La différence, c’était BOSKAMP

Il y a 40 ans, le Racing White Daring de Molenbeek remportait le titre au nez et à la barbe d’Anderlecht. Le président des Coalisés, Jean-Baptiste L’Ecluse, parlait alors de construire des immeubles au Parc Astrid. Mais au lieu de s’écrouler, le voisin anderlechtois est encore devenu plus grand.

Les prémices. Ils font partie de mes plus vieux souvenirs footballistiques. Par une chaude après-midi de mai, je me trouvais sur la pelouse d’un champion, des fleurs à la main. Un petit garçon, pour une fois de l’autre côté des grillages. Le RWDM comptait un club de supporters dans mon village, et celui-ci fêtait ses héros. J’ai vu Jan Boskamp de tout près ! Il existe une photo de la scène, mais elle est sans intérêt. Les vrais héros étaient Nico De Bree, Eric Dumon, Gérard Desanghere, Kresten Bjerre, Maurice Martens, Benny Nielsen, le blond Rotterdammois, Odilon Polleunis, Eddy Koens, Willy Wellens et Jacques Teugels. Des noms qui apparaissaient à côté des points rouges, sur le marquoir emblématique du stade Edmond Machtens, à un jet de pierre du grand Anderlecht, qui n’avait terminé que troisième. Entre les deux, il y avait l’Antwerp.

La genèse

Un bel appartement à la périphérie de Bruxelles. C’est ici qu’habite Eddy Koens, l’ailier droit. Depuis son living, il a vue sur le jardin du château de Sterrebeek.  » Merci de me le rappeler : cela date effectivement déjà de 40 ans, cela ne nous rajeunit pas…  »

Koens :  » J’étais arrivé au stade Edmond Machtens en provenance du Racing White, comme 90 % de l’équipe championne. Seul Dumon était du Daring. Le Racing White avait une bonne équipe, mais pas de public, et n’était pas soutenu par la commune de Woluwé. A Molenbeek, où jouait le Daring, ce soutien communal existait bel et bien.  »

Si le Racing White avait une bonne équipe, c’était grâce à… Anderlecht. Le Sporting voulait s’offrir Jean Dockx au début des années 70. En échange, il avait proposé deux jeunes joueurs : Desanghere et Martens. Le Racing White voulait aussi, en échange, Jacques Teugels. Aussi, Anderlecht racheta-t-il cet espoir, issu de son école de jeunes, à l’Union, afin de l’inclure dans la transaction. Une somme d’argent avait été ajoutée, que le duo de dirigeants JeanGoorisHenriMabille mit à profit pour s’attacher les services de Koens, convoité par… Anderlecht.

 » Robbie Rensenbrink à gauche, moi à droite et Jan Mulder au centre : c’était le projet de Constant Vanden Stock. Mais Saint-Trond a insisté pour que je parte au Racing White, qui proposait Fons Haagdoren, plus trois millions de francs belges (75.000 euros). On m’a invité à me rendre dans un café de Louvain pour signer.  »

Koens est parti, mais sans beaucoup d’enthousiasme.

Desanghere s’est établi à Borchtlombeek, pas très loin d’Anderlecht, où il a été formé. Desanghere, songeur :  » Renforcer un concurrent direct : Anderlecht ne commettrait plus cette erreur aujourd’hui. Mais… Woluwé, c’était loin à leurs yeux. Il n’y avait pas de public là-bas, pas de cafés aux alentours, et le stade était désuet et désert.

Lorsque la fusion s’est faite, leur regard a soudain changé : nous jouions à trois kilomètres du Parc Astrid. Et le public a répondu à l’appel : jusqu’à 30.000 personnes. C’était une équipe fantastique… Anderlecht avait produit beaucoup de bons jeunes, mais tous du même niveau… et pas celui souhaité du côté de Saint-Guidon.

