La dernière chance

Le nouvel attaquant du Standard reste sur cinq échecs d’affilée. Comment arrive-t-il toujours à rebondir dans des clubs ambitieux ?

« Je voudrais remercier le Standard qui a cru en lui « , dit Eric Depireux, l’agent de Luigi Pieroni. A chaque fois qu’on le croit sur une voie de garage, il aboutit dans un cercle ambitieux. Voilà à quoi ressemble la carrière de Pieroni depuis qu’il a quitté Auxerre. Une succession d’échecs retentissants mais avec toujours, dans la foulée, un nouvel employeur pour le repêcher.  » Rarement un joueur aura vécu aussi longtemps sur sa réputation « , annonce d’entrée Pierre Menès, chroniqueur attitré de Canal+.  » Certains mettent des années à se remettre d’une saison ratée et aboutissent très vite dans un club de Ligue 2. Laurent Bonnart, champion et titulaire avec l’OM, se retrouve sans contrat. A Valenciennes, Filip Sebo, qui a marqué six buts en deux ans et demi, soit le double du Belge, n’a toujours pas trouvé d’employeur. Or, il a quatre ans de moins ! Pieroni, lui, n’a jamais eu de mal à se recaser.  »

 » Vous me dites qu’il a signé au Standard ? Son agent est un magicien ! « , continue Stéphane Carpentier, spécialiste du Racing Club de Lens pour le journal La Voix du Nord. En France et en Belgique, on se demande toujours comment son manager arrive à le placer dans des clubs ambitieux.  » Il se rend compte que c’est un peu inespéré pour lui d’aboutir au Standard « , glisse d’ailleurs malicieusement Depireux.

Alors pourquoi autant d’intérêt ?  » Premièrement, il était international belge « , explique Richard Gotte, journaliste à La Voix du Nord et spécialiste de Valenciennes,  » Les clubs recherchent toujours un international. C’est quelque chose qui attire. Deuxièmement, il avait marqué des buts en Belgique. Il avait fini meilleur buteur du championnat et même si le football belge a peut-être perdu de sa splendeur, il n’en reste pas moins coté en France. Troisièmement, tous les clubs recherchent cette denrée rare : le buteur. Chaque technicien se dit que si Pieroni n’a pas fonctionné dans un club, c’est sans doute une question de confiance et qu’il suffit de lui redonner la confiance pour que la machine se remette en route.  »

 » Il ne faut pas non plus oublier qu’à Auxerre, il avait vraiment connu une période durant laquelle il était le buteur maison « , dit Loïc Folliot, journaliste à Ouest-France et spécialiste de Nantes. Voilà donc pourquoi pendant si longtemps, Pieroni a été courtisé. Malgré cinq échecs d’affilée : Nantes, Lens, Anderlecht, Valenciennes et Gand.

La descente aux enfers de Nantes

En janvier 2007, Pieroni prend sans doute une mauvaise décision.  » Sportivement, on a fait une erreur « , reconnaît Depireux.  » Sollicité de toutes parts, le couple a perdu un peu les pédales et on a privilégié l’aspect financier. « 

Las de ne pas être considéré comme un incontournable à Auxerre et sentant qu’il commence à stagner (trois buts en six mois), le Liégeois, qui a marqué 21 buts en deux ans et demi, veut changer d’air et prend la direction de Nantes pour 2,5 millions d’euros. Le début de ses ennuis.  » On savait avant qu’il ne signe que cela n’allait pas fonctionner « , explique Folliot.  » Tout le monde se demandait pourquoi Nantes avait acheté ce profil de joueur. Pieroni est un joueur de surface. Or, à Nantes, à cette époque-là, il n’y avait pas de joueurs de couloirs, ni d’animation sur les ailes, capable de lui fournir de bons centres. De plus, il est arrivé dans un contexte particulier, en pleine descente aux enfers du FCN. Lors de son premier match, il avait marqué d’emblée un but contre Nice. Tout le monde se disait que l’aventure commençait bien. Mais très vite, il est apparu un peu lent avec un manque de mobilité. Or, comme Nantes manquait de percussion et de vitesse sur les flancs, Pieroni semblait un peu perdu. Il ne correspondait pas du tout à ce dont le club avait besoin. « 

Au niveau sportif, le chaos régnait. Serge Le Dizet avait débuté la saison, avant d’être remplacé par Georges Eo qui, lui-même, cédera le relais, en fin de championnat, à Michel Der Zakarian.  » C’est le président de l’époque, Rudi Roussillon qui avait voulu la venue du joueur. Sa relation privilégiée avec Guy Roux avec lequel il avait évolué, avait facilité la venue de l’attaquant belge.  » Eo, alors aux commandes, avait salué ce transfert.  » Vu la situation du club, il se disait que cela ne pouvait pas être une mauvaise pioche.  »

