« La D2, c’était écrit »

Il se confesse au moment de quitter  » le club de son cour « .

Voilà, c’est fini ! Ce week-end, le Brussels quittera la D1 au terme d’une saison noire, pas uniquement sur le plan sportif. Son capitaine, Alan Haydock (32 ans), passe au parloir.

Ton club chute en D2, tu as 32 ans, tu reviens de deux opérations aux ligaments croisés du même genou : tu es d’accord si je te dis que la D1, c’est définitivement de l’histoire ancienne pour toi ?

Alan Haydock : Pas du tout. Je sors d’une saison pleine. Je ne m’étais jamais autant entraîné et je n’avais jamais disputé autant de matches. Je n’en ai loupé que deux, pour suspension. Je suis fier d’avoir bien géré mes gros pépins physiques. J’ai passé 10 mois chez Lieven Maesschalk, ça m’a coûté des déplacements de fou (Hal-Anvers tous les jours), cinq heures de torture par jour : je n’ai pas envie de m’arrêter après avoir fait tous ces sacrifices. Dans ma tête, il n’y a aucun doute : je suis encore assez bon pour continuer en D1. J’en suis encore plus persuadé quand je vois le niveau de certains joueurs de notre championnat. Johan Vermeersch a critiqué mon manque de vitesse en début de saison mais ce n’était pas une séquelle physique de mes opérations. Simplement un problème mental : j’avais toujours l’appréhension de rester avec mon pied coincé dans le sol si je démarrais trop vite, car c’est comme ça que je m’étais déchiré les ligaments la deuxième fois. Donc, mon temps de réaction était plus long. Entre-temps, tout s’est arrangé : je n’ai plus peur et mon corps a retrouvé son rythme de croisière.

Tu as envie de continuer en D1 ; il reste seulement à convaincre un club de t’embaucher !

Il y a des pistes. Tout le monde sait qu’il y a de l’intérêt à Mons. J’ai aussi des touches ailleurs. J’y suis attentif, tout en ne fermant pas la porte du Brussels qui restera toujours le club de mon c£ur. J’écouterai Vermeersch : une simple question de respect vis-à-vis d’un homme qui a signifié beaucoup pour moi et m’a offert une prolongation de contrat, aux mêmes conditions, quand j’étais gravement blessé, quand personne ne pouvait garantir que je guérirais complètement. Moi-même, je n’étais pas certain de pouvoir rejouer. Vermeersch en prend continuellement pour son grade dans les médias mais peu de gens savent qu’il est capable de prendre des décisions comme celle-là.

 » J’ai tout fait, en vain : je suis fatigué « 

Ce ne serait pas un soulagement de quitter ce que tu appelles  » le club de ton c£ur  » ?

Honnêtement, je suis fatigué après avoir vécu autant d’événements ici. Depuis que je suis revenu, en 2003, le Brussels n’a jamais été un long fleuve tranquille, il y a toujours eu quelque chose : la lutte pour le maintien, mes graves blessures, des bruits qui partaient dans tous les sens, une image terriblement négative. J’ai fait plein d’efforts en espérant que ça permettrait au Brussels d’avoir une image positive, mais depuis quelque temps, je suis résigné, je me demande si ça en vaut encore la peine. Parce que j’ai bien dû constater que rien n’évoluait dans le bon sens. Aujourd’hui, j’ai envie de redevenir un vrai footballeur pro qui ne doit penser qu’au terrain. J’en ai marre qu’on me demande, quand j’arrive à l’entraînement, quel jour on sera payé. Qu’on me prenne à témoin pour des problèmes de voiture ou d’appartement. Qu’on me sollicite pour que je prête de l’argent. Il n’y a jamais eu de sérénité cette saison. Il y avait en permanence une atmosphère de conflit, avec les joueurs d’un côté et la direction de l’autre. J’aurais voulu pouvoir m’habiller en footballeur et filer sur le terrain dès que j’arrivais au club, mais ce n’était pas possible parce qu’il fallait d’abord régler ceci, solutionner cela. C’est usant, et quand des personnes du club se permettent encore de me faire des remarques négatives, je dis stop. Mes efforts ne sont pas considérés, on ne tient pas compte de tout ce que je fais pour ce club. Attention, c’est n’est pas Vermeersch que je vise.

