du premier entraînement.

Aviez-vous déjà connu des ambiances aussi enfiévrées qu’à Sclessin ?

J’apprécie, c’est unique en Belgique mais pas au Congo. Là, au Stade National de Kinshasa, j’ai joué devant 80.000 personnes. C’est terrible et très chaud. Avec l’équipe nationale de mon pays, j’ai aussi découvert l’atmosphère qui règne au Stade Aztèque de Mexico : la folie.

Henri Depireux, le coach du Congo, vous retiendra-t-il pour le prochain match de l’équipe nationale ?

En principe, oui. Je l’ai eu au téléphone. Je sais qu’il compte sur moi. Henri Depireux sait très bien que je m’affirme au Standard. Le Congo se mesurera à la Libye le 8 septembre dans le cadre de la Coupe d’Afrique des Nations. J’espère être de la partie ce jour-là. C’est important…

Jean-Paul Eale Lutula, entre autres, pourrait aussi être sélectionné par Depireux…

C’est un ami.

Avez-vous aussi un prénom africain ?

Oui. Je m’appelle officiellement Dieumerci Mbokani Bezua.

Avez-vous le sentiment de progresser ?

Oui, évidemment. C’est normal, quand on bosse dans un tel cadre. Le coach m’explique tout. Ici, tout est bien organisé, on bosse régulièrement dans des conditions extraordinaires à l’Académie Robert Louis-Dreyfus. En Afrique, le football est quand même différent. Les choses ne sont pas aussi planifiées. Je n’oublie pas que les gens ont un souci prioritaire tous les jours : manger. J’ai deux soeurs dont une est installée à Bruxelles, et quatre frères. Ils vivent à Binza Delveaux, un quartier de la commune de Ngaliema à Kinshasa. Mon père a travaillé dans une banque. On ne peut pas se plaindre par rapport à d’autres mais je dois les aider. C’est mon devoir de fils et de frère. Je sais une chose depuis longtemps : le football est ma chance dans la vie. Quand j’avais 16 ans, des clubs d’Egypte et du Cameroun se sont intéressés à moi. Il était trop tôt mais j’avais compris que mon destin passait aussi par des aventures à l’étranger. Je me suis fait à cette idée et cela m’a permis, tout en travaillant pour mériter ce que je vis, d’être fort et sûr de moi. Je rêvais de l’Europe. Quand Anderlecht a fait une croix sur moi, ce ne fut pas évident. Mais j’ai tranché tout en n’ayant pas immédiatement une autre alternative. J’avais confiance. C’est un atout important. Je n’avais pas à craindre les événements ou l’attitude d’Anderlecht. A la fin du compte, c’est moi qui ai dit non à Anderlecht. C’était trop tard pour les Mauves. Ils ont eu un an pour me juger.

 » C’est une étape qui peut me mener vers un grand championnat étranger  »

Dominique D’Onofrio vous a analysé en un match et estime que vous progresserez encore beaucoup. Pourtant, les tractations avec Mazembe ne furent pas faciles avec un prix de transfert de plus d’un million d’euros, dit-on ?

Je ne sais pas, les clubs se sont arrangés. Moi, quand mon agent m’a parlé du Standard, j’ai tout de suite été intéressé. Je sais que c’est une étape qui peut me mener vers un grand championnat étranger.

Deraeve, le responsable de la cellule scouting d’Anderlecht râlerait car il était, dit-on, partisan de votre maintien dans ce club. Il avait accompagné votre manager quand Anderlecht vous recruta au Congo…

Werner Deraeve m’appréciait.

En somme, vous étiez trop mauvais, ou pas assez bon, pour Anderlecht ?

Je ne sais pas.

Mais cela a dû être frustrant quand même ?

Oui mais j’ai répondu au Standard.

En somme, en vous snobant, Anderlecht a fait un cadeau au Standard ?

Peut-être. J’espère qu’il y aura un beau ruban autour du cadeau à la fin de la saison. Si on bat le Club Bruges, le Standard sera totalement impliqué dans la lutte pour le titre.

Et Mbokani réussira l’exploit de Tchite dans le sens inverse ?

J’ai été champion avec Anderlecht, je veux l’être avec le Standard mais Tchite, c’est Tchite. Moi, c’est Mbokani.

Vous occupez l’ancien appartement de Sergio Conceiçao à Liège.

Je m’y sens bien. Ma s£ur Jenny me rend visite le week-end. Je passe ma vie chez moi. Il n’y a que le football qui compte.

par pierre bilic – photos : reporters

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