J’étais l’arrière droit de la Réserve, GeorgesHeylens était celui de la Première. Martens devait faire face à la concurrence de JeanCornelis, c’était compliqué aussi pour lui. Mais cela reste des souvenirs inoubliables : pouvoir s’entraîner avec JanMulder et PaulVanHimst… Mulder n’était pas commode. Lorsque vous ne le serviez pas convenablement, il vous le faisait savoir. Lui, un romantique ? Mon oeil ! Il était tout sauf ça.  »

La structure

Koens :  » Le président Jean-Baptiste L’Ecluse injectait l’argent dans l’équipe. Il a construit des immeubles Amelinckx dans toute la commune de Molenbeek, mais il n’y connaissait rien en football… L’homme possédait un château, et parfois il nous emmenait à la chasse. On se retrouvait avec une arme en mains… Tire lorsque tu vois quelque chose qui bouge, nous criait-on… La fusion… (ilrit) Deux présidents, lui et Jean Gooris…  »

Jacques Teugels, qui s’est reconverti en fournisseur de matériel pour cafés :  » Cette fusion ?… Tout était en double : les présidents, les vice-présidents… « . Koens :  » Deux managers : Michel Verschueren et EugèneSteppé… Lorsque vous étiez trop proche de l’un, l’autre vous cherchait des poux.  »

Desanghere :  » Il y avait trop de responsables. Maître JeanGooris prenait le plus souvent la parole, L’Ecluse ajoutait quelques mots. Mais, en coulisses, c’était bien lui le grand patron.  »

Teugels :  » L’Ecluse n’appréciait pas trop les gens du Racing White. Gooris devait toujours nous défendre.  »

L’équipe

La D1 comptait 20 équipes cette saison-là. Le RWDM a été sacré champion avec 61 points, 9 de plus que l’Antwerp et Anderlecht. Il n’a subi que deux défaites : contre Diest et le Cercle Bruges. Il a inscrit 92 buts en 38 matches et avait une différence de buts de +53.

Desanghere :  » Bjerre et moi jouions en défense centrale. Moi, toujours à gauche, le côté de Maurice (Martens). Il était très offensif, il avait donc besoin d’être épaulé par quelqu’un de rapide. Bjerre était plus calme et meilleur à la relance. Peu importe que je n’étais pas très à l’aise dans le trafic aérien : Nico (De Bree) prenait quand même tout. Lorsqu’il criait ja, on s’écartait.  »

Koens :  » Bjerre était très costaud et très endurant. Lorsque nous allions à l’entraînement, il s’était déjà tapé dix kilomètres au Bois de la Cambre. Nous sommes toujours restés en contact, jusqu’à sa mort. Chaque année, il venait chez moi, et j’allais chez lui. Un jour, sa femme m’a expliqué qu’il ne pouvait pas venir. Je pensais qu’il était grippé, j’ai promis de rappeler la semaine suivante. Lorsque je l’ai eu au bout du fil, il était en pleurs. Sa femme m’a dit qu’il était en phase terminale. Nous étions en octobre ou novembre. Il est décédé en février 2014. Un gars fantastique. Et un bon homme d’affaires. Au club, on m’a un jour révélé qu’on devait même lui payer ses rideaux ! Au Danemark, il vivait dans une superbe villa, au bord de l’eau.  »

Koens :  » Dans l’entrejeu, on avait Polleunis. J’ai joué huit ans avec lui, d’abord à Saint-Trond. Il n’était pas très éloigné du niveau de VanHimst. Boskamp a toujours soutenu que c’était le meilleur avec qui il ait jamais joué. Lon savait exactement à quel moment vous alliez vous engager en profondeur. Et c’est à ce moment-là qu’il vous envoyait le ballon…  »

Desanghere :  » Polleunis appréciait les montées de Martens sur son flanc. De ce fait, il ne devait pas trop courir. C’était un footballeur très sous-estimé. Sa malchance : il n’a joué qu’à Saint-Trond et au RWDM, jamais dans une équipe comme Anderlecht, Bruges ou le Standard. Nielsen adorait jouer en possession du ballon. Toujours un peu trop gros, un peu paresseux. Il n’était pas un fanatique de l’entraînement. Mais un joueur fantastique.  »

Koens :  » Devant, nous étions tous les trois très rapides.  »

Desanghere :  » Wellens était jeune. Beau gosse, les cheveux longs. Mais les leaders, c’étaient tout de même Eddy et Jacques. Leurs envois étaient toujours cadrés. Un don. Eddy avait aussi les cheveux longs. C’étaient les années 70….  »

Mon ami Jan

Mais la différence, c’était son ami Jan qui la faisait.

