La France blafarde

Depuis un an, les malheurs s’abattent sur les Bleus : affaire Ribéry, Coupe du Monde loupée, clash Anelka-Domenech et puis la bombe des quotas.

La France du foot a connu son annus horribilis, une année marquée par un sentiment de rejet vis-à-vis de son sélectionneur, Raymond Domenech et ponctuée par une Coupe du Monde catastrophique avec insultes et grèves à l’appui. Une année de purges et de sanctions vis-à-vis de ceux qu’on a qualifiés de racailles et de caïds immatures (copyright de Roselyne Bachelot). Avec en feu d’artifice une polémique sans fin sur l’affaire des quotas. Le football français, vecteur d’ouverture sociale et d’intégration, s’est découvert raciste à l’instar d’une société où la présence de l’extrême droite au deuxième tour de la prochaine élection présidentielle n’est plus une utopie et où les thèmes du FN ont contaminé jusqu’à la majorité. Mais comment cette France 98 black-blanc-beur s’est-elle crashée ?

Juillet 1998 : la France de Lionel Jospin est une France gagnante, victorieuse de sa première Coupe du Monde. Des Champs-Elysées noirs de monde avec le portrait de Zinédine Zidane, héros national, projeté sur l’Arc de Triomphe. C’est le triomphe d’un mélange de Blacks ( Lilian Thuram, Marcel Desailly ou Christian Karembeu), de Beurs (Zidane) et de Blancs ( Laurent Blanc, Didier Deschamps, Bixente Lizarazu ou Fabien Barthez). Le foot devient un modèle d’intégration réussie au sein d’une société française critiquée pour ces banlieues poudrières.

 » On a exagéré avec cette image d’intégration réussie « , explique l’ex-Bleu de cette époque Emmanuel Petit.  » C’est vrai que les résultats exceptionnels ont soudé ce groupe mais avec le recul, on doit bien admettre la thèse de la génération exceptionnelle. Sans doute que l’émergence des centres de formation a permis de structurer le foot français mais sans un joueur exceptionnel comme Zidane, aurions-nous réalisé de tels résultats ? »

La réussite, renforcée par le titre de champion d’Europe 2000, va freiner l’évolution du foot français. Tout le monde se repose sur ses lauriers et la fin de cette génération va marquer un recul progressif. En 2002, la France est éliminée précocement. Même déception à l’Euro 2004.

 » L’accession à la finale de 2006 a complètement occulté certaines réalités « , explique l’ancien joueur et consultant Jean-Michel Larqué.  » Du jour au lendemain, on a cru que Domenech était devenu un très bon entraîneur. Or, cette finale, on la doit un peu à la chance car on a failli ne pas passer le premier tour, et surtout au retour de la génération 98 qui vivait son chant du cygne. Ce n’était pas Domenech qui dirigeait mais les tauliers comme Zidane, Patrick Vieira, Claude Makelele, Willy Sagnol et Thuram. Ils ont réussi à fédérer les énergies et faire le pont entre les générations. Une fois partis, il n’y avait plus rien.  »

Effectivement, sans cette génération à la retraite, plus personne n’a été capable de prendre cette équipe à bras le corps. Cependant, la pression des résultats et le statut de vedette généré par les victoires de 1998 et 2000 étaient toujours bel et bien présents.  » Personne n’a su ajuster le tir « , continue Larqué.  » Ni les médias qui voyaient toujours dans leur équipe de France une machine de guerre. Ni la Fédération qui négociait toujours à la hausse les contrats publicitaires en oubliant sa mission première de formation. Personne non plus n’a su dire que l’équipe de France avait perdu de la qualité et qu’il fallait donc insuffler un esprit nouveau. « 

La France était lancée dans une spirale infernale. La génération 1998 était une génération de gagneurs mais également de gens éduqués et conscients de leur image. Pas de scandales en dix ans, pas de baisse de niveau.  » Ils se comportaient en vrais professionnels « , ajoute Larqué.  » Et c’est sans doute pour cette raison qu’ils ont accompli une telle carrière et que certains réussissent une brillante reconversion comme entraîneur. Ils savent inculquer des valeurs qu’ils ont toujours respectées. « 

 » Ce que l’été 2010 révèle, c’est la faiblesse morale des joueurs « 

Il y a un an, l’opinion publique, qui continuait à placer les footballeurs sur un piédestal, a été choquée par des comportements de starlettes. Cela a débuté avant l’été avec les révélations de l’affaire Zahia. Tout d’un coup, tout le monde se rendait compte que les idoles avaient des m£urs dissolues.  » Cette histoire a créé un terreau. Les gens se sont dit que les joueurs n’étaient pas comme ils pensaient, que les icônes aussi avaient leur part d’ombre « , explique Vincent Duluc, journaliste à L’Equipe.