Erreur. Après 44 ans au sein de l’élite, Nantes descend en Ligue 2. En 14 matches et 862 minutes sur le terrain, Pieroni ne trouve le chemin des filets qu’à une seule reprise : lors de son premier match.  » Il n’y avait pas d’identité de jeu et Pieroni constituait un pion parmi d’autres. Il a traversé sa période nantaise dans l’anonymat. Comme 90 % des joueurs de l’époque d’ailleurs. Ce n’est pas à cause de Pieroni que Nantes est descendu mais on peut dire qu’il constitue un des symboles des flops de cette saison-là « , estime Folliot.

Son contrat lourd le bloque à Nantes tout l’été et ce n’est qu’en août qu’il retrouve un employeur. Ce sera Lens.  » Nantes a constitué le plus gros contrat de sa carrière « , argumente Depireux.  » Cela a servi également de barème et lui a permis d’obtenir de bons contrats ailleurs. « 

A Lens, catalogué homme de Guy Roux

 » Il voulait se rapprocher de la Belgique pour des raisons familiales « , affirme Loïc Folliot. Et voilà comment l’attaquant est prêté un an à Lens.  » Pieroni est arrivé quelques mois après la nomination de Guy Roux au poste d’entraîneur « , raconte Stéphane Carpentier. Pourtant, dès le début, Pierioni éprouve des difficultés.  » Il était cramé et tenait rarement un match complet. Il jouait une mi-temps puis disparaissait. Physiquement, il ne tenait pas la route. Il était au taquet. « 

Très vite, Roux est dégagé et Pieroni mis de côté.  » Quand Roux est parti, les hommes qu’il avait amenés se sont retrouvés en bordure du groupe. Jean-Pierre Papin, le nouveau coach, a estimé qu’il n’avait pas le niveau et son seul coup d’éclat fut finalement d’avoir inscrit le but victorieux en Coupe de la Ligue contre le voisin de Lille.  »

Six mois de calvaire. Pas un de plus. Par la suite, Pieroni avoua que Lens n’avait pas été une réussite. Pourtant, en janvier, Anderlecht conclut un prêt de six mois. Retour en Belgique pour l’ancien meilleur buteur de la compétition.  » Je pense qu’il s’agissait de l’unique solution. Il n’était pas bien dans sa peau et un retour au pays était nécessaire « , explique Carpentier. Son bilan à Lens est maigrichon : trois buts toutes compétitions confondues.

Anderlecht, trois buts et puis c’est tout

En janvier 2008, Anderlecht n’est pas au top. Sixièmes du championnat après un départ difficile, les Mauves cherchent un attaquant de grande taille, capable de suppléer Nicolas Frutos souvent blessé. S’agissant d’un transfert hivernal, Anderlecht désirait quelqu’un capable de s’adapter très vite. Pas question d’un étranger. A l’époque pourtant, des voix s’élevaient déjà au sein du club et dans la presse sur les qualités de Pieroni.  » Luigi est-il un vrai buteur ? », titrait d’ailleurs un quotidien.  » Oui si on tient compte de ses statistiques à Mouscron et Auxerre. Non, si on regarde son bulletin en équipe nationale – un but en 20 sélections – et à Nantes et Lens.  »

A Anderlecht, il ne s’impose pas plus qu’à Nantes et à Lens. Onze matches (dont seulement deux comme titulaire), trois buts et quatre assists. Un bilan très mitigé. Aujourd’hui, Anderlecht refuse de s’exprimer sur le passage de Pieroni, preuve que le club n’en est pas très fier.  » Nous ne nous exprimons jamais sur les joueurs qui ne sont plus à Anderlecht « , se borne à dire David Steegen, le chef presse du club.

Pieroni, affecté par les graves problèmes de santé qui touchent son enfant, est perturbé.  » Je trouve qu’on a été très, très dur avec lui à Anderlecht « , défend Depireux.  » On l’a dénigré sans savoir. Or, là, il avait des circonstances atténuantes. « 

Une énigme à Valenciennes

Appartenant toujours à Nantes, Pieroni a brûlé quelques cartouches. Mais pas toutes. Valenciennes, convaincu par son entraîneur de l’époque Antoine Kombouaré, lui offre un contrat de trois ans et débourse 500.000 euros en juillet 2008.  » Il était sorti de la circulation et on a été très surpris de le voir resurgir à Valenciennes, surtout avec un aussi beau contrat « , se remémore Carpentier.  » Kombouaré a voulu tenter un pari. Il se disait que ce que Roux avait réussi, il pouvait le faire aussi. Il est pourtant très vite sorti du onze de base, puis de la feuille de match. Le pari avait foiré.  »

 » C’était un mec qu’on avait connu buteur, bon de la tête et qui savait garder un ballon « , se défend le président de Valenciennes, Francis Decourrière.

