» La D2 ? Ce n’est pas la fin du monde ! « 

Le patron sait pourquoi Charleroi a basculé. Et pourquoi il va vite remonter.

La D2 redémarre. Avec Charleroi dans le rôle de l’épouvantail ? Abbas Bayat (64 ans) a changé de division mais pas d’état d’esprit. Le lion ressort ses griffes.

Votre motivation n’en a pas pris un coup depuis la chute en deuxième division ?

Abbas Bayat : La motivation n’a rien à voir avec le niveau auquel on travaille. On l’a en soi ou on ne l’a pas. J’ai toujours voulu gagner, rien n’a changé depuis que Charleroi a quitté la D1.

Mais c’est quand même un peu plus facile d’être motivé quand on est au top, non ?

Pour un Belge, c’est peut-être comme ça. Pas pour moi.

Donc, vous ne vous demandez même pas ce que vous faites en D2 ?

Absolument pas. On aurait pu chuter en D2 plus tôt, c’est maintenant qu’on s’y retrouve, il y a simplement un parcours à faire pour remonter. Je ne me focalise pas sur le passé. Il y a des réalités. Charleroi n’était plus trop bien géré sur le plan sportif et nous avons perdu les barrages contre Eupen alors que nous avons eu près de 60 % de possession de ballon pendant ces matches. Mais ça ne sert plus à rien d’y penser. Maintenant, ce club est en D2. Ce n’est pas la fin du monde, hein ! On a encore une équipe et plein de batailles à mener. On va tout donner.

Comment avez-vous vécu le week-end de reprise en D1 ? Avec le sentiment que vous auriez encore dû y être ?

Non, ce n’est pas ma façon de réagir. On est où on est, pourquoi réfléchir à l’endroit où on aurait pu être ?

Vous n’étiez pas un peu malheureux quand la Pro League a repris ?

Pas du tout. Ce qui cause du malheur, c’est avoir faim, ne pas avoir de toit, vivre une guerre civile ou rentrer chez soi et voir qu’une bombe est tombée sur la maison. Restons réalistes. J’ai la santé et je vis comme je voudrais vivre.

Vous n’avez pas envisagé de quitter le club ?

Pas du tout. Quand vous avez un accident, vous jetez votre voiture ? Non : vous la faites réparer ou vous en achetez une autre.

Charleroi n’est pas en perte totale ?

Absolument pas.

Personne ne s’est manifesté pour racheter le club ?

J’ai déjà eu plusieurs offres. Des opportunistes qui espèrent réussir un tout bon deal, il y en a toujours.

Si le Standard vaut 40 millions, combien vaut aujourd’hui Charleroi ?

Est-ce que le Standard vaut vraiment 40 millions ? Impossible à dire. Je sais seulement que Charleroi est un club qui fait des bénéfices importants depuis plusieurs années et a donc une certaine valeur.

 » Ne croyez jamais ce que Mogi raconte « 

Malgré plusieurs avertissements, vous avez continué à vendre tout ce qui pouvait être vendu, et la corde a finalement cassé.

Il fallait vendre pour boucher les trous et compenser les investissements des premières années de ma présidence. Ce n’est jamais le foot en lui-même qui m’a permis de récupérer de l’argent, seulement les transferts sortants. Aujourd’hui, il y a un équilibre entre ce que j’ai injecté et l’argent qui est rentré.

Vous ne trouvez pas que vous avez quand même vendu un peu trop l’année dernière ?

Nous sommes allés trop loin, oui. Après le départ de Cyril Théréau, il n’aurait pas fallu vendre Pelé Mboyo et Habib Habibou. Nos trois buteurs potentiels sont partis.

Pas de regret d’avoir attendu janvier pour renforcer l’équipe ? Avec le même noyau pendant toute la saison, vous ne descendez sans doute pas.

Il y a un an, je ne gérais pas les choses au quotidien. Mogi avait la responsabilité de former une équipe et il m’a convaincu de reprendre Jacky Mathijssen.

Mogi dit que vous ne lui aviez pas donné d’argent pour renforcer l’équipe.

Il ne faut jamais croire ce qu’il dit. Il n’a pas fait son boulot. Il a par exemple amené des attaquants qui n’ont jamais marqué. Et je n’étais pas au courant de tout. Quand vous travaillez avec un ou deux agents privilégiés, vous ne pouvez avoir que des joueurs de ces agents-là. Et ce ne sont pas nécessairement des footballeurs qui en valent la peine.