Tu devais carrément prêter de l’argent à des coéquipiers ?

Oui. Parce qu’ils ne savaient pas gérer leur portefeuille. C’est la caisse des joueurs qui leur prêtait de l’argent, pas moi directement, hein ! Par moments, le vestiaire me faisait penser à une garderie. Avec Albert Cartier, je devais jouer à l’éducateur. Il y avait un manque flagrant de discipline. Quelque part, c’était compréhensible avec autant de jeunes, de nationalités, de cultures. En théorie, on avait aussi Richard Culek, Eric Deflandre et Patrick Nys pour tenir la boutique. Mais Culek a été longtemps blessé, Deflandre est parti en janvier et Nys ne parle pratiquement pas français. Donc, je me suis retrouvé seul pour secouer le cocotier. Avec tout mon respect, on ne pouvait pas demander à Cheikhou Kouyate d’être un leader : il a 18 ans, le gars ! S’il y avait eu quatre ou cinq patrons, on aurait sans doute pu marquer les esprits. Mais quand il y en a un seul qui parle, tu vois comment les autres peuvent réagir : -Ouais, ça va, c’est bon, cause toujours. J’ai tout donné, je n’ai rien à me reprocher. Et j’ai mes certitudes : je sais pourquoi et comment le Brussels bascule en D2.

Pourquoi ? Comment ?

Nous avons commencé cette saison avec un handicap énorme : Culek, Steve Colpaert et Mickaël Citony étaient blessés pour une longue durée. Il a fallu se débrouiller avec les joueurs restants, beaucoup de jeunes. Mais le problème remonte plus loin qu’à l’été dernier : cela fait deux ou trois ans que ce club est incapable de garder ses forces vives. Nous n’avions pas un noyau extraordinaire mais des joueurs de caractère, il y avait plein de mentalité dans le vestiaire. Quand le Brussels s’est sauvé avec Robert Waseige, il y avait dans l’équipe beaucoup de gars élevés en Belgique ou qui connaissaient au moins la mentalité belge : Werry Sels, Davy Theunis, Kristof Snelders, Laurent Wuillot. Pas des stars mais des types qui apportaient un sacré plus. Ils avaient la rage, l’envie de se surpasser. Et ils savaient ce qui les attendait en cas de relégation. Par rapport à ceux-là, les transferts de décembre dernier… Des bons joueurs, mais point de vue collectivité, ce n’était pas ce qu’il nous fallait. Que savaient-ils du championnat de Belgique ? J’aime 100 fois mieux le casting de clubs comme Roulers ou le Cercle : là-bas, on analyse la mentalité avant de voir les qualités footballistiques pures et la possibilité de faire de l’argent en les revendant. Il faut arrêter d’aller chercher des joueurs pour 50 cents en espérant les revendre en Turquie pour 300.000 euros. Il faut investir dans des Belges et d’autres nationalités qui connaissent notre championnat, quitte à ce que ça coûte un peu plus cher en salaires. En fin de saison, le maintien et les droits TV compenseront facilement la différence.

 » Cartier et moi, on a camouflé beaucoup de choses « 

Le meilleur mercato d’hiver, c’est Mons qui l’a fait !

Le plus gros transfert de Mons, c’était Cartier. Ils ont eu de la chance que ça n’allait plus pour lui au Brussels. C’était logique de le limoger parce que c’est la solution automatique quand les résultats ne suivent pas : Mons en a bien profité. Cartier a vécu la même situation qu’Emilio Ferrera au Brussels : ça a fait mal à Vermeersch de les mettre dehors alors qu’ils n’avaient pas du bon matériel pour travailler.

Cartier a déclaré dans Studio 1 que le Brussels se serait sauvé s’il était resté.

Franchement, je n’y crois pas. L’idée qu’on se faisait du noyau avant son limogeage a encore été confirmée après son départ. Ça n’allait pas avec Cartier, ça n’a pas mieux marché avec Franky Van der Elst. Aujourd’hui, je peux dire à Cartier que même s’il était resté, on n’aurait pas pu se sauver.