 » Il n’a jamais été vraiment mauvais. Comme pivot, il était intéressant. Quand il avait un ballon, il savait tirer au but mais on ne pouvait pas compter sur sa vitesse ni sur son volume de course « , ajoute Richard Gotte.  » Or, dans le système à un seul attaquant de Valenciennes, Kombouaré demandait beaucoup à ses avants. Comme dans tout le championnat de France, les attaquants doivent beaucoup défendre. Or, Pieroni ne l’a jamais fait. Dans le même genre de gabarit, on trouve André-Pierre Gignac mais l’attaquant de Toulouse est un monstre qui décroche et court beaucoup. Pieroni, lui, a un style plus vieillot. C’est un finisseur pur et dur. A Valenciennes, il a reçu peu de temps de jeu mais il trouvait facilement la cible. Le problème, c’est qu’il se procurait très peu d’occasions. Il me fait penser, un cran en dessous, à David Trezeguet, qui comme lui est tributaire des autres et n’est pas capable de participer au jeu. Or, comme à Valenciennes, Pieroni n’a jamais joué avec un grand passeur…  »

Pendant un an et demi, Pieroni va galérer.  » Je ne sais pas pourquoi cela n’a pas marché « , interroge Decourrière.  » Il avait pourtant un salaire conséquent, preuve que l’on croyait en lui. Tant Kombouaré que Philippe Montanier par après, comptaient sur lui. Est-ce le système ou la rapidité du jeu ? Est-il surcoté sur le marché français ? Je ne sais pas. Cela reste un mystère, une énigme pour moi.  »

C’est peut-être en dehors du terrain que se situait l’explication.  » Sa tête n’était pas totalement au football. Cela peut expliquer beaucoup. Parfois, il donnait l’impression de perdre patience aux entraînements et cela, on peut le relier à ses problèmes familiaux. C’est pour cette raison qu’il avait également opté pour Valenciennes, et un rapprochement avec la Belgique. Cependant, il n’a jamais usé de ses problèmes comme excuse. Il ne voulait d’ailleurs jamais en parler. « 

Attiré à Gand par MPH

En janvier dernier, le chemin de croix du Nord se termine. Rapatriement et direction Gand.  » C’est Michel Preud’homme qui m’avait persuadé de le prendre « , affirme le directeur général, Michel Louwagie.  » Or, comme il n’y avait pas de prix de transfert et que Michel n’avait jamais formulé une demande, je ne vois pas pourquoi je ne l’aurais pas écouté. Pieroni a très bien commencé grâce à un but contre le Standard mais il n’a pas disputé la finale de Coupe de Belgique. Preud’homme disait qu’il n’était pas encore prêt, qu’il lui fallait une préparation estivale.  »

A Gand, tout le monde ne partageait pourtant pas les vues de MPH.  » Est-ce qu’il y a eu des objections à la venue de Pieroni ? Je ne vais pas répondre à cette question. Cela relève de la cuisine interne « , lâche Louwagie.

 » Si MPH était resté, Pieroni serait encore ici. Puis, Gand a pris un nouvel entraîneur, qui a analysé ses statistiques des six derniers mois. Lors des matches amicaux, il nous donnait l’impression de manquer de fighting spirit, d’envie. Or, on a eu l’opportunité d’acheter Shlomi Arbeitman, meilleur buteur du championnat israélien et cinq ans plus jeune.  »

 » C’est vrai qu’il donnait l’impression d’avoir perdu la rage, l’£il du tigre « , reconnaît Depireux.  » Avec l’argent, il s’était un peu embourgeoisé. Mais, on a eu une discussion à bâtons rompus cet été et il veut retrouver cette envie. « 

Le passage à Gand, ponctué de seulement deux buts, fut donc une expérience amère. La cinquième dans le cursus de Pieroni. Son retour au Standard (c’est là qu’il fut formé) est inespéré, vu ses derniers états de service. L’air vivifiant de Sclessin et la terre familiale peuvent-ils ressusciter celui qui marqua 28 buts avec Mouscron ?l

par stéphane vande velde – photos: belag

« Avec l’argent, il s’était un peu embourgeoisé. Il avait perdu la rage, l’£il du tigre. (Eric Depireux) »

Il a traversé sa période nantaise dans l’anonymat… comme 90 % des joueurs de l’époque. (Un journaliste)

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