Vous visez Didier Frenay mais il vous a aussi amené des bons joueurs.

Jamais. Il n’a jamais amené personne à Charleroi. D’autres agents mettaient des joueurs chez nous, puis Frenay passait prendre le beurre.

Vous ne regrettez pas d’avoir investi 2 millions en janvier ? C’était finalement inutile.

Je ne regrette rien. Dudu Biton n’est plus là, mais plusieurs autres joueurs arrivés en janvier sont toujours chez nous, et ils sont bons.

Biton, justement, c’est celui qu’il aurait absolument fallu garder.

J’ai tout fait pour qu’il reste, mais j’ai compris au bout du compte que ça ne servait à rien. Pour lui, c’était une vraie catastrophe de devoir jouer en D2. Il allait perdre sa place dans le noyau de l’équipe israélienne. Et mentalement, ce n’est pas le plus costaud des footballeurs. Un défenseur ou un milieu défensif peut encore faire des bons matches s’il n’est pas bien dans sa tête, mais pour un attaquant, qui doit toujours être vif et en confiance, c’est impossible. Donc, nous avons accepté de le prêter au Wisla Cracovie, qui joue contre un club chypriote au dernier tour des préliminaires de la Ligue des Champions et a donc une bonne chance de se qualifier.

 » Je ne sais pas comment Eupen et Tubize vont quitter la D2 « 

Vous attendez du monde dans votre stade en D2 ?

Si nous commençons bien la saison, nous pouvons faire revenir beaucoup de supporters. En jouant la tête en D2, nous aurons plus de monde qu’en étant dans le bas du classement en D1.

Vous partez avec quel budget ?

Environ 3,5 millions, soit 60 % du budget de D1.

Vous vous êtes battu pendant dix ans pour faire progresser la D1 via une augmentation des droits télé. Aujourd’hui qu’ils n’ont jamais été aussi élevés, vous n’en profitez plus. Il n’y a pas une frustration ?

Frustré, moi ? Pas du tout. La dernière augmentation des droits, nous en profitons aussi puisque nous recevons un parachute d’un million d’euros.

Vous avez aussi des solutions pour améliorer le quotidien des clubs de D2 ?

Là, je suis encore en pleine construction du noyau. Dès que ce sera terminé, je réfléchirai à des pistes. Il est possible d’être créatif.

Vous savez que la D2 est un enfer pour les clubs qui s’y éternisent ?

Oui, je sais. C’est pour ça que nous voulons remonter directement !

Vous pourriez vous permettre d’y rester trois ou quatre saisons ?

Financièrement, oui. Et c’est la grande différence entre Charleroi et d’autres clubs qui sont descendus ces dernières années : Dender, Roulers, Tubize, Eupen et d’autres. Ils avaient tous dépassé largement leur budget pour essayer de se maintenir, et ils se sont retrouvés en deuxième division avec de grosses dettes. Je ne sais pas comment ils vont pouvoir se relever. Mon club descend avec une ardoise vierge, des finances parfaitement saines. Nous n’avons pas dépensé de l’argent que nous n’avions pas. Regardez l’histoire récente : les clubs sains remontent assez vite. Saint-Trond l’a fait. Mons aussi. Et le Lierse est revenu en D1 dès qu’il a réglé ses problèmes d’argent.

 » Laszlo a débarqué dans un contexte impossible ; mais j’aurais dû le virer plus tôt « 

Vous sortez d’une saison noire, et pas seulement parce qu’elle s’est mal terminée sur le terrain. Il y a aussi eu les divorces avec Mathijssen et Mogi.

Des divorces ? Mais non… Et j’ai de toute façon connu des situations bien plus difficiles. Si vous étiez obligé de fuir votre pays, vous comprendriez de quoi je veux parler. Après des événements pareils, on apprend à apprécier le confort. Si on n’a pas souffert, on n’est pas conscient de la chance qu’on a. Regardez ce qui se passe en Europe : les gens ont eu plein de facilités, puis quand les moyens financiers ne sont plus disponibles, ils souffrent.

Je reviens au foot : ça doit quand même faire mal de se retrouver au tribunal face à un neveu !

Je ne vois pas les choses comme ça. Mogi était un employé du club, il n’était pas dans une société familiale. Un employé comme les autres. Il n’a pas bien fait son travail, donc je l’ai mis dehors. Comme je le fais avec un entraîneur qui ne travaille pas bien. Maintenant, il m’attaque parce qu’il veut plus d’argent. On verra qui gagnera le procès. Des procédures en justice, j’en ai déjà eu beaucoup. J’en gagne la plupart.