Comme cadeau empoisonné, Van der Elst n’aurait pas pu rêver mieux.

Il n’avait rien à perdre. Tout ce qui pouvait lui arriver comme surprise, c’était le maintien en fin de saison. Il a tout fait mais c’était mission impossible. Et au fil des jours, il a compris à quel point c’était difficile de travailler dans ce club.

Ta mère a gardé jalousement la photo de 1998 sur laquelle on te voit chialer à la fin du match qui scelle la chute du RWDM en D2. Tu vas encore pleurer le week-end prochain ?

Non. C’était beaucoup plus émotionnel il y a 10 ans. Des résultats d’autres matches nous avaient été défavorables. Cette saison, c’est différent. Nous nous sommes dirigés nous-mêmes vers la D2, seuls comme des grands. Nous n’avons été volés par personne. Et nous avons vu arriver le verdict fatal sur plusieurs mois. Déjà à la trêve, il fallait être un sacré optimiste pour encore croire au maintien. J’ai essayé de garder une petite lueur d’espoir mais elle a vite disparu.

On a entendu que le Brussels avait une équipe pour jouer le milieu du classement de D2 : c’est peut-être encore trop élogieux !

En tout cas, ce noyau n’aurait pas été capable de briguer le titre en D2. Il faudra viser juste dans le recrutement pour la saison prochaine. Chercher des guerriers, des gars qui ont une autre mentalité. Et améliorer certaines choses sur le plan extra-sportif. Soigner la communication, qui est catastrophique. Les articles sur le Brussels abordaient presque systématiquement l’extra-sportif et étaient presque toujours négatifs. J’aurais préféré qu’on ne parle pas du tout de nous, qu’on nous foute la paix, qu’on nous laisse jouer. Pendant très longtemps, j’ai essayé avec Cartier de camoufler certaines choses. On venait me trouver en me posant des questions précises sur des trucs entendus dans les couloirs. Je répondais : -C’est faux, n’en croyez rien. Mais je savais que c’était vrai… Aujourd’hui encore, Cartier essaye de transmettre une image positive du Brussels parce qu’il a gardé beaucoup de sympathie pour ce club.

Tu ne vas quand même pas accuser la presse d’avoir donné cette image négative. Le club a eu les articles qu’il méritait !

OK, on en revient à la communication vers l’extérieur. Comment veux-tu qu’il n’y ait pas d’articles destructeurs quand on lance aux journalistes que les joueurs n’auront plus à manger entre les deux entraînements sous prétexte qu’ils ont perdu le dernier match ? On est en 2008, on est dans un club pro, mais nous devions venir au stade avec nos tartines. Quand nous avions besoin de marques de soutien de la direction, rien ne venait. Ce serait si bien que le Brussels imite des clubs comme Westerlo ou Zulte Waregem, qui ne font l’actualité que par leurs résultats. Des clubs pareils respirent la sérénité. Ici, on donnait sans arrêt à manger à la presse : tous des trucs qui n’auraient jamais dû sortir du stade. Il faut en tirer les enseignements. Vermeersch a fait un bon premier pas : il ne s’exprime plus. On n’entend plus ses coups de gueule. C’est un gros plus pour l’avenir du club. Il est tellement émotionnel qu’il se lâche dès qu’un journaliste l’appelle. Et ça fait chaque fois un pétard.

 » Après le 7-2 à Westerlo, 90 % des joueurs pouvaient aller faire leurs courses sans problème ; moi, je longeais les murs « 

Citony a attaqué la direction de front devant une caméra de la RTBF. Le capitaine aurait aussi pu dire les choses comme elles étaient…

Pour tout t’avouer, je ne sais toujours pas exactement quel a été le problème de Citony. On lui dit qu’il est guéri, puis qu’il est toujours blessé, puis qu’il est repris, puis qu’il n’est pas repris. Je n’ai rien compris. Je crois que lui-même se demande toujours ce qui s’est passé. On en revient encore au problème de la communication.

Il n’y a pas une voix officielle au Brussels : c’est ça le problème ?