Franck Ribéry, dont le conte de fées avait été rapporté lors du Mondial 2006 dans toute la presse hexagonale quatre ans plus tôt, se voyait cloué au pilori. Finie l’image de Ch’ti Franck, le gars à la gueule cassée qui renvoyait au public sa propre image, le gars qui savait rigoler et ne se prenait pas la tête. D’un coup, il ne faisait plus partie du monde populaire, comme gangrené par l’argent, le strass, les paillettes et le sexe.

Quand commence la dernière Coupe du Monde, la France est déjà brouillée avec ses idoles. Et même si elle ne demande qu’à vibrer, elle pressent déjà le carnage. Le 2 juin, dans un papier de présentation s’intitulant  » Pourquoi la France a peur ? », Sport/Foot Magazine dresse déjà un constat cinglant :  » La sélection des 23 n’a pas manqué de faire couler de l’encre. Et notamment l’absence de joueurs d’origine maghrébine. Pour la première fois, depuis l’Euro 92, aucun joueur issu de l’immigration nord-africaine ne fait partie du noyau. Oubliée la génération 98 que l’on a qualifiée de black-blanc-beur. Paradoxal quand on sait que la France n’a jamais sorti autant de joueurs beurs talentueux. Jetés donc les Hatem Ben Arfa, Karim Benzema et Samir Nasri. Sacrifiés sur l’autel de la sacro-sainte vie en communauté, eux qui ont, soit bafoué les règles lors de l’Euro 2008 (Nasri et Benzema), soit traînent comme un boulet une réputation sulfureuse (Ben Arfa).  »

Les premiers coupables avaient été sacrifiés. Le football français devait s’en trouver purifié. Premier retournement de situation. L’intégration n’est plus qu’un vain mot. Mais ce schéma ne fonctionna pas et la France connaît son épisode footballistique le plus grotesque en Afrique du Sud. Sur le plan sportif, c’est la catastrophe avec une élimination au premier tour mais c’est encore pire en coulisses. Avec les insultes de Nicolas Anelka dévoilées par la presse, la recherche de la taupe par Patrice Evra et last but not least une grève des joueurs. Les hommes politiques s’indignent et l’opinion publique déchire les posters de ses idoles.  » Ce fut l’épisode le plus meurtrier du football français « , explique Duluc qui est revenu dessus dans un livre intitulé Le Livre noir des Bleus.  » J’avais le sentiment de vivre quelque chose d’inimaginable. Sur place, je trouvais que cela n’avait pas de sens. C’était une vraie pièce avec les premiers rôles, les seconds rôles, les sales types, les portes qui claquent.  »

Pour lui, la faute de ce fiasco est partagée.  » Domenech a fait le combat de trop et n’a pas su contrôler cette équipe de France. Il avait perdu de la légitimité à cause de ses mauvais résultats, parce qu’il était en fin de contrat, parce que Laurent Blanc avait déjà été annoncé. L’équipe de France a été dans le mur avec lui et pas malgré lui. D’un autre côté, faire de lui le seul responsable n’aurait aucun sens. Ce que cet été-là révèle le plus, c’est la mentalité et la faiblesse morale de ces joueurs, ces égos hypertrophiés, l’incapacité des leaders à diriger cette sélection. Cela révèle ce que sont les joueurs au XXIe siècle, à savoir des joueurs qui n’ont plus vraiment le sentiment d’équipe. Du moins les joueurs offensifs qui pensent naturellement à leur gueule, alors que chez les défenseurs, il y a encore ce sentiment de préserver l’équipe. D’ailleurs, en 1998 et 2000, les leaders se nommaient Blanc et Deschamps, des leaders défensifs qui pensaient aux autres. L’année passée, les leaders étaient offensifs, des joueurs plus occupés par leur statut et leur propre personne. De plus, il y avait un déséquilibre entre une défense qui n’avait pas le niveau mondial et une attaque qui l’avait mais jamais en même temps. Chacun voulait être le sauveur mais personne n’était prêt à servir l’autre. Dès le mois de février, lors d’un match amical contre l’Espagne, on avait vu que Ribéry, Thierry Henry et Anelka étaient incapables de jouer l’un pour l’autre. Et en plus, ils refusaient de collaborer avec Yoann Gourcuff. C’était donc perdu d’avance.  »