Pour le grand public, la plus belle période de l’ère Bayat à Charleroi est celle du duo Mogi- Mathijssen.

C’est idiot de dire qu’une, deux ou trois personnes font toute la différence. Et c’est moi qui ai fait venir Mathijssen quand Mogi n’était pas encore à Charleroi. L’équipe a directement terminé à la cinquième place et c’était moi qui gérais le club au quotidien. C’est avec moi que Mathijssen avait une collaboration étroite.

Pourquoi avez-vous pris Jos Daerden comme entraîneur ?

Je cherchais un coach qui connaissait bien le football belge, qui avait une longue expérience.

Faire confiance à des entraîneurs qui ne connaissent rien du foot belge, c’est l’erreur que vous avez faite quand vous avez engagé Tommy Craig et Csaba Laszlo !

Pas d’accord. C’est important de connaître ce pays pour diriger une équipe de D2, où le jeu est fort particulier, où on joue peu au sol parce que des terrains ne sont pas bons. Pour la D1, c’est différent : il faut prioritairement être bon dans son job, avoir de grandes connaissances techniques.

Vous restez persuadé que Craig et Laszlo sont de grands entraîneurs ?

Absolument.

Mais Laszlo a été victime de sa méconnaissance de notre championnat, il a fait des erreurs qu’on n’aurait pas vues avec un coach familiarisé à notre D1.

Je ne suis pas d’accord. Il a surtout été parachuté dans un contexte très difficile. Il a repris une équipe qui avait encaissé énormément de buts lors des premiers matches de la saison. Il y avait plein de polémiques et de problèmes autour du limogeage de Mathijssen. Il y avait un Mogi qui ne respectait pas la décision de son supérieur hiérarchique et qui l’a dit dans la presse. Des joueurs étaient encouragés à s’exprimer sur l’affaire Mathijssen. Le noyau avait été trop déforcé, il n’y avait plus personne pour marquer des buts. Et la situation était très compliquée dans le vestiaire, avec des joueurs favorisés et d’autres qui ne l’étaient pas. Le mal était tellement profond qu’il était impossible pour Csaba Laszlo de faire des résultats corrects dans ses 10 ou 15 premiers matches avec Charleroi. Maintenant, après réflexion, je me dis quand même que j’aurais dû le remplacer plus tôt. Parce qu’un entraîneur réagit comme un joueur : une fois qu’il prend peur et n’est plus en confiance, il n’est plus capable de prendre les bonnes décisions aux bons moments. Mais encore une fois, je ne remets pas en cause ses qualités de technicien.

Vous êtes restés en contact ?

Bien sûr. Comme je suis encore en contact avec Craig. Ou avec Collins. Le seul avec lequel je n’ai pas une bonne relation, c’est Mathijssen.

 » Le Sporting ne doit rien à la Ville « 

Daerden n’a signé que pour un an : vous n’avez pas pu lui proposer un projet à long terme ?

Charleroi ne vit pas actuellement dans le long terme. Une seule chose compte : remonter en fin de saison. C’est la priorité des priorités. J’ai dit à Daerden qu’il devait s’occuper de l’équipe et de rien d’autre. L’école des jeunes, et tout le reste, c’est mis entre parenthèses. Et il y avait aussi la question du salaire. Daerden a un contrat de D1, mais si nous ne remontons pas en mai 2012, le prochain entraîneur ne sera plus payé de la même façon. Il l’a bien compris, et d’ailleurs, lui-même ne souhaitait s’engager que pour une saison.

Vous avez longtemps négocié avec Peruzovic…

Oui. Mais quand on discute avec un coach, le problème est souvent le même : le salaire. Il nous fallait aussi un homme prêt à prendre le risque de travailler en D2.

Vous avez un noyau pour remonter immédiatement ?

Il nous manque encore un vrai buteur, mais pour le reste, nous avons une équipe qui vaut la D1.

En ayant perdu Hernan Losada, Rudy Riou, Biton, Alessandro Cordaro et Franck Signorino ?…

Vous ne tenez pas compte de Cyprien Baguette ? D’Elvedin Dzinic ? De Javier Martos ? D’Ederson ? D’Onur Kaya ? D’Abraham Kumedor ? De Jérémy Serwy, que tout le monde veut et pour qui nous avons reçu une offre de la Liga espagnole ? Et retenez bien ce nom : Kenneth Houdret. C’est un des meilleurs médians belges. A lui seul, il va rendre notre milieu de terrain plus fort que celui de la saison dernière.