Koens :  » Jan (Boskamp) est arrivé en 74. C’était la pièce qui manquait à l’édifice pour devenir champion.  »

Desanghere :  » Je le considère comme le transfert du siècle. Au début, il était totalement inconnu. Il venait de l’étranger, personne ne s’y intéressait. Ce n’était pas comme aujourd’hui. Au départ, Boskamp était un joueur parmi les autres, mais lorsqu’il est entré en action, on a vite vu la différence. Il nous a appris à nous entraîner. Notre condition physique, nous la devions à Boskamp. Nous ne faisions jamais de longues courses, jusqu’à ce qu’il en prit l’initiative.  »

Koens :  » A l’époque, un footballeur gagnait mieux sa vie en Belgique qu’aux Pays-Bas. Je pouvais avoir plus à Saint-Trond qu’au PSV ! Du noir, évidemment. Le fisc n’avait pas encore mis son nez dans le football. Enfin : certains payaient peut-être des impôts, mais bon… A Saint-Trond, nous étions payés par le contrôleur principal des impôts. Pouvez-vous imaginer ? Jan a apporté le rentrededans’. Tout le monde avait peur de lui.  »

L’entraîneur

Koens :  » Felix Week était un vrai Bruxellois. Lorsque vous lui disiez que vous alliez dîner au restaurant, il vous conseillait directement quelques bonnes tables. Mais il était trop gentil pour une équipe du top. Felix était un ancien gardien d’Anderlecht et avait un jour encaissé dix buts contre Manchester United. Nous le chambrions souvent : Trainer, parlez-nous decematchC’était Manchester United ou Winchester United ?Piet de Visser lui a succédé. Un personnage, lui aussi. Jan, un roublard, avait demandé un jour : Trainer, nousn’avonspasbiencompris, pouvezvousnousmontrerl’exercice ? Piet n’en était pas capable, il n’avait pas la technique nécessaire.  »

Teugels :  » Pauvre Week, Dieu ait son âme. Un peu naïf. Un bon entraîneur, mais pas pour une équipe composée de vedettes. Je compare cela aux entraîneurs du FC Barcelone ou du Real Madrid. Que peuvent-ils enseigner à Lionel Messi ou Cristiano Ronaldo ? Le mercredi, nous avions congé, car il fallait libérer le terrain pour les jeunes. Et le jeudi, nous jouions souvent un petit match amical contre une équipe de Provinciale. C’était un bon vivant, il aimait la bonne chère. Lorsque nous avons joué un match de Coupe d’Europe à Stavanger, il connaissait mieux les différents poissons que le style de jeu de l’adversaire. Un jour, il a placé une croix en trop sur le tableau lors d’une discussion tactique. Nous l’avons laissé faire, mais après une demi-heure, Bjerre est intervenu : Trainer, nousallonsgagnerlesdoigts dans lenez. Pourquoi ? a demandé Week. Bjerre : ‘Sijecomptebien, nousjouerons àdouze’. Week n’était pas professionnel, il travaillait chez son oncle, dans une entreprise d’électricité.  »

Desanghere :  » Tous les Belges avaient encore un job en dehors du foot. Week ne nous accompagnait pas en mise au vert. Il arrivait après le boulot… C’était encore courant à l’époque.  »

Teugels :  » A Dundee, il est un jour entré dans la chambre, alors que nous jouions aux cartes. Nous étions tous en train de fumer : Polleunis, Martens et moi. Furieux, Week a ouvert la fenêtre et s’est écrié : ‘Etesvousprofessionnelsoupas ?’ Polleunis a répondu : ‘Trainer, nous prenonsnosvitamines. Cesoir, nousallonsgagner « . Et de fait : nous l’avons emporté. Lon s’est adressé à Week après le match : ‘Vousvoyez, Trainer, jevousl’avaisdit. Cesvitaminessontbonnespourlacondition  »

Desanghere :  » Un brave type. Tous les entraîneurs belges étaient pareils, à l’époque : UrbainBraems, UrbainHaesaert, Week… Cela a commencé à changer avec l’arrivée d’entraîneurs étrangers. On est devenu plus professionnels. Pour Week, cela s’est gâté lorsque Boskamp est arrivé. Il n’était plus le patron. Je n’oublierai jamais le premier entraînement. Nous étions réunis en cercle et nous devions danser le french can can. Lancer les jambes en l’air. Pour nous, rien de plus normal. Mais Jan s’y est opposé : Jenefaispascela, s’est-il offusqué. Week avait, certes, joué à Anderlecht, mais sa formation comme entraîneur était nulle. Jan avait côtoyé ErnstHappel à Feyenoord. Il ne cessait de répéter : EngagezHappeletnousseronschampionstroisfoisd’affilée.  »

Deux clans

Mais : tout n’était pas rose dans l’équipe.