 » En Afrique du Sud, Anelka et Ribéry ont endossé le rôle de voyous. Le stéréotype de jeune de banlieue a fonctionné en plein « 

Face à Domenech démuni, les médias ont trouvé leurs coupables : les joueurs. L’Equipe épingle Anelka pour ses insultes. Le joueur déjà malaimé et qui vivait sa première Coupe du Monde à 30 ans devient le premier bouc-émissaire. D’autres comme Ribéry et Evra suivront.  » On a surtout reproché à Ribéry de venir sur le plateau de Téléfoot en tongs expliquer qu’il allait tout faire pour que la France ait une grande équipe alors qu’il savait que l’après-midi, il ferait grève « , lâche Duluc.  » Mais les plus dangereux étaient les leaders en sous-main, ceux qui poussaient les autres et qui, au dernier moment, se retiraient de la photo. Henry et Gallas. Henry n’a rien fait pour que cela se passe bien. S’il avait été capitaine et titulaire, il aurait interdit de faire la grève. Mais comme il était remplaçant, il s’en est lavé les mains. Il a tout fait pour qu’Anelka, son remplaçant, n’ait pas envie de jouer avant-centre. Anelka, il joue avant-centre à Chelsea et il ne dit rien. Par contre, en équipe de France, il râle car certains de ses amis l’ont convaincu que ce n’était pas sa place.  »

Pour le site internet Rue89, la chasse aux joueurs n’est pas anodine et sous-entend déjà une sorte de purification ethnique.  » Les joueurs de football français sont victimes d’une lente dégradation d’image dans le temps. De héros de l’immigration, ils passent à rebelles de banlieues. La ministre des Sports, Roselyne Bachelot, fustigeait le désastre d’une équipe de France où des caïds immatures commandent à des gamins apeurés, avec un coach désemparé et sans autorité, et une fédération aux abois. L’allusion aux banlieues comme des territoires de non-droit, abandonnés aux mains de bandes menaçant les paisibles Blancs, et où il faudrait rétablir l’ordre est limpide.  »

Le site continue en disant qu’après avoir évincé Nasri et Benzema, on s’en prend à Anelka et Ribéry,  » les deux musulmans déclarés de l’équipe qui endossent le rôle de voyous. Le stéréotype du jeune de banlieue fonctionne à plein. « 

La mutinerie de Krysna va laisser des plaies ouvertes et surtout montrer que le symbole black-blanc-beur a volé en éclats. Pendant des semaines, la France va s’offrir un déballage sur la place publique. Chaque geste sera disséqué, chaque joueur sera pourchassé pour donner sa version. Blanc, nouveau sélectionneur, reçoit un cadeau empoisonné. Il doit composer avec les sanctions exigées et obtenues et doit louvoyer entre diplomatie et sévérité. C’est pour cette raison qu’il choisit d’exclure tous les mutins de sa première liste pour le match amical contre la Norvège. Certes, il part avec une énorme cote de sympathie et ne peut pas faire pire que son prédécesseur mais il est face à une tâche compliquée de réunification, et de pardon. Le tout en obtenant résultats mais également avec la manière. Il ne peut proposer un jeu trop défensif ni endormant sous peine de faire ressurgir du placard le fantôme Domenech.

Heureusement, Blanc peut compter sur un faible groupe dans les éliminatoires du prochain Championnat d’Europe. Du coup, il a même le loisir de se permettre deux défaites d’affilée sans que sa tentative de réhabilitation et de séduction ne vacille.  » Domenech n’avait pas réussi cette synthèse des générations « , continue Duluc.  » Après l’échec de 2008, il avait tiré une leçon : les générations ensemble, cela ne fonctionne pas, donc je vais virer les jeunes. Mais cela n’a pas plus fonctionné en 2010. Blanc construit sur des ruines et a pris une nouvelle génération car lui n’avait pas le choix. A part Abidal, il n’a plus de vieux, de gars comme Gallas et Henry capables de faire la synthèse entre les générations. C’est pour cela qu’aujourd’hui un gars comme Florent Malouda est un peu décalé par rapport à cette équipe de France.  »

L’affaire des quotas, dernier exemple d’un foot français devenu raciste

Depuis l’intronisation de Blanc, les pièges n’ont pas manqué. Deux défaites inaugurales, le retour progressif des bannis dans un groupe en pleine construction et jusque-là en pleine harmonie, et surtout un déficit d’image à combler. Désavoué, le football français se cherchait un nouveau guide. Il semblait l’avoir trouvé en la personne de Laurent Blanc. Semblait car l’ancien entraîneur de Bordeaux est tombé sur un os. Celui des quotas.

