« La France cherche des stars »

Son transfert avorté à Monaco et la campagne hostile qu’il a subie en Angleterre ne l’ont pas déstabilisé.

Après l’annonce de son faux départ pour Monaco, Frank Leboeuf a traversé une période difficile à Chelsea. Mais tous ses problèmes sont résolus.

En annonçant sa liste pour France-Allemagne, Roger Lemerre avait pourtant parlé de joueurs en difficulté dans leur club en citant Petit et vous…

Manu joue rarement à Barcelone, mais ce n’est pas mon cas. Il est clair que mon faux départ pour Monaco a brouillé les choses. Ranieri m’avait demandé de prendre position. La proposition de Monaco m’intéressait. C’était la possibilité de retourner dans le Midi, de me rapprocher de mes parents, qui ne me voient qu’à la télé et d’aller dans un club qui m’a toujours plu. Je le lui ai dit, et il a très bien compris. Comme cela ne s’est pas fait, la presse anglaise n’a pas été tendre avec moi et je m’attendais à subir les conséquences de cette annonce. Mais le soir de la date limite des transferts en France, j’étais sur le terrain contre Newcastle, j’ai même eu droit à une ovation extraordinaire des supporters et j’ai joué les matches suivants, à l’exception d’Arsenal.

Ranieri ne vous en a pas voulu?

Pas du tout. De toute façon, il prend ses décisions et ne donne jamais d’explication.

Avec Vialli, c’était différent?

Du temps de Vialli, je jouais systématiquement alors qu’au départ il m’avait dit clairement qu’il ne comptait pas sur moi. Donc…

Vous êtes blindé?

Oui, depuis tout jeune. Je n’attends rien, je ne compte que sur moi et j’essaie de franchir les obstacles qui se dressent. Mon parcours m’y aide, mais j’aurais préféré que ce soit plus facile. Alors que j’attendais la réponse de Monaco, je me disais : -Ce n’est pas possible. Ça va encore traîner. Et ma femme m’a ramené sur terre: – Frank, tu n’as toujours pas l’habitude? Est-ce qu’une seule fois cela a été facile? Après Laval, je devais aller au PSG ou à Cannes, et je me suis retrouvé à Strasbourg en D2. Ensuite, ce club ne voulait pas me laisser partir pour Chelsea. Chaque fois, cela a pris du temps.

Mais vous avez désormais un tout autre statut!

Ce n’est pas forcément plus facile. Quand on approche de la fin de carrière, les gens réfléchissent à deux fois avant de vous engager. Je ne me suis jamais dit que tout m’était dû en tant que champion du monde et d’Europe. Moi, je sais ce que je vaux, je vois ce qui se passe, et je me dis qu’à Monaco j’aurais pu aider.

Comment expliquez-vous les résultats décevants de Chelsea?

C’est super à domicile et catastrophique à l’extérieur. Je ne sais pas pourquoi. On a des joueurs matures, l’expérience pour ne pas subir. On espère accrocher une place en coupe d’Europe, car disputer l’Intertoto serait une mauvaise chose dans une saison qui se terminera par la Coupe du Monde. Il faudra être intelligent. On sait qu’on est payé par le club, mais je me souviens de ce que disait Aimé Jacquet: -Il faut toujours avoir une pensée pour son équipe nationale. Enfin, quand on subit la pression de son club, on est bien obligé de jouer.

Un échec provoquerait des remises en cause?

Certainement, même si je ne sais pas dans quelle mesure. L’année prochaine devra être une saison de succès. Il y a quatre ans, Chelsea vivait sur ses souvenirs, mais le club ne peut plus se retrouver deux saisons d’affilée sans rien.

A quoi attribuez-vous la violente campagne dont vous avez été victime en Angleterre, notamment via un site Internet?