Teugels :  » Il y avait deux clans : les Hollandais contre les Belges. Jan n’était pas avec les Hollandais, il était avec nous. Car Bjerre était avec l’autre groupe.  »

Koens :  » On ne s’en rendait pas compte, mais c’était bien Kresten contre Jan.  »

Desanghere :  » L’eau et le feu.  »

Koens :  » Jan était très direct. Grand, lourd, grande gueule, mais un bon gars. Mais pour une raison ou l’autre, ces deux-là ne pouvaient pas se sentir.  »

Teugels :  » Bjerre avait un contrat du Racing White. Après la fusion, ce contrat a été repris tel quel. Y compris les importantes primes en cas de titre. Jan pensait qu’il avait le meilleur contrat, mais celui de Bjerre était supérieur. Cela a commencé là.  »

Desanghere :  » Bjerre était le capitaine du Racing White. Le patron. Puis, Jan est arrivé. Un deuxième patron… Cela ne pouvait pas durer. Pour L’Ecluse, Jan était un Dieu, il pouvait tout se permettre. Jan a revendiqué le brassard de capitaine. On l’a attribué à Maurice, pour calmer les esprits. Maurice s’est parfaitement acquitté de sa tâche, c’était un homme intelligent. Mais Jan attendait son tour. Il avait son mot à dire sur tout : les transferts, les jeunes… Il était jour et nuit avec Robert (L’Ecluse). La bagarre passait inaperçue sur le terrain. Sur ce plan, c’étaient de vrais professionnels. Si l’un était libre, l’autre lui cédait le ballon.  »

Teugels :  » Plus tard, à Bilbao, ils en sont venus aux mains. Nous sommes sortis, avons bu quelques verres… Cela a dégénéré.  »

La célébration

Desanghere :  » Nous avons été champions à la maison, contre Ostende : 5-3. Sur le banc, ils étaient déjà occupés à ouvrir les bouteilles de champagne. Nous avons eu du mal à nous concentrer, sur la fin.  »

Koens :  » Pour moi, Kresten et Benny, la célébration fut décevante. Après le match, le terrain était noir de monde, le champagne coulait à flots… La BRT m’a demandé si je pouvais venir à l’émission Sportweekend. Kresten et Benny m’ont accompagné. Les autres sont allés au restaurant. Nous les avons rejoints plus tard, mais le patron a dit : Sorry, c’estcomplet. J’ai répondu : Pardon ? Nous sommes allés manger ailleurs avec les épouses. J’en ai beaucoup voulu à Fons du Pré Salé.  »

Teugels :  » Je ne m’en souviens plus. Ce dont je me rappelle, par contre, c’est que nous ne pouvions dire à personne où nous allions fêter le titre. Mais plus tard dans la soirée, des supporters sont quand même arrivés, sans pouvoir entrer. Curieux…  »

Koens :  » Après, nous sommes encore partis en cortège, depuis le stade, vers la maison communale. Nous avons transporté un cercueil, celui d’Anderlecht. Du folklore, car notre relation avec le Sporting n’était pas mauvaise. Précédemment, nous avions aidé les Mauves pour la conquête d’un titre. Si Anderlecht gagnait à Saint-Trond en fin de saison 1971-72 , et que nous faisions match nul contre le Club Bruges avec le Racing White, le Sporting était champion. Anderlecht a gagné. J’ai marqué après dix minutes, Bruges a égalisé aux alentours de la 80e minute. Notre gardien, Willy Tack, ne parvenait pas à capter un ballon. Nous le soupçonnions d’avoir été acheté, mais peu importe : Bjerre renvoyait tout. Nous avons fêté le titre avec les Anderlechtois. Constant Vanden Stock a payé les taxis.  »

Teugels (ilacquiesce) :  » Lorsque les deux matches étaient terminés, nous nous sommes rendus au Mustang. Les joueurs d’Anderlecht y étaient aussi. La rivalité, c’était pour les supporters.  »

Desanghere :  » Au point que beaucoup n’ont pas résisté à l’appel des sirènes voisines. Le premier à partir fut Verschueren. Plus tard, d’autres ont suivi. Les meilleurs, sauf Boskamp. Il recevait tout de L’Ecluse, que serait-il allé faire à Anderlecht ?  »

par Peter T’Kint

 » A l’époque, un footballeur gagnait mieux sa vie en Belgique qu’aux Pays-Bas. Du noir, évidemment.  » Eddy Koens

 » Happel voulait bien jouer aux cartes avec notre père, mais venir entraîner l’équipe ? Non.  » Robert L’Ecluse

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire