« La force de Tiger, c’est son esprit »

Une des explications des succès de Woods est sans aucun doute la compétence de son coach.

En remportant début avril le dernier Masters d’Augusta, le golfeur américain Tiger Woods a remporté d’affilée les quatre tournois du Grand Chelem : US Open, British Open et USPGA Championship. Mais la série commencée en juin 2000 chevauchait 2001 et forcément, il n’y a pas Grand Chelem; ce dernier exigeant que les quatre tournois soient gagnés la même année civile. Ce que personne n’a jamais fait. Mais le nouvel exploit de Woods -le Tiger Slam- est également une grande première dans l’histoire du golf.

Le gaillard est un extraterrestre : rencontre avec son coach.

Vous êtes issu d’une famille des plus réputées au monde dans le milieu golfique, pouvez-vous en parler, à commencer par votre père?

Butch Harmon : Mon père n’était pas seulement un grand joueur mais aussi un grand enseignant, il a gagné les Masters en 1948. C’était un des visionnaires du golf dans sa façon d’enseigner, de gérer ses pro-shops et dans sa façon de combiner l’enseignement et les compétitions. Je crois qu’il était bien en avance sur son temps.

Vous avez trois frères et deux soeurs. Sont-ils tous impliqués dans le golf?

Oui, j’ai trois frères plus jeunes: Craig, Dick et Bill, qui font tous une très belle carrière. Puis, j’ai mon fils Claude Harmon III qui est responsable de tous les enseignants de mon école de golf. Mes deux soeurs n’ont aucun lien avec le golf.

Quelle est la plus grande leçon, concernant l’enseignement, que vous ayez appris de votre père?

Il y a deux choses que mon père m’a apprises. La première, c’est d’expliquer les choses simplement: c’est plus facile à comprendre pour les élèves. Ensuite, il faut rendre les leçons amusantes parce que le golf est un jeu difficile et plus les élèves s’amusent, plus il leur est facile d’apprendre.

Vous avez aussi joué sur le circuit professionnel, étiez-vous un bon joueur?

J’ai joué sur le circuit de 1969 à 1971 sans beaucoup de succès mais j’ai quand même réussi à garder ma carte. J’ai aussi gagné un tournoi, le B.C. Open en 1971 qui, à l’époque était un tournoi satellite. J’ai aussi réussi le cut à l’US Open en 1970. Mais j’avais un trop mauvais caractère sur le terrain! C’est la raison pour laquelle je me suis toujours trouvé un peu en-dessous de la moyenne.

Pourquoi avez-vous commencé à enseigner, était-ce parce que vous n’étiez pas assez bon joueur?

J’ai toujours aimé enseigner le golf. J’ai donné beaucoup de leçons en tant qu’assistant pro avant de jouer sur le circuit et j’aidais mes amis sur le circuit. Rentré de la guerre du Vietnam en 1966, j’ai d’abord travaillé pour mon père à Winged Foot Golf Club à New York en 1967 et 1968. J’ai ensuite travaillé pour lui à Thunder Birds C.C. et en hiver à Palm Springs.

Vous avez aussi travaillé au Maroc pour le roi Hassan II…

Oui, j’ai été son professeur privé à partir de l’automne 1971 et j’y ai vécu jusqu’en 1975, puis je suis rentré aux Etats-Unis. Mais je retournais au Maroc durant l’hiver jusqu’en 1980.

De bons souvenirs je suppose?

Oh, extraordinaires! Le roi Hassan II était une personne exceptionnelle qui m’a beaucoup appris sur la vie.

Quand vous comparez les tout bons joueurs du moment avec le top des années 50-60, dans quels aspects du jeu se situe la grande différence?

Je crois qu’il y a eu progrès à tous les niveaux mais les joueurs du moment sont plus forts physiquement et mentalement. Ils font plus attention à leur alimentation et s’entraînent physiquement. Même à l’époque où je jouais, on ne considérait pas l’entraînement physique comme important et on se faisait aider mentalement au bar par Jack Daniels ( il rit). Ils sont aussi le produit d’un bon système car l’enseignement est bien plus performant maintenant qu’il ne l’était à l’époque. Si vous observez les plus jeunes joueurs du moment, leur technique est bien meilleure, leurs bases sont nettement plus solides. Il y a aussi beaucoup plus de joueurs maintenant qu’il y a 50 ans, ce qui rend la concurrence plus ardue. Je crois que ces trois points représentent probablement la plus grande différence entre les années 50-60 et maintenant.

Ben Hogan ou Jack Nicklaus, jouant à leur plus haut niveau avec les balles et clubs de leur époque, pourraient-ils encore rivaliser avec les meilleurs joueurs d’aujourd’hui?