Beaucoup de facteurs font que certaines personnes ne m’aiment pas. Je suis certainement à blâmer sur le geste que j’ai commis, l’année dernière, en marchant sur un joueur à Leeds. J’ai admis ma faute. Ensuite, on a voulu faire croire que j’avais été à l’origine du limogeage de Vialli. Pourtant, une semaine avant, les journaux tiraient à vue sur lui et l’ont encensé le lendemain. Je me suis senti très puissant à ce moment-là: moi, Frank Leboeuf, j’étais à même de virer un entraîneur. Ensuite, il y a eu mon faux départ pour Monaco. Enfin, il ne faut pas oublier que j’écris depuis trois ans pour le Times, et ça ne plaît pas forcément aux tabloïds. Je ne communique que par ce biais ou via mon site Internet. Ma plus grosse erreur, à mon arrivée, a été de croire que je pouvais communiquer normalement avec la presse et je me suis rendu compte qu’il valait mieux faire comme Fabien Barthez. On n’a pas vu une interview de lui depuis son arrivée, et il s’en porte très bien. Quand on ne sait rien, on ne dit rien.

Vous mettez cela sur le compte de la jalousie?

Il y a des personnes peu intelligentes qui croient toujours être à l’époque de Napoléon, que les Anglais et les Français se détestent. J’ai même été convoqué par Tony Blair pour assurer la population en plein affaire de la vache folle uniquement à cause de mon nom. Je me sentais mal à l’aise, un peu en danger aussi. C’était tellement ridicule.

Votre réputation d’ami des stars agace…

En France, on apprécie peu de me voir fréquenter des gens connus. Mais je suis là pour me faire plaisir. Londres est une ville où les personnalités ne manquent pas. C’est sûr qu’à Valence Didier Deschamps n’est pas dans la même situation. A part lui, il n’y a pas de star! Quand j’assiste à une soirée de charité, ma présence ne me rapporte pas un rond, c’est parfois même ennuyeux, mais je le fais pour ces causes, pas pour qu’on en parle dans le journal. De toute façon, on a brossé mon portrait une fois pour toutes: Frank Leboeuf, c’est le gars qui est chauve et qui fréquentera la jet-set jusqu’à la fin de ses jours. On a cherché à me descendre à la première occasion. Je ne crache pas sur la notoriété, je sais aussi qu’on peut se laisser parfois déborder.

Monaco, c’était aussi très jet-set.

Du reste, Ernst-August de Hanovre m’a téléphoné pour me demander quand j’arrivais. Plus sérieusement, à la mi-décembre, mon manager m’appelle et me demande si je suis tenté par Monaco. Il me dit qu’il a eu Campora, qui est très intéressé. Je n’avais pas prévu de quitter Chelsea, mais le challenge monégasque m’intéressait beaucoup. J’avais besoin de me sentir utile, d’être peut-être la petite pièce qui remettrait la machine en marche. Monaco a donc appelé Chelsea. Le directeur sportif, Colin Hutchinson, était en vacances et a un peu traîné, mais il appelle l’entraîneur, qui me convoque et me demande ce que je veux. Je lui explique, on se serre la main et il me souhaite bonne chance. Côté Chelsea, tout était OK. Les dirigeants avaient même proposé à Monaco de ne payer le transfert qu’en août. J’étais très heureux, et l’attente a commencé. On s’est beaucoup amélioré en puzzle, ma femme et moi. On a commencé par cinq cent pièces, on a terminé par des deux mille car le téléphone ne sonnait pas. Chelsea a été d’une correction, d’une gentillesse et d’un professionnalisme à mon égard que je dois souligner. Car, une fois l’échec consommé, tout a repris comme avant. Je ne cracherai jamais sur Chelsea. D’ailleurs, je n’irai jamais jouer dans un autre club anglais. Ailleurs, peut-être…

Pourquoi le transfert a-t-il échoué?

