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LA FRENCH TOUCH

Et si le temps avait fini par faire de Charleroi une équipe française ? Portrait de Zèbres organisés, et parfois aussi ennuyeux à voir qu’à affronter. Presque une vraie équipe de Ligue 1, perdue dans un championnat qui préfère le foot à l’anglaise.

« C’est vrai qu’il y a un petit truc de français ici.  » La phrase, lâchée par Francis N’Ganga au bout d’une interview la saison dernière, offre une nouvelle vision sur le football proposé par Charleroi. Le latéral gauche poursuit son raisonnement :  » Avec autant de joueurs formés en France dans le noyau, c’est normal qu’il y ait une touche française dans notre jeu.  »

Sur la pelouse du stade Constant Vanden Stock, Charleroi se présente en effet avec sept joueurs venus de l’autre côté de la frontière. Entre les perches, Nicolas Penneteau a plus de 400 matches de Ligue 1 entre les gants. Devant lui, Steeven Willems a été biberonné par le football enseigné à Luchin, le centre de formation du LOSC. Le flanc gauche est composé de N’Ganga (ancien de Grenoble) et de Clément Tainmont, qui a disputé près de cent matches en Ligue 2, dans l’antichambre de l’élite française. Damien Marcq (80 matches en L1 et un peu plus en L2), Djamel Bakar (182 apparitions en L1) et David Pollet (qui a évolué dans les deux divisions avec Lens) complètent la french touch du onze de Felice Mazzù, qui peut encore compter sur Amara Baby, Benjamin Boulenger et Chris Bédia pour faire grimper la note.

Le noyau carolo facture finalement 712 matches de Ligue 1 et 631 de Ligue 2. C’est presque devenu une tradition, dans un club qui avait ouvert la filière française au début du siècle avec les arrivées de Bertrand Laquait, Mickaël Ciani et Laurent Macquet au coeur de l’hiver 2003. À l’époque, le Sporting profite des contacts noués par Mogi Bayat de l’autre côté de la frontière pour créer une nouvelle tendance en Belgique. En plus de dix ans, le Pays Noir a eu l’occasion d’ajouter du bleu, du blanc et du rouge à son identité footballistique.

L’INCARNATION BELGE DU FOOT À LA FRANÇAISE

Aujourd’hui, Charleroi ressemble parfois à une expérience scientifique. Celle qui consisterait à prendre une équipe dans le championnat de France pour la greffer à la Pro League. Les Zèbres sont donc l’incarnation belge du football à la française, celui où la multiplication des 0-0 fait souvent grincer les dents de suiveurs en manque de spectacle. Thibaut Moulin, qui a quitté Waasland-Beveren pour poursuivre sa carrière en Pologne, nous expliquait la saison dernière que  » jouer défensivement n’est jamais considéré comme négatif en France. On a fait une étude à ce sujet en Ligue 2, et on s’est aperçu que l’équipe qui possédait la meilleure défense était toujours promue en Ligue 1 à la fin de la saison.  »

Le discours de l’ancien maître à jouer des Waeslandiens trouve visiblement écho dans le vestiaire zébré. Avant le déplacement à Anderlecht, Djamel Bakar explique ainsi à la presse réunie au stade du Pays de Charleroi que l’important sera  » d’essayer de conserver le zéro « , et son entraîneur embraye :  » Le scénario idéal, c’est de garder le zéro le plus longtemps possible.  »

Pour gagner, le Sporting sait qu’il doit marquer un but de plus que l’adversaire, mais semble surtout espérer devoir en marquer le moins possible. Installé devant la défense depuis plusieurs saisons, Damien Marcq est l’incarnation de ce Charleroi intelligent, organisé et sans folie :  » Si on s’assoit sur une bonne assise défensive, c’est avant tout parce qu’on a besoin d’être bien en place. On est un bloc et quand on travaille les uns pour les autres, Charleroi est une équipe très difficile à bouger. Et c’est vrai que le fait qu’il y ait une grosse colonie française dans le vestiaire joue peut-être là-dessus.  »

LA BELGIQUE À L’ANGLAISE

La saison dernière, les Zèbres ont tenté de prendre plus souvent l’initiative, avant d’en revenir finalement à ce 4-2-3-1 rigide qui surpeuple les pelouses de l’Hexagone.  » À un moment, dans notre façon de jouer, on a essayé d’être une équipe du top 6 « , poursuit Marcq.  » On voulait la maîtrise du ballon, de longues phases de conservation… Mais ce jeu-là ne nous ressemblait pas, donc on s’est vite fait punir dans des rencontres qu’on aurait dû gagner. Cette expérience nous a servi de leçon : on doit jouer le football de Charleroi, et pas essayer de faire autre chose.  »