Je crois qu’ils seraient aussi bon que les joueurs du top. Ces joueurs-là seront toujours d’excellents joueurs et si vous leur donniez un équipement moderne, je pense qu’ils seraient même meilleurs que le top d’aujourd’hui.

Justement, en parlant du matériel, à quel point a-t-il influencé le jeu?

Il est devenu trop influent sur le jeu. Avec les bois en métal, la balle va plus loin et plus droit. Mais plus important encore, c’est la balle qui a tellement changé, qui est devenue très performante : on peut la frapper loin et la travailler autour des greens. Sans oublier l’agronomie du terrain. Les parcours sont dans de bien meilleures conditions et les surfaces sur lesquelles ils jouent et puttent sont en général en parfait état. Pour en revenir au matériel, les joueurs testent dorénavant parfaitement leur matériel. Grâce à l’ordinateur, ils peuvent voir à quelle vitesse part la balle, l’angle d’attaque et l’effet de la balle. A partir de ces données, ils adaptent la flexibilité du shaft et le loft pour avoir des clubs tout à fait personnalisés ainsi que des balles les plus adaptées à leur jeu. Depuis que le jeu s’est tellement modernisé, on est pratiquement arrivé au point où il faudrait restreindre leur développement.

Sommes-nous arrivés à la limite?

Oh oui, je le pense sincèrement. Les gardiens des règles devront se mettre à table pour considérer ce problème. Surtout au niveau professionnel car avec l’apport de ce nouveau matériel, les joueurs sont devenus si puissants qu’ils arrivent à vaincre les parcours de golf.

Faut-il rendre les parcours plus longs ou plus étroits?

Je ne pense pas que rallonger un parcours de golf soit la bonne solution parce que c’est un avantage pour les joueurs qui frappent fort. Je pense plutôt que ce qui doit primer c’est la précision. Il faut créer un environnement dans lequel placer la balle sur le fairway puis sur le green devient le plus important. En d’autres mots, rétrécir les fairways, rendre les bunkers et les roughs plus difficiles, faire de plus petits greens et les rendre plus fermes. Je pense qu’à ce moment-là, on verra du très beau jeu.

Revenons un peu à l’enseignement, utilisez-vous souvent la vidéo?

Oui, je l’emploie tout le temps car c’est très important. Encore une des choses qui ont changé dans le golf : c’est une aide aussi bien pour l’enseignant que pour l’élève. Celui-ci prend mieux conscience de ce qu’il fait et c’est plus facile pour lui de corriger son erreur.

Y a-t-il des cas où vous ne l’employez pas?

Quand je vais aux tournois je ne l’emploie pas avec mes joueurs professionnels, je l’emploie ici dans mon studio. Très souvent les joueurs professionnels sont trop analytiques et veulent détailler tout ce qu’ils font. En tournoi, ce n’est pas idéal. A part cette exception, je l’emploie tout le temps.

Que faut-il selon vous pour être un bon joueur?

Savoir bien frapper sur la balle est une chose mais il faut aussi être mentalement fort et intelligent, savoir quoi faire sur le terrain. Il faut connaître son système nerveux et savoir comment le contrôler sous pression. Il faut connaître ses propres capacités, savoir ce que vous êtes ou pas capable de faire. N’essayez pas de faire des choses impossibles et vous deviendrez plus réguliers. Ceci est valable à tous les niveaux de jeu.

Que faites vous en dehors de vos leçons?

J’ai deux écoles de golf qui me prennent beaucoup de temps. L’une est à Las Vegas et l’autre aux Bahamas où je donne 31 stages de golf par an. Je travaille pour Sky Sports avec qui je couvre 7 événements par an. C’est quelque chose qui me plaît énormément. J’anime aussi 10 stages de formation pour des sociétés et le temps libre qui me reste je le consacre à Tiger Woods.

Quand avez-vous commencé à travailler avec Tiger Woods?

Nous travaillons ensemble depuis le mois d’août 1993. Il avait alors 17 ans et nous avons connu depuis ce moment beaucoup de succès. Ce qui me rend bien entendu très fier! Nous sommes devenus de très bons amis et c’est très agréable de le voir grandir, non seulement en tant qu’excellent joueur mais aussi en maturité. Cela me donne beaucoup de satisfaction.

Quelle a été votre réaction la première fois que vous l’avez vu frapper la balle?

Waow, regardez-moi ce talent! Son swing ou ses coups n’étaient pas encore aussi solidement établis que maintenant mais il avait un mouvement tellement naturel! Je m’étais dit que j’aimerais bien avoir la possibilité de travailler avec lui un jour et heureusement j’ai eu cette chance. La suite, c’est de l’histoire.

Quelle est sa plus grande force?

Ce que l’on ne voit pas, son esprit. Je pense que mentalement, il est sans aucun doute le plus fort et, en plus, il a une énorme confiance en lui.