Tous les jours, les copains me disaient: -Tu es encore là? Panucci m’a téléphoné pour me demander quand j’arrivais. Et ça traînait, ça traînait… Je n’ai jamais su ce qui s’est passé. Après un mois et demi d’attente, le dernier jour du mercato, j’ai appelé Claude Puel, car j’avais entendu dire que Campora affirmait que l’entraîneur ne me voulait plus. Il m’a dit qu’il avait pris sa décision deux jours avant, car rien ne se faisait. Il avait dû trancher et rassurer ses défenseurs, ce qui est compréhensible. Je l’avais eu auparavant, on avait parlé tactique. Il souhaitait que je joue dans l’axe avec Christanval. C’était parfait. Mon regret est de ne pas avoir eu un contact direct avec Campora. Djorkaeff et Petit m’ont confirmé depuis qu’un transfert se fait quand on a le président en ligne. Je ne l’ai pas eu, voilà. Je le regrette.

L’argent n’était pas un obstacle?

Il n’y avait pas de différend financier, comme me l’a confirmé de directeur général de Chelsea. On était d’accord sur l’essentiel. La rumeur d’un dédommagement de 62 millions de francs belges que j’aurais demandé à Chelsea, c’est une connerie. Il y a certainement eu des problèmes de communication entre Campora et moi, Campora et Puel, et peut-être avec le directoire. Ça a perturbé ma vie privée et publique. On n’avait pas besoin de ça. Quand on a envie de quelqu’un, on fait tout pour. Peut-être qu’ils n’avaient pas tant envie de moi. C’est dommage, mais ça ne condamne pas un éventuel contact futur.

Cet échec vous a-t-il refroidi pour un éventuel retour en France?

Je ne suis pas contre un retour en France. On place les clubs italiens, anglais et espagnols largement au-dessus des clubs français, mais PSG a fait jeu égal avec Milan, de même que Lyon contre Arsenal et Bayern. La qualité est là, mais c’est une période de renouvellement. La France cherche des stars. Elles sont très jeunes, et beaucoup vont échouer car on attend sans doute trop d’elles et trop vite. Beaucoup vont échouer aussi aux portes de l’équipe de France ou n’y faire qu’un passage éclair, car ils n’auront pas compris le système des Bleus.

Comment abordez-vous les quatorze mois qui vous séparent de la Coupe du Monde?

On essaie de vivre au jour le jour, mais il va falloir se préserver. La saison prochaine risque d’être très longue, et il faudra être très attentif. La récupération sera essentielle pour ne pas arriver sur les genoux au Mondial. Ce n’est pas simple, car il ne faut pas dédaigner son club.

Lors de France-Allemagne, Roger Lemerre a effectué quelques essais défensifs avec Sagnol et Silvestre. Ce secteur peut-il évoluer?

Roger connaît très bien le groupe de défenseurs, mais il doit prévoir des remplaçants. Les postes devront être doublés, et les essais sont indispensables. L’important, ce ne sont pas les décisions prises par Roger, mais l’acceptation de ces décisions. Le jour où je sentirai une hésitation de sa part à mon sujet, que sa confiance ne sera plus totale, j’irai le voir pour lui souhaiter bonne chance et lui dire au revoir. Et je serai le premier supporter de l’équipe de France. Ce qui nous a fait grandir et gagner, c’est justement cette reconnaissance du groupe comme l’élément déterminant.

Vous vous sentez désormais dans la peau d’un titulaire?

Je n’ai jamais voulu me sentir en sécurité, car c’est dangereux. On m’a fait confiance pendant quatre ans, et il aurait été étrange de ne plus le faire à partir du moment où Laurent Blanc partait. L’important, c’est ce que le sélectionneur, le staff technique, les joueurs te disent ou te montrent. A aucun moment je n’ai eu l’impression qu’ils avaient peur. Je ne me pose aucune question sur cette confiance, et ce ne sont pas les procès d’intention qui remettent quoi que ce soit en cause. A trente-trois ans, j’ai suffisamment de recul.

Patrick Sowden, ESM

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