Le  » football de Charleroi « , c’est un onze à la française où le bloc limite ses prises de risques. Le carré défensif, composé des deux arrières centraux et des deux milieux strictement défensifs, mêle volume physique et intelligence de jeu, tandis que les flancs sont plus dynamiques, avec une grande présence athlétique pour multiplier les courses sans jamais négliger leur travail défensif. Une vraie équipe bleu-blanc-rouge, où l’attaquant de pointe doit  » peser sur la défense  » avec son gabarit et ses courses dans la profondeur, tandis que le numéro 10 est l’homme chargé de créer des différences sur le plan technique, afin de pouvoir attaquer efficacement sans mettre l’organisation défensive en péril. Minimiser les risques d’encaisser un but quand on essaie d’en mettre un.

Et l’expérience fonctionne. Parce que la Belgique a toujours su récompenser les équipes qui étaient assez fortes tactiquement pour limiter les espaces entre leurs lignes défensives.  » De manière générale, je dirais que les blocs belges sont un peu plus friables que les défenses françaises « , analyse Nicolas Penneteau.  » La Belgique est plus proche du style anglais que du français.  » Notre championnat serait donc une version miniaturisée de la Premier League, raison pour laquelle l’adaptation de nos joueurs de l’autre côté de la Manche paraît toujours si naturelle.

Djamel Bakar, tout juste arrivé en Pro League, confirme les mots de son gardien dès qu’il doit confier ses premières impressions :  » C’est un peu plus physique qu’en France, le football ici demande beaucoup de débauche d’énergie.  » Et Damien Marcq abonde :  » En Belgique, on voit un peu plus de kick and rush, on fait beaucoup de box-to-box. Après vingt minutes de matches, tu vois parfois de gros écarts entre les lignes. Tandis qu’en France, les matches sont parfois un peu plus chiants.  »

UN ADN DÉFENSIF ?

En Belgique, les plus petites équipes défendent donc à beaucoup sans spécialement défendre bien. Charleroi a opté pour l’efficacité tactique française au détriment du show désorganisé que le Belge adore admirer en finissant son samedi soir devant Match of the Day. La pelouse du Mambour est, par conséquent, loin d’être une salle de spectacle. Surtout quand une équipe y débarque avec l’intention de laisser le ballon à une formation locale qui veut surtout éviter de se désorganiser en attaquant avec trop d’ardeur.

 » Sur le terrain, on doit d’abord penser à la cohérence de notre organisation et de nos automatismes « , rappelait encore récemment Felice Mazzù. Le coach carolo, avec le sens de la formule qu’on lui connaît, a d’ailleurs parlé d’un football où ses joueurs doivent  » travailler comme des ouvriers, dans le sens noble du terme.  »

Car il n’y a pas que la touche française pour expliquer l’identité footballistique de Charleroi. Il y a aussi la ville, et son histoire faite de charbon, de sueur et d’Italie.  » Donner ta vie sur le terrain, ça a toujours été présent à Charleroi « , explique Javier Martos, le capitaine.  » Travailler, être discipliné, c’est dans l’ADN du club. Le public te le demande.  »

Et derrière le public, Felice Mazzù est encore là pour en rajouter une couche. Le coach des Zèbres ne cache jamais ses racines italiennes et son admiration pour Arrigo Sacchi et son jeu en zone. Une façon d’être protagoniste indépendamment de la possession, parce que la position du bloc sur le terrain dépendra toujours de la balle et pas de l’adversaire. Versatile tactiquement comme le sont ces coaches italiens qui taillent toujours leur dispositif autour des qualités de leur noyau, Mazzù a compris que Tainmont, Baby, Pollet et Mamadou Fall avaient besoin d’espaces et de courses pour que leurs qualités puissent s’exprimer.

Des atouts qui collent parfaitement à un bloc bas et organisé, capable de fermer les portes de son rectangle et prêt à exploiter dès que possible les boulevards offerts par un adversaire moins au point tactiquement. À la française.  » En France, le jeu est beaucoup plus fermé « , reprend Thibaut Moulin, dans sa comparaison entre Ligue 1 et Pro League.  » Ici, les espaces sont plus grands et c’est plus facile de trouver l’ouverture.  »

Sauf quand on joue contre Charleroi ?

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

En plus de dix ans, le Pays Noir a eu l’occasion d’ajouter du bleu, du blanc et du rouge à son identité footballistique.

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