Certainement. Tout le monde dit tout et son contraire, des infos sortent de partout et ça part en vrille. On transforme le A en B puis le B en C et ça n’arrête plus. Chacun doit apprendre à se limiter à ses attributions : que le concierge garde le stade, que les commerciaux vendent de la pub, etc. Ici, le sportif empiète sur le commercial et vice-versa.

Après la raclée 7-2 à Westerlo, tu as été très dur. Mais tu étais aussi dans l’équipe.

Tout à fait vrai. J’étais le seul Belge avec Michaël Cordier… Il aurait quand même été logique de sentir un vent de révolte dans notre vestiaire après ce match, non ? Rien de tout cela. Le problème, c’est que 90 % des joueurs qui avaient pris cette claque pouvaient aller faire leurs courses sans problème le lendemain, personne n’allait les ennuyer, leur poser des questions. Moi, je me suis bien fait interpeller en ville. J’avais envie de longer les murs, tellement j’étais gêné. Pour les autres, il n’y avait pas cette gêne. Ils se disaient : -Il y a un match la semaine prochaine pour rectifier le tir. Et si ça ne marche pas dans 8 jours, ça ira peut-être mieux dans 15… Ils n’ont pas arrêté de reporter les échéances et ils ont tellement joué à ce petit jeu qu’on se retrouve en D2.

Tu ne t’es fâché qu’une seule fois dans la presse : sur Jean-Paul Colonval, le conseiller du président…

Je n’ai pas trop envie de revenir là-dessus. Nous avons clarifié les choses entre-temps. Il avait mis publiquement en doute mes qualités de défenseur central. Avec tout mon respect pour sa carrière, je ne pouvais pas admettre qu’il soit sorti ainsi de son rôle. Ce sont des choses que l’on dit en interne, pas aux journalistes. Un énième problème de communication. Et comme je n’ai plus 20 ans, je ne me suis pas laissé faire. J’essaye toujours d’être positif, mais quand on m’attaque, je riposte quand même.

Reconnais qu’avec ton mètre 76 et tes 71 kg, tu n’as pas non plus le gabarit type d’un défenseur central d’exception !

Ma place a toujours été dans l’entrejeu : je suis un feu follet, un chien de garde, un emmerdeur. Mais je me suis retrouvé en défense centrale par la force des choses. Il y avait plusieurs nouveaux défenseurs et ça ne parlait pas du tout derrière. Comme je peux communiquer en français, en néerlandais et en anglais, je suis redescendu. J’ai fait des bonnes et des moins bonnes choses, mais il ne fallait pas non plus me demander des miracles. Quand vous êtes défenseur central de l’équipe qui est dernière au classement, bonjour la pression. La saison dernière, j’avais déjà joué dans ce rôle avec Cartier : à la fin des matches, je n’étais même pas fatigué parce que le travail défensif commençait chez nos attaquants, se poursuivait chez nos médians et la défense n’avait plus qu’à terminer sagement le boulot. Cette saison, j’étais épuisé en sortant du terrain. Nous avions tout sur le dos, nous devions toujours jouer à la limite de l’erreur fatale. Et nous avons commis des fautes parce que nous étions acculés en permanence.

Tu as balancé toute ta carrière entre le milieu de classement de la D1 et le haut du panier en D2 : aurais-tu pu jouer plus haut ?

J’ai quand même été européen avec le RWDM de René Vandereycken. Et j’ai gagné la Coupe avec La Louvière. J’ai toujours été conscient de mes limites. Je n’ai jamais rêvé d’un grand club mais je sais tout ce que je peux apporter à une équipe moyenne : mes qualités de clubman et de leader d’un vestiaire, mon sens du collectif, mon obstination à aller au charbon pendant 90 minutes. Ce sont des atouts dont on a besoin partout. Jusqu’à 28 ou 29 ans, j’avais l’impression d’avoir toujours quelque chose à prouver. Puis, un jour, j’ai eu un déclic, je me suis dit : -Nom de dieu, maintenant je dois commencer à prendre du plaisir.

par pierre danvoye – photos : reporters / hamers

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