» La France n’est plus une grande nation « 

Deux ans après le fiasco sud-africain, la France veut retrouver la victoire et redorer son image. Son sélectionneur nous a reçus au centre technique national pour évoquer l’après-Knysna, les maux actuels du foot français et sa longue reconstruction. Entretien en mode  » humilité « .

Comment expliquez-vous que le foot français ait connu tant de désillusions ces dernières années ?

Laurent Blanc : De fait, le dernier match que la France a remporté en phase finale remonte à 2006. C’est face au Portugal en demi-finales de la Coupe du Monde et ça commence à dater… Mais on peut remonter encore bien plus loin dans le passé pour comprendre que les turbulences font partie de l’histoire du foot français. Je crois que les Anglais ne sont pas mal dans le genre non plus. On notera que les périodes fastes de notre foot ont toujours coïncidé avec de grandes générations dont sont sortis des joueurs exceptionnels.

Ne doit-on pas parler d’arrogance du football français après le sacre à l’EURO 2000 qui succédait à la victoire en Coupe du Monde ?

Je ne sais pas si c’était de l’arrogance, je sais que les étrangers perçoivent les Français comme tels et il doit y avoir une part de vérité. En tout cas, après ce qu’on a montré en 2010, on ne peut plus commettre cette erreur.

Qu’avez-vous voulu apporter à cette équipe de France en termes d’humilité ?

Qu’elle soit consciente de la période que l’on traverse et surtout qu’on arrête de vivre avec la période 1998-2000 qui était exceptionnelle au niveau des résultats. Se retrouver en finale en 2006 était également un très bon résultat mais l’impact de Zidane était encore bien présent. Aujourd’hui, on se retrouve avec une équipe en construction composée de jeunes joueurs, certes talentueux, mais cela ne suffit pas pour bâtir une équipe. A moi et à mon staff d’amener ce complément afin de trouver l’équilibre.

Est-ce que vous évoquez avec vos joueurs votre expérience de la Coupe du Monde 1998 ?

Non, on n’en parle pas. Il est préférable de penser au présent et à l’avenir.

Avez-vous l’impression que cette équipe de France vous correspond ?

Un coach espère toujours apporter sa touche personnelle à son équipe ou à sa sélection. Mais comme je le répète toujours, en sport, ce sont les résultats qui font l’équipe et qui déterminent la filiation avec le coach. Et aujourd’hui, ce sont des résultats dont le foot français a le plus besoin.

Liberté surveillée

On peut voir sur les affiches publicitaires à la gloire des Bleus, le slogan  » vive le football libre « . Que doit-on comprendre dans ce message ?

Tout sport collectif a besoin de liberté pour être efficace et attrayant. Et vu que le foot est l’addition d’individus, il faut forcément des règles. J’utiliserais plutôt le terme :  » liberté surveillée « . Autrement dit, une part d’indépendance dans le jeu mais avec un mode de fonctionnement déterminé. Sur le terrain, ce sont les joueurs qui font la différence mais il faut leur inculquer un minimum de directives. Tout comme dans la vie de groupe.

Est-ce que votre but n’est pas de retrouver l’état d’esprit du groupe de 98 ?

Dans l’absolu, oui. N’oublions pas une chose : le foot évolue comme la société et les êtres humains qui la composent.

Vous pensez qu’il est possible avec les générations actuelles de faire revivre ce que vous avez connu en 98 ?

Oui si vous gagnez. Uniquement si vous gagnez.

Dernièrement, on évoque souvent la reconstruction du football français. Quels sont les points où le retard est important par rapport aux autres grandes nations ?

Je voudrais préciser que la culture française n’est pas la même que celle des Anglais, des Allemands ou des Espagnols, qui sont de vraies grandes nations de football. Par rapport à ces pays, la France a un déficit. L’histoire nous le prouve. Malgré cela, on a réussi à forger des résultats, notamment grâce au talent des formateurs qui ont sorti des joueurs d’exception. Espérons que l’on sorte encore des phénomènes de ce genre à l’avenir, même si les clubs étrangers viennent nous les piquer très jeunes.

Le foot français a sorti ces dix dernières années beaucoup de joueurs du même type, des milieux de terrains physiques, bons techniquement mais manquant parfois de créativité. Comment arrive-t-on à inverser cette tendance ?

En évoluant avec notre temps. Les joueurs, mais surtout les politiques sportives doivent changer. Aujourd’hui, on est tous d’accord pour dire que le foot espagnol est ce qui se fait de mieux au monde grâce au Real ou au Barça qui sont des modèles en termes de jeu. Les Espagnols sont arrivés à sortir des joueurs de grande qualité dont le physique n’est pourtant pas impressionnant. La France doit s’en inspirer et revoir certains paramètres de jeu. Ce sont les clubs qui seront les premiers responsables d’un éventuel changement, et non pas la fédération. Si ça ne tenait qu’à moi, l’élément le plus important pour un jeune serait la technicité. Et si le club choisit une autre priorité, que puis-je y faire ?