Lors d’une réunion informelle à laquelle la direction technique, représentée par le DTN François Blaquart, l’entraîneur des -19 ans, Francis Smerecki, celui des Espoirs Erik Mombaerts et Blanc, la question de la double nationalité fait débat. Alors que tout le monde se demande comment faire pour éviter que des joueurs possédant la double nationalité n’optent en définitive pour un autre pays que la France après avoir profité de la formation française, certains évoquent la possibilité de quotas, à savoir n’autoriser par centre de formation qu’un certain pourcentage de joueurs maghrébins ou de Noirs possédant la double nationalité. L’intégralité des propos tenus lors de cette réunion est retranscrite par le site internet Mediapart. Les déclarations du DTN choquent mais celles de Blanc aussi.

Lui d’habitude si intelligent et diplomate lance :  » Qu’est-ce qu’il y a actuellement comme grands, costauds, puissants ? Les Blacks. (…) Les Espagnols, ils m’ont dit- Nous, on n’a pas de problème. Nous, des Blacks, on n’en a pas.  » Alors que la Fédération Française de Football tente de repenser sa formation qui a abouti à un jeu stéréotypé et physique et à la mise à l’écart des petits gabarits, elle tombe finalement dans le piège raciste. L’opinion publique s’émeut mais aucune des personnes présentes à cette réunion ne sera sanctionnée. Pas plus que le président Fernand Duchaussoy qui n’était au courant de rien. La génération 98, caution morale du foot français, monte au créneau mais se déchire. Certains défendent Laurent Blanc, victime d’un malentendu, d’autres comme Thuram et Vieira trouvent ces propos intolérables. Le dernier symbole de la victoire de 1998 (les joueurs) se désagrège.

Le site Rue89 va plus loin, dénonçant même la remise en question de la double nationalité :  » Pour beaucoup de joueurs, le football est un moyen de quitter une condition sociale plus que modeste. Blanc distille malgré lui le thème lepéniste du traître à la nation, critiquant l’attachement symbolique, affectif voire carriériste à une seconde patrie.  »

Un an après Krysna, le football français n’a toujours pas réussi sa mue. L’arrivée de Blanc a apporté un nouvel élan, une nouvelle communication et même une nouvelle vision. Après avoir longtemps donné le ton en matière de formation, la FFF s’est rendu compte de l’essoufflement de son modèle et a regardé les politiques qui fonctionnaient. Malheureusement, cette idée d’ouverture est apparue, suite à l’affaire des quotas, comme un repli identitaire, voire ethnique.

Mais où en est l’équipe nationale ? Difficile à dire. Blanc a très bien avancé, pas à pas. Il a réussi la réintégration des bannis, en ajoutant de nouveaux noms synonymes de fraîcheur. Mais il ne cache pas que le chemin reste long. Il a admis que ses Bleus ne faisaient plus partie de l’élite du football. Néanmoins, les éliminatoires ont jusqu’à présent donné satisfaction malgré une défaite inaugurale contre la Biélorussie et un match nul face à cette même équipe récemment.

 » Cette histoire de quotas aurait pu le dévaluer « , conclut Larqué.  » Ce n’est pas le cas. Il avait retrouvé sa sérénité lors de la tournée en Europe de l’Est. Son équipe tient la route. Son système de jeu propose de belles séquences mais on sent malgré tout que l’équilibre est fragile et les médias se raccrochent au moindre espoir. Il suffit de voir le buzz alimenté par la première sélection (et les deux buts) du jeune Marvin Martin que l’on compare déjà à Zidane.  »

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: REPORTERS

 » Les joueurs de football français sont victimes d’une lente dégradation d’image dans le temps. De héros de l’immigration, ils passent à rebelles de banlieues « . Le site Rue89

Désavoué, le football français se cherchait un nouveau guide. Il semblait l’avoir trouvé en la personne de Laurent Blanc mais celui-ci est tombé dans le piège des quotas.

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