Vos relations avec la Ville se sont améliorées ?

Oui, ça va déjà mieux. C’est comme pour le sportif : je n’étais pas beaucoup au club et les choses se sont détériorées. Tout allait bien lors de mes deux ou trois premières années de présidence, quand j’étais souvent là. Puis, il y a malheureusement eu une gestion  » plus locale  » et ça a provoqué des problèmes. Avec les supporters aussi, d’ailleurs.

Mais la Ville vous réclame toujours près de 2 millions.

Ils savent qu’ils n’y ont pas droit, nous avons des documents qui le prouvent. Tout est sur papier : le loyer du stade est de 50.000 euros par an, pas par trimestre.

L’affaire n’ira pas en justice ?

Non. Je ne dis pas que tout est déjà réglé mais il y a une volonté réciproque de mieux collaborer dans le futur. A la Ville, ils savent aussi que nous avons dépensé de l’argent dans la rénovation et l’entretien des infrastructures, alors que ce n’était pas à nous de le faire puisque nous ne sommes que locataires.

C’est encore raisonnable de penser à un beau nouveau stade alors que nous n’aurons pas la Coupe du Monde, que le Sporting est en D2 et que l’Olympic est presque mort ?

Posez cette question à la Ville. Moi, je dis seulement qu’il y a un contrat et qu’elle doit mettre à notre disposition un stade conforme.

 » Pas une équipe de handicapés « 

Et donc, vous voulez aussi améliorer vos relations avec les supporters ?

Bien sûr. Ça restera impossible avec quelques-uns, mais avec la grande majorité, je n’ai aucun problème. Nous avons le même objectif sportif.

Après un match amical récent, des supporters vous ont apostrophé et vous ont dit que vous aviez une équipe de handicapés…

Je ne pense pas qu’ils aient parlé de handicapés. Ils ont dit que ce serait difficile cette saison. J’ai parlé avec eux pendant trois quarts d’heure, et à la fin, les plus nerveux étaient devenus doux et rationnels ! Ils pensent que j’ai provoqué tous les problèmes à Charleroi mais ils vont finir par comprendre que c’est faux.

Pendant vos 11 saisons en D1, vous pensez avoir laissé quelle image ?

Ça ne m’intéresse pas de savoir ce qu’on pense de moi. Tout ce que j’ai dû faire, je l’ai fait. Je voudrais seulement que les gens soient conscients que si je n’étais pas venu, le Sporting de Charleroi ne serait plus là. Le matricule 22 serait au même point que celui de Liège ou Mouscron.

Vous restez persuadé que vous étiez le seul repreneur possible ?

Ah, mais évidemment que j’étais le seul. Et d’ailleurs, si on ne m’avait pas donné des fausses informations financières, je ne serais pas venu. Parce que je ne suis pas idiot. Pourquoi j’aurais repris un club qui avait plus de 7 millions d’euros de dettes ? Des dettes cachées que je continue à rembourser. Et vous savez qui je rembourse ? Le peuple ! Parce que c’étaient pour 90 % des dettes vis-à-vis de la TVA, du précompte, de l’ONSS. Et les impôts que le club n’avait pas payés pendant cinq ans, je les paie moi-même.

La prochaine fois, vous serez plus prudent et vous demanderez tous les documents officiels…

Il n’y avait pas à être prudent ! Quand le bourgmestre d’une ville comme Charleroi et le Ministre-président de la Région wallonne vous disent quelque chose, vous leur répondez qu’ils mentent ? Ils m’ont dit que le club avait une dette de 3 millions et que les rentrées annuelles étaient un peu supérieures à ce montant. C’était la première fois que je me retrouvais pour une longue discussion face à des politiciens en Belgique. Avant ça, je n’avais parlé qu’une demi-heure avec le gouverneur de la Province de Limbourg quand j’avais racheté une marque de soft drinks.

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS : REPORTERS / GYS

 » Vous savez qui je rembourse depuis dix ans ? Le peuple belge ! « 

 » Je n’ai pas envisagé de partir. Quand vous avez un accident, vous jetez votre voiture ? Non : vous la faites réparer ou vous en achetez une autre. « 

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