La demoiselle de Rochefort

La championne incomprise dépose sa raquette : le tennis féminin perd celle qui avait le plus beau revers de l’histoire.

Est-ce une surprise ? Non : il suffisait de tendre l’oreille en Famenne, sa région natale, ou d’écouter ses proches pour comprendre que Justine Henin prenait des risques avec sa santé en revenant sur les courts de tennis. Pourtant, malgré cette hantise, la nouvelle de la fin de sa carrière a eu l’effet d’un coup de canon comme celui du 18 mai 1978 quand Eddy Merckx annonça son départ des pelotons.

Ce jour-là, le Cannibale convoque la presse et affirme :  » Je ne peux plus me préparer pour le Tour de France, que je voulais disputer pour la dernière fois comme une apothéose. Après avoir consulté mes médecins, j’ai décidé d’arrêter la haute compétition.  »

Remplacez Tour de France par Roland-Garros ou Wimbledon. Leurs aventures sportives sont différentes et identiques à la fois. Eddy a tenu jusqu’à 32 ans, Justine n’en a que 28. Tous deux ont tout donné pour atteindre les sommets en partant de loin. Ils sont rentrés dans l’histoire en gagnant le Tour de France pour l’un, Roland-Garros pour l’autre. L’ambition avait guidé leurs premiers pas. L’exigence allait devenir leur compagne de tous les jours. Le Cannibale était alors plus à l’aise dans ses chevauchées fantastiques que devant un parterre de journalistes. Il ne vivait que pour son métier. C’était le cas aussi de Justine, concentrée sur sa carrière et son jeu dans un monde où une paire de boucles d’oreilles affole plus les flashes qu’un magnifique revers slicé.

Elle a soigné son jeu, pas sa communication et son image de marque en a pâti. Pendant que d’autres offraient des fûts de bière à leurs supporters, elle se faisait plus secrète, plus lointaine, reflets d’un caractère faussement qualifié d’hautain. Certaines de ses rivales étaient bien plus peoples qu’elle, malgré ses efforts dans des émissions de télévision grand public et ses £uvres caritatives. Il était trop tard. La popularité de la Henin, finalement plus appréciée en Flandre qu’en Wallonie, en a beaucoup souffert. Jusqu’à l’injustice comme le souligne le palmarès de la Sportive de l’année. Justine l’a été quatre fois alors qu’elle méritait deux ou trois couronnes de plus. La presse lui a fait payer son attitude souvent renfrognée à l’heure des interviews… quand elle était là.

Caractère difficile

Ne mesurera-t-on que plus tard tout ce qu’elle a apporté au tennis ? N’est-elle pas la plus incomprise des championnes ? Son caractère ne lui rend pas service. Elle le sait et s’en excuse dans sa récente lettre d’adieu. Têtue, elle n’est pas toujours bien conseillée, devient trop tôt une femme d’affaires au lieu d’attendre la fin de sa carrière avant de faire des placements. Certaines de ses décisions se révèlent erronées car elle n’est pas là pour en assurer le suivi. Cela use tout comme les voyages, les tournois, les tourments, la recherche du bonheur qu’elle ne trouvera pas au bras de Pierre-Yves Hardenne.

Au c£ur du dernier été, des doutes s’étaient faits jour dans son sillage mais la championne était totalement décidée à relever le défi, à surmonter la douleur qui taraudait encore son coude malgré une opération. Sa volonté, son orgueil et son talent l’ont poussée vers la Hopman Cup d’abord, l’Open d’Australie ensuite pour renouer avec le succès. A 28 ans, pourtant, son corps était au bord de la rupture. Miné par les blessures, les fatigues, la pression qu’elle s’imposait et un jeu à nul autre pareil. Elle avait tout (trop) exigé de cette fine mécanique de 1,67 m pour dicter sa loi durant des années.

A quoi a-t-elle pensé en écrivant sa lettre d’adieu ? A Roland-Garros qu’elle gagne pour la première fois en 2003, à sa médaille d’or aux Jeux Olympiques d’Athènes en 2004, à ses 117 semaines au sommet de la hiérarchie mondiale, à son premier retrait de la compétition le 14 mai 2008, à son retour à la compétition en début 2010, à sa blessure au coude en juin de cette année-là, à son dernier séjour en Australie, à Wimbledon qui lui échappe à jamais ?

Triomphe à la Porte d’Auteuil

Son regard se sera certainement tourné vers la Porte d’Auteuil. En 2003, le monde du tennis découvre une championne venue d’une autre planète. Ce monstre de volonté ne lâche rien, exploite tous atouts sur cette surface en terre battue.

John McEnroe est subjugué et dira plus tard :  » Justine détient le meilleur revers du monde, hommes et femmes confondus.  » Immense compliment. A Paris, le public prend connaissance avec admiration de l’histoire de la championne wallonne.

Petite, elle joue au football à la JS Rochefort, club présidé par son oncle, s’adonne au tennis de table mais ne quitte plus sa raquette dès ses quatre ans. Sa maman adore le tennis et elles se rendent à Roland-Garros. Justine lui jure qu’elle gagnera un jour l’Open de France. Le chemin est long. Il passe par des stages, le temps du tennis-études et de sacrifices que la famille s’impose. Emportée par un cancer, sa maman n’assistera hélas pas à la progression de Justine et à sa victoire en finale de l’Open de France contre Kim Clijsters.

Ce jour-là, la Porte d’Auteuil se transforme en fief belge. Les accents de tous les terroirs de chez nous se mélangent fraternellement. Justine l’emporte mais c’est toute la Belgique qui gagne. Et la fête rappelle un autre happening belge au c£ur de la France. Le 20 juillet 1969, Merckx enflammait la Ville Lumière en remportant son premier Tour de France. Paris a donné une autre dimension à Eddy et Justine, incomparables ambassadeurs du sport belge. Une page est tournée mais un autre match commence pour Henin. Elle aura désormais le temps de s’occuper de ses académies de tennis de Limelette, Orlando et de Pékin où le succès se confirme déjà. Puis, ne devrait-elle pas rendre service en tant que dirigeante du sport belge ?

Il serait stupide de se passer de son expérience. Aux Jeux d’Athènes, Jacques Rogge, président du CIO, avait particulièrement loué la bravoure et la ténacité de la Rochefortoise…

PAR PIERRE BILIC, PHOTOS : REPORTERS

Elle a soigné son jeu, pas sa communication et son image de marque en a pâti.

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