Génération 87

Vous évoquez le Barça ou le Real mais c’est pourtant Chelsea qui a remporté la Ligue des Champions avec un foot très attentiste. Dans votre conception du jeu, la fin justifie-t-elle les moyens ?

Dans le foot professionnel, oui. N’oublions que le foot à ce niveau est un métier. Si on peut allier le spectacle à la manière, tant mieux, mais ce que l’on retient toujours ce sont les résultats. Et dans vingt ans, on retiendra que c’est Chelsea et personne d’autre qui a remporté la Ligue des Champions 2012.

Êtes-vous satisfait du jeu déployé durant les matches de qualification ?

Non. On est conscient qu’on doit s’améliorer si on veut combler notre retard par rapport aux autres grandes nations. Idéalement, j’aimerais travailler dans la durée mais en équipe nationale c’est impossible, d’autant que les clubs prennent de plus en plus de place. Il n’y a qu’à voir le début de notre préparation au Championnat d’Europe : on a travaillé avec une partie des joueurs alors que d’autres comme Ribéry étaient retenus par leurs clubs respectifs. C’est comme ça, il faut s’adapter à ces nouvelles règles. Il est donc difficile de réaliser des progrès techniques et collectifs dans un temps très court…

Votre sélection ne comporte pas de véritable leader ou joueur charismatique. Comment allez-vous combler cette lacune ?

On ne peut pas se reposer sur un leader technique comme l’ont été Michel Platini ou Zinédine Zidane. Quand aucun élément de cette qualité-là n’émerge, le rôle d’un sélectionneur est de combler cette absence grâce au collectif. Aujourd’hui, on parle beaucoup de relève, de la génération 87 (Benzema, Nasri, Menez, Ben Arfa) qui a réalisé de beaux résultats chez les jeunes mais dont la confirmation au plus haut niveau a pris un peu plus de temps. Désormais, ces joueurs ont 24 ans ; ce qui est encore très jeune pour les exigences internationales. Et au niveau de l’expérience, on est encore loin de l’Espagne, de l’Allemagne ou des Pays-Bas. L’Angleterre est un peu dans la même configuration que nous.

Débarquer à la tête des Bleus après Domenech, après l’Afrique du Sud, était-ce pour vous une gageure ou plutôt une chance puisque vous ne pouviez pas faire pire ?

J’avais donné mon accord pour reprendre les Bleus avant que le fiasco de 2010 n’ait lieu. Le rôle d’un sélectionneur est à la base compliqué mais quand j’ai vu ce qui s’est passé pendant la Coupe du Monde, j’ai pensé que mon travail serait vingt fois plus difficile. Franchement, j’aurais préféré arriver au milieu d’un climat positif. Il a fallu tout reconstruire. Des tas de gens étaient d’accord pour dire que vu le niveau zéro que la France avait atteint, cela allait prendre du temps. Après trois mois, l’impatience chez certains observateurs était déjà perceptible. Aujourd’hui, je peux affirmer que par rapport à ma prise de fonction, un groupe s’est formé. Et la meilleure façon pour qu’il soit davantage soudé encore, ce sont les résultats. Au sein de ce groupe, il y a des joueurs qui vont découvrir pour la première fois une grande compétition internationale, ou d’autres qui n’ont rien gagné en 2008, ni en 2010. Il est important pour l’avenir d’acquérir de l’expérience au niveau international. Et notre groupe en manque cruellement.

L’exode de beaucoup de jeunes Français est-il un élément qui explique le manque d’expérience ?

Quand un joueur de 17-18 ans dont la formation n’est pas terminée s’en va pour un club étranger parce que le club français est financièrement obligé de le vendre, c’est néfaste pour le niveau de la L1, mais aussi pour l’équipe nationale car on n’a pas la garantie qu’il va jouer dans son nouvel environnement. Le centre national de Clairefontaine a permis grâce à la formation de combler le retard sur d’autres grandes nations. Mais ces autres nations n’ont pas été idiotes, elles sont venues voir comment on travaillait, notamment l’Allemagne qui s’est inspirée de ce centre. Aujourd’hui, ce pays nous a rattrapés et peut-être dépassés.

Benzema-Ribéry

Le foot français s’est-il reposé sur ses acquis ?

Le problème n’est pas là mais bien quand un club anglais arrive et que le jeune de Nantes ou d’ailleurs s’en va avant d’avoir terminé sa formation. L’Espagne ou l’Allemagne ne connaissent quasiment pas ce problème. Nos moyens financiers sont différents de ces grands pays. Le manque d’argent ne nous permettra peut-être plus de former de grands joueurs.

On parle beaucoup de l’affaiblissement de la L1 ces dernières années. Or votre groupe compte près de la moitié de joueurs issus de ce championnat. Est-ce une preuve que l’équipe de France n’a pas suffisamment de qualités pour lutter avec les meilleurs ?

A l’époque, le c£ur de l’équipe de France était composé de joueurs qui évoluaient dans de grands clubs étrangers et qui y étaient titulaires indiscutables. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Prenez notre milieu de terrain, M’Vila-Cabaye. Le premier n’a que 21 ans et ne devrait partir de Rennes que cet été pour un grand club européen. Alors que le second fait une grande saison à Newcastle mais ce club n’émerge pas à l’élite anglaise. Les blessures d’Abou Diaby (Arsenal) et de Lassana Diarra (Real Madrid) nous ont été préjudiciables. Je pense qu’avec eux, l’équipe de France aurait été plus consistante.

En attaque, vous disposez par contre d’un Karim Benzema qui vient de réaliser une superbe saison avec l’un des meilleurs clubs du monde. Comment expliquez-vous sa métamorphose ?

Il a franchi un palier cette saison grâce à des qualités physiques optimales. Ce n’est pas sur ses qualités pures qu’il a le plus progressé car celles-ci sont présentes depuis qu’il a 18 ans. Le danger pour ce type de joueur, c’est que tout est tellement facile. Il pense – Donnez-moi le ballon et je ferai le reste.Mais à très haut niveau ce n’est plus possible, il faut se fondre dans le collectif et cette saison Karim l’a parfaitement compris.

Comment exploite-t-on au mieux ses qualités ?

Il faut essayer de jouer le plus possible près du but de l’adversaire. Pour cela, il faut une philosophie de jeu où l’on veut posséder le ballon.

Comment expliquez-vous que Ribéry ne réitère pas ses prestations du Bayern en équipe de France ?

Il arrive à se libérer au Bayern car le club lui a témoigné beaucoup de confiance. Il se sent à l’aise dans le championnat allemand, à l’aise dans ce club. Depuis 2010, une pression pèse sur ses épaules quand il joue en France avec le maillot des Bleus. Il doit arriver à surmonter tout ça. C’est aussi à nous de l’aider pour qu’il puisse bénéficier d’un maximum de tranquillité.

C’est quelqu’un de facile à gérer ?

Il est généreux et vif. Son gros défaut, c’est qu’il est entier et impulsif. Il n’est pas si facile à gérer mais n’est pas non plus très compliqué à gérer ( il rit)…

Il faisait partie des joueurs sanctionnés après Knysna. Quel discours lui avez-vous tenu pour qu’il réintègre le groupe France ?

Les joueurs français qui évoluent dans un grand club étranger et y sont titulaires, je n’en vois que quelques-uns : Ribéry en fait partie. On s’aperçoit qu’il est difficile de passer à côté de ces joueurs-là car en ce qui me concerne, je vais être jugé sur les résultats. C’est bien beau de dire -On prend des jeunes, on tire un trait sur le passé. Mais si les défaites sont au bout, celui qui en payera le prix, c’est le sélectionneur. Je ne suis pas venu ici pour former une classe biberon mais une équipe compétitive. Avec des joueurs compétitifs qui évoluent dans des grands clubs.

L’attente est-elle trop importante en France par rapport au matériel à disposition ?

Le problème est qu’il faudrait prendre conscience que la France n’est plus une grande nation. Je sais que c’est difficile à admettre pour certains. Le dire ce n’est pas manquer d’ambition mais être pragmatique et analyser la situation comme elle l’est réellement.

En disant cela, n’est-ce pas une manière d’évacuer la pression ? Vous êtes plutôt flou sur vos objectifs par exemple…

Non, c’est vous qui ne comprenez pas. Je dis juste qu’on ne fait pas partie des équipes qui peuvent prétendre arriver à l’EURO pour le gagner. Elles sont trois à pouvoir le dire : l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Espagne. Le reste rêve de passer le premier tour et en a la possibilité. On en fait partie.

Quel est votre favori numéro un ?

L’Espagne. Non pas parce qu’elle a réussi le doublé Championnat d’Europe-Coupe du Monde mais parce que ses deux clubs-phares, le Barça et le Real, dominent l’Europe. Et parmi la Roja, ils sont 12 à venir d’une de ces deux équipes. Pour un sélectionneur, c’est un avantage énorme. Ils ont l’habitude de jouer ensemble, ils se connaissent parfaitement, et mentalement ils sont très forts avec leurs deux titres en poche. Il ne faudrait pas oublier que l’Espagne a mis du temps à créer une équipe car des joueurs de talent elle en a depuis la nuit des temps. Des clans s’étaient formés et les différents sélectionneurs n’arrivaient pas à fédérer leur équipe derrière un objectif principal.

La France a toujours eu des joueurs talentueux mais a surtout eu, lors de ces trente dernières années, deux joueurs exceptionnels : Zidane et Platini. L’Espagne, cela fait 60 ans qu’elle s’appuie sur des grands clubs européens, ce qui a rarement été le cas de la France…

PAR THOMAS BRICMONT À CLAIREFONTAINE

 » Si ça ne tenait qu’à moi, l’élément le plus important pour un jeune serait la technicité. « 

 » Les turbulences font partie de l’histoire du foot français. « 

 » Je ne suis pas venu pour former une classe biberon mais une équipe compétitive. « 

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