Après sa grande victoire au Masters en 1997 et après avoir établi toutes sortes de records, vous avez changé son swing, était-ce votre idée ou la sienne?

C’était son idée. Après avoir visionné les films du Masters, nous avons parlé de ce qu’il faisait et il me disait qu’il avait eu de temps en temps un problème de timing qui le mettait dans des situations difficiles. Il savait qu’il fallait procéder à des changements. Nous l’avons fait et il lui a fallu 18 mois avant qu’il ne se sente vraiment à l’aise avec son nouveau swing.

Maintenant que son swing semble si bon, que faut-il encore travailler?

Nous travaillons sur les progrès en général. Nous contrôlons constamment que tout ce qu’il fait est correct. Nous faisons en sorte qu’il soit sur la bonne voie et nous travaillons sur tous les secteurs du jeu et sur sa solidité.

Il est tellement sollicité! Comment gère-t-il son temps et son programme? Qui s’en occupe?

Il consulte son père mais c’est toujours lui qui prend les décisions finales, c’est lui le boss. Il est devenu très fort pour programmer ses tournois, son temps d’entraînement, son entraînement physique et le temps consacré à ses sponsors et aux médias. Moi, je ne m’occupe que de son jeu.

Combien de temps consacre-t-il à son entraînement physique et entraînement de golf?

Au moins deux heures d’entraînement physique par jour et le reste de la journée entraînement de golf. C’est un boulot à plein temps. Mais quand il n’est pas en tournoi, il aime beaucoup la plongée sous-marine qu’il pratique surtout aux Bahamas et se relaxe pour recharger ses batteries. Mais c’est rare qu’il passe une journée sans entraînement. Il n’y a que juste après les Masters qu’il prend quatre semaines de congé dont deux de repos total sans sortir ses clubs. Il en profite pour partir avec ses amis et s’amuser.

Quand devez-vous être à sa disposition?

Je le suis sur 12 tournois partout dans le monde et il vient à Las Vegas environ 6 ou 7 fois par an… ou je vais chez lui en Floride. Avant les tournois majeurs, je passe une semaine avec lui.

Jack Nicklaus a gagné 18 tournois majeurs dans sa carrière, le but de Tiger Woods est-il de faire mieux?

Jack Nicklaus est le meilleur joueur de l’histoire et Tiger est très motivé à l’idée de battre ses records. Ce n’est pas l’argent qui l’intéresse mais c’est de gagner le plus de titres majeurs possibles. Il réalise très bien que ça lui prendra beaucoup d’années et encore énormément de travail.

Quels sont les autres joueurs ou joueuses sur le circuit avec lesquels vous travaillez?

Je donne cours à Marc Calcavecchia, Darren Clarke, le jeune Australien Adam Scott, Jose-Maria Olazabal, Larry Mize. J’aide aussi Justin Leonard et bien d’autres encore mais pas de joueuses professionnelles pour le moment.

Y a-t’il déjà eu d’autres enseignants qui ont approché Tiger Woods?

Oui, dont un bien connu.

Comment avez vous réagi?

Je l’ai menacé en paroles mais en règle générale les pros se respectent.

Quelle est la joueuse à qui vous aimeriez bien donner cours?

Laura Davies parce qu’elle a le genre de personnalité qui me plaît, elle aime bien s’amuser.

Avez vous déjà rencontre le prochain Tiger Woods?

Je pense que les Australiens, Adam Scott qui a 20 ans (que je coache) et Aaron Baddeley, qui a 19 ans, sont certainement les deux meilleurs jeunes joueurs que j’ai vus depuis longtemps. Ils pourront bientôt rivaliser avec les meilleurs.

Que pensez-vous du golf européen?

Son top vaut celui des Etats-Unis. D’ailleurs, nous assistons toujours à des Ryder Cups très disputées. La seule différence, c’est que le circuit américain comporte plus de bons joueurs dans l’ensemble.

Quels sont vos projets pour le futur?

Ouvrir quelques écoles de golf en plus. Jusqu’à présent, les affaires marchent très bien et ma vie est très mouvementée. En Europe? Nous avons essayé au Portugal mais ça n’a pas marché. Toutefois nous ne perdons pas espoir de trouver un autre endroit, peut-être en Belgique ( il rit).

Quand pensez-vous vous retirer?

Jamais. Enseigner, c’est ma vie et j’adore ça. J’aurai 58 ans au mois d’août, je vais me remarier en septembre et ma fiancée a un petit garçon de 5 ans. Je vais probablement ralentir mon train de vie pour passer plus de temps avec eux mais je ne suis pas du genre à tout arrêter.

Quel est votre tarif pour un cours?

500 dollars l’heure…

Virginie Tanghe

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire