© koen bauters

 » La défense est un art aussi noble que l’attaque « 

L’auteur italien Sandro Veronesi prouve que la littérature et le football font parfois bon ménage. Dans son recueil d’éditoriaux sportifs Un dio ti guarda, il chante son amour pour la Juventus, adversaire du Real Madrid en finale de la Ligue des Champions.

Dans Chaos calme, son best-seller de 2005 adapté au cinéma, l’auteur italien Sandro Veronesi (58) raconte à des millions de gens l’histoire de Pietro Paladini, qui a mis sa vie entre parenthèses après le décès inopiné de son épouse. Ce livre a fait de lui l’un des écrivains les plus populaires de sa génération. Terres rares, son dernier roman, a été primé mais il a également écrit Un dio ti guarda (Un dieu veille sur toi), un recueil d’éditoriaux sportifs dans lesquels il met en valeur le côté tragique des héros (Marcello Lippi, Roberto Baggio, Michael Jordan, Roger Federer,…) et la Juventus, le club de son coeur.

Il est récemment venu à Bruges à l’occasion d’un festival de littérature et nous avons rencontré un auteur passionné qui ne s’est arrêté de parler que pour tremper ses lèvres dans un expresso. Il ne cachait pas qu’il était très heureux d’être interviewé, pour une fois, par un journaliste sportif et de pouvoir ainsi casser les barrières qui existent entre la culture et le football.

 » Quand j’étais jeune, le monde de la culture était réservé aux snobs « , dit Sandro Veronesi.  » Un écrivain qui aimait le football, ce n’était pas possible. La Repubblica, un des plus grands quotidiens italiens, n’avait pas de pages sportives. Le sport était mal vu. Pendant des années, ce journal n’a pas publié les résultats sportifs du week-end. Mais on progresse : aujourd’hui, La Repubblica compte au moins quatre pages sportives (il rit).

Moi, justement, ce qui m’a toujours passionné, c’est que le sport rassemble différentes classes sociales : quand j’allais à la Juventus, j’étais assis parmi les travailleurs de chez Fiat mais un peu plus loin, Gianni Agnelli, un millionnaire, suivait le match depuis la tribune d’honneur. Pour moi, il était important de ne pas m’enfermer dans le carcan élitiste de la littérature.  »

Comment déterminez-vous si un sujet vaut un éditorial ?

Sandro Veronesi : Le métier d’éditorialiste de sport a beaucoup évolué au cours des dernières années. Avant, on se basait sur des souvenirs tandis qu’aujourd’hui, tout est sur YouTube. Il faut donc être beaucoup plus attentif car les souvenirs ne sont pas toujours bons (il rit). Ou alors, on s’aperçoit sur YouTube que l’angle d’attaque qu’on croyait phénoménal a été déjà été abordé. C’est ainsi que je voulais faire un sujet sur les sept joueurs anglais dribblés par Maradona au Mondial 86. Je voulais aller à leur rencontre mais je me suis aperçu qu’un magazine anglais l’avait déjà fait. Il n’empêche que ça reste un sujet fascinant : à ce moment-là, aucun de ces joueurs ne s’est rendu compte qu’il allait entrer dans la légende. Sauf, peut-être, le gardien. Lorsque Maradona s’est présenté devant lui, il avait compris que, si Maradona marquait, il inscrirait un but de classe mondiale. Tous les autres se disaient : ça va aller, il y a encore quelqu’un derrière moi. Mais ça n’a pas été le cas (il rit).

 » Je n’ai jamais cru aux histoires de dopage à la Juve  »

Dans vos récits, vous ne cachez pas votre amour pour la Juventus.

Veronesi : Cela me vaut parfois des critiques mais je ne défends pas mon club, je me contente d’écrire à son sujet. Il est vrai que la Juventus a beaucoup d’ennemis. Parce qu’elle gagne beaucoup, évidemment. Regardez Naples : pour la première fois depuis 20 ans, il avait l’occasion d’être champion. Et à qui s’est-il heurté ? La Juventus ! C’est frustrant.

Mais vous oubliez les accusations de dopage dont la Juventus a fait l’objet dans les années 90 et le Moggipoli, le scandale de corruption qui a valu à la Juventus d’être rétrogradée en Série B en 2006.

Veronesi : Je n’ai jamais cru dans ces histoires de dopage. Je ne peux pas croire qu’Alessandro Del Piero, un exemple pour mes enfants et un ami personnel, se soit laissé aller à cela. Il a simplement compris qu’il avait besoin d’un corps d’athlète pour survivre au plus haut niveau et il a beaucoup travaillé en salle de fitness. Cela, je le sais. Ils ont pris des compléments alimentaires, comme la créatine. Mais à l’époque, ce n’était pas interdit.

Vous êtes né et vous avez grandi à Prato, près de Florence. Comment êtes-vous devenu fan de la Juventus ?

Veronesi : Ce n’est pas quelque chose qu’on décide, on le découvre. Quand j’étais petit, le grand club, c’était l’Inter. La Juve, c’étaient les pauvres, les faibles. Mais j’aimais cette mentalité et les couleurs qui étaient celles de mon animal préféré : le zèbre. A l’âge de six ans, j’ai été opéré des amygdales. Pendant quelques jours, tout ce que je pouvais faire, c’était manger des glaces et remplir mon album Panini. Ma première équipe complète, ce fut la Juventus. Un hasard. Mais quand le prêtre est venu me voir – c’était la coutume lorsqu’un enfant était opéré – et m’a demandé quel était mon club favori, j’ai répondu : Juve. Ce sont les premières paroles que j’ai pu prononcer après l’opération. Mes parents étaient perplexes et moi, je me sentais un homme.

On ne peut pourtant pas dire que la Juventus produit un football séduisant. Elle spécule souvent sur la faute de l’adversaire. N’est-ce pas un peu cynique ?

Veronesi : Non. Au début des années 80, les Belges ont inventé le piège du hors-jeu et je trouvais cela bien plus cynique. D’un coup, quatre défenseurs couraient au même moment vers l’avant alors que le ballon n’était même pas dans leurs parages ! A l’époque, je trouvais cela malhonnête mais il faut reconnaître que c’était génial et qu’il s’agissait d’une manière tout à fait réglementaire de défendre. J’admets qu’en 1982, en Espagne, l’Italie est devenue championne du monde en jouant défensivement mais nous avons affronté, notamment, le grand Brésil de Zico et de Falcao : parfois, on ne peut rien faire d’autre que se replier. Malgré cela, nous avons inscrit trois buts et nous avons remporté ce match. Dans le Rumble of the Jungle, Mohammed Ali a aussi attendu sept rounds que George Foremanse fatigue avant de frapper.

 » Les trophées reviennent à l’équipe qui encaisse le moins  »

C’est un football de réaction plus que d’action.

Veronesi : Défendre fait partie intégrante du football : éviter que Messi, Hazard ou Mbappé puisse tirer au but, c’est justement l’essence de ce sport. Et si on le fait fautivement, il y a coup-franc ou penalty. Je ne vois donc pas où est le mal. A la Juventus, MassimilianoAllegria plusieurs tactiques. Parfois, l’équipe se replie pendant dix minutes puis, soudain, elle pratique le football total comme la Hollande des années septante. Je trouve cela intelligent car le fait est que, souvent, les trophées reviennent à l’équipe qui encaisse le moins de buts. Cela ne signifie pas pour autant nécessairement qu’elle joue défensivement. Ça veut juste dire qu’elle défend mieux. Comme la Juventus l’a démontré cette saison face à Séville et Monaco.

Mais il est quand même paradoxal que les Italiens, réputés pour leur sens de l’esthétique, aiment tellement défendre.

Veronesi : La défense est un art aussi noble que l’attaque. Prenez Fabio Cannavaro : il était infranchissable parce que, quoi qu’il fasse, il savait toujours où le ballon se trouvait. Le ballon ne ment pas. La force des défenseurs italiens, c’est de pouvoir se concentrer sur le ballon.

Vous aimez les dribbles ?

Veronesi : Dans beaucoup de pays, on pense que si les deux équipes attaquent et si le match se termine sur un score de 6-2, on a vu un bon match. Pourquoi ? La beauté du sport, c’est justement que ce n’est pas toujours le plus fort qui gagne. Tant qu’on respecte les règles, tout est permis. En basket, on bloque même l’adversaire afin de pouvoir développer une attaque.

Aucun footballeur belge n’est cité dans votre livre. Par contre, vous parlez des classiques cyclistes belges. Que savez-vous de l’histoire du sport belge ?

Veronesi : Beaucoup de choses. J’étais un grand fan d’Eddy Merckx et de Jacky Ickx – il était pilote chez Ferrari, hein -. Je me souviendrai aussi toute ma vie de l’équipe nationale belge de foot qui a disputé l’Euro 80 car c’est elle qui a écarté l’Italie de la finale du tournoi alors que celui-ci se disputait chez nous ! Romelu Lukaku, Eden Hazard et Vincent Kompanysont très connus en Italie aussi. Je trouve bizarre que les Diables Rouges n’aient pas fait mieux à l’Euro. Avec Antonio Conte à leur tête, ils seraient peut-être devenus champions d’Europe.

 » Conte est plus vrai que Mourinho  »

Comment expliquez-vous que Conte ait eu un tel impact en tant que sélectionneur national ?

Veronesi : Quand même Daniele De Rossi, qui est pourtant la figure de proue de l’AS Rome, pleure au moment où le sélectionneur annonce son départ, cela veut dire que celui-ci avait quelque chose que les autres n’avaient pas. Je pense que c’est animal. Ce n’est pas une question de maîtrise tactique mais de rage de vaincre.

Ne pensez-vous pas qu’il fait un peu trop de cinéma le long de sa ligne ?

Veronesi : Pour les Anglais, peut-être. Mais il n’est pas théâtral, il est comme ça. Il est plus vrai que JoséMourinho, dont la moindre parole est calculée. Mais ne vous y trompez pas : Conte est très conservateur et catholique. Avec lui, on ne peut pas jurer dans le vestiaire, il est interdit de fumer et il est très strict en matière d’alimentation et d’attention que le joueur doit porter à son corps. Seulement, dès que le match commence, une force supérieure s’empare de lui et il devient une bête.

Vous parlez souvent, dans vos écrits, de l’importance de la tradition, comme les maillots blancs en tennis. Etes-vous romantique ?

Veronesi : Ce n’est pas du romantisme. Je suis simplement contre le diktat de l’argent. C’est à cause du commerce que le sport devient kitsch. Ces chaussures jaunes et roses, ça ressemble à quoi ? Les chaussures de foot, c’est noir, un point c’est tout. C’est en défendant la tradition qu’on assure l’avenir. Sans quoi le sport est en proie à l’opportunisme. Je ne nie pas pas que l’évolution a des côtés positifs, comme l’arbitrage-vidéo. J’ai d’ailleurs une proposition à faire : on devrait arrêter le chrono dès que le ballon sort, comme au basket ou au hockey. C’est quand même plus clair que d’ajouter des minutes de façon arbitraire.

Les sportifs réagissent-ils parfois à vos éditoriaux ?

Veronesi : Un jour, DinoZoff m’a appelé pour me féliciter au sujet d’un article que j’avais écrit sur lui. J’avais écrit que la raison de son succès, c’était son amour pour le risotto au filet de boeuf. La plupart des joueurs considèrent que ce n’est pas très sain pour un sportif mais Zoff adorait. A mes yeux, c’est cela qui le grandissait : il ne considérait pas cela comme un sacrifice. Il m’a dit qu’il n’avait jamais vu cela sous cet angle mais que c’était vrai.

par Matthias Stockmans – photos Koen Bauters

 » La Juve ne joue pas défensivement. Elle défend simplement mieux que les autres.  » Sandro Veronesi

 » La grande force des défenseurs italiens, c’est qu’ils se concentrent sur le ballon.  » Sandro Veronesi

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