La fée CERTITUDES

Pierre Bilic

L’épouse de Gilbert est la gardienne, le libero et le meneur de jeu de son équipe familiale.

Le 21 mars est encore loin mais Joanne Bodart ne devra pas faire le grand nettoyage de printemps : tout est toujours pimpant, impeccablement rangé. Pas un grain de poussière n’échappe à son regard.

Pourtant, ce ne doit pas être un poème d’entretenir la belle et grande maison de Verlaine entourée d’arbres majestueux. Madame Bodart galope toute la journée à en perdre haleine entre les tâches ménagères, son mari et leurs deux enfants, Chloé (11 ans) et Tom (8 ans), qui ont leurs activités : école, natation, chant, tennis, football, modern jazz, etc. Le football dicte aussi le ton.  » Gilbert a des journées éprouvantes et, du temps d’Ostende, il se farcissait, quasiment tous les jours 500 longs kilomètres au volant « , dit-elle.  » Dangereux : les distances ont heureusement diminué depuis qu’il coache Alost. Le football dévore tout quand on le vit avec passion comme c’est son cas. Gilbert était à Bordeaux quand Tom est né. Il est revenu d’urgence en avion en apprenant l’immense nouvelle de la venue au monde de notre fils : une heure trop tard, hélas ! Il est vite reparti d’urgence car son club jouait à Metz. Tom avait onze jours à peine quand j’ai rejoint Gilbert à Bordeaux. Mon mari rentre souvent tard et il n’a guère l’occasion de mettre les enfants au lit. Cela lui fait mal et les enfants aimeraient que leur papa soit plus souvent là mais j’ai appris à me débrouiller seule, à m’adapter partout comme ce fut le cas en France et en Italie. J’aime les plaisirs simples mais nous n’avons même pas le temps de nous offrir de temps en temps un petit restaurant ou même une séance de cinéma. Le matin, c’est la course : je me lève dès 6 h 30 afin de préparer la maisonnée pour une nouvelle journée : le petit-déjeuner pour tous, conduire les enfants à l’école, revenir avec la presse francophone et flamande pour Gilbert. Je fais tout ce qui est possible afin que mon mari puisse se concentrer sur son métier. Il n’a aucun souci à se faire. Le soir, même quand il est tard, je l’attends et le repas est toujours prêt. Nous refaisons alors le film de la journée. J’ai ma part de mérites dans ses succès. Il le sait. Quand un sportif a des soucis sur le terrain familial, ce n’est pas aussi évident « .

Des racines polonaises

Fille d’Ans, Joanne puise peut-être son énergie dans ses origines belgo-polonaises comme la princesse Mathilde. Ses grands-parents paternels ont connu les problèmes de leur génération : la guerre, la déportation, des images proches de celles que le monde a revus avec effroi lors du 60e anniversaire du camp d’Auschwitz libéré par l’Armée Rouge, l’arrivée en Belgique pour une nouvelle vie. Comme tant d’autres familles polonaises, les Rudzik vivent l’exil tandis que les Soviétiques remplacent les Nazis dans leur pays.

 » La maman de mon papa parle encore français avec un accent slave « , raconte Joanne.  » A 35 ans, elle a perdu son mari qui trouva la mort dans un accident de la route. Elle a surmonté sa peine et s’est battue afin d’élever ses quatre enfants. Ce ne fut pas facile et elle l’a payé au prix de sa santé. J’adore mes deux grands-mères, Helena et Julia, même si je n’ai pas le temps de les voir aussi souvent que je le voudrais. Mon père était sapeur-pompier. Un jour, lors d’une intervention, il a préféré laisser son masque à un jeune et a été asphyxié par les fumées. Ses collègues l’ont sorti de ce mauvais pas. A l’extérieur, il n’a pas voulu prendre place dans le caisson à oxygène. Il pensait être assez solide. Ce n’est plus qu’un mauvais souvenir mais il a dû prendre du recul par rapport à son métier et vivre plus tranquillement « .

Si Gilbert est devenu un très grand gardien de but, son épouse aurait pu, elle aussi, parcourir beaucoup de chemin sur les terrains de sport. A 18 ans, avec deux copines de lycée, Carine Thoumsin et Michèle Schraepen, elle s’inscrit au club de handball de Bressoux.  » A l’école, j’avais tâté du volley et de l’athlétisme. Mais je préférais le handball qui est resté un sport très populaire dans la province de Liège, surtout chez les hommes. Bressoux militait alors en D2. Je jouais en défense : arrière central ou pivot en fonction des situations de jeu. J’adorais l’ambiance du club, le travail, l’esprit d’équipe, la ferveur que nous mettions à atteindre nos objectifs. Bressoux se rendait parfois à l’étranger, le plus souvent en Champagne, pour des matches amicaux. Je m’étais lancée dans ce sport sur le tard entre la fin de mes humanités et des études de comptabilité. Après quatre ans en D2, Bressoux a rejoint l’élite du handball féminin. Il y avait une énorme différence entre les deux séries « .

La famille avant le handball

Joanne oublie presque de signaler, par timidité, qu’elle joua plusieurs fois en équipe nationale de handball avant de déposer sa tenue. Gilbert la croise au Bois Saint-Jean où Joanne travaille dans le cadre des journées sportives. Tout va alors très vite. Un an plus tard, en 1993, les amoureux se passent la bague au doigt. Les enfants ne tardent pas à les rejoindre. A peine mariée, Joanne décide de renoncer au sport et à son job. Avec le recul, ses yeux cachent un peu le regret de ne plus pratiquer le handball.

 » Gilbert préfère que je reste à la maison « , dit-elle.  » Avec les enfants, c’est mieux, bien sûr. Mais, plus tard, quand ils auront pris leur envol, je ne suis pas sûre qu’il me sera possible de me réinsérer dans le monde du travail. A 38 ans, je suis déjà trop vieille. On verra. Pour un joueur ou un entraîneur, il est important que son épouse puisse tout régler rapidement en cas de changement de club. Ce fut le cas quand nous nous sommes retrouvés en France et en Italie où nous avons visité plusieurs fois Venise et d’autres coins charmants. Notre fille en a gardé un bel héritage : elle parle couramment italien. Un jour, Gilbert aura certainement la possibilité d’entraîner un club italien « .

En attendant, la fée du logis fait passer la famille avant tout. Tom empile les buts avec les Diablotins de Verlaine mais pas question pour ce solide garçon de devenir gardien de but comme son père et son grand-père. Chloé, elle, évoque de plus en plus son envie de jouer un jour au volley, comme sa maman autrefois, et de s’affilier à Villers, un club de la région. Les enfants Bodart ont de qui tenir.

Pierre Bilic

 » J’ai MA PART DE MéRITES dans ses succès. Il le sait  »

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