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 » LA D1B, C’EST PLUS D’ENTRAÎNEURS VIRÉS QUE DE CLUBS « 

Le championnat de D1B a été un cimetière d’entraîneurs. Mais il y en a un qui a survécu tout en crevant l’écran. Un quadra français qui a joué avec Pirlo et Lentini. Qui a appris son nouveau métier avec Daniel Leclercq. Et qui a aussi été restaurateur. Il se dévoile.

« Le foot, c’est toujours une histoire collective. Je ne détiens pas la vérité mais on doit tous converger dans le même sens, prendre le même chemin. Si certains ne prennent pas la bonne route, c’est mon devoir de les reprendre. Par les cheveux, par l’oreille ou par la peau du cul, mais il faut qu’ils aillent droit.  »

Question tchatche, on est tombé sur un très bon client. Arnauld Mercier. En bref : Français, 44 ans, une carrière de joueur plutôt prometteuse qui s’est terminée trop tôt, du très bon boulot dans notre D2 avec Boussu et Seraing avant d’étonner l’univers de la D1B cette saison en bataillant jusqu’au bout pour une promotion en D1Aavec Roulers. Et pour mieux saisir la portée de son exploit, il faut se replonger dans la situation chaotique de l’été dernier. Interview sur le thème de son drôle de championnat et description de sa trajectoire perso qui n’est sûrement pas moins drôle.

Je résume… Il y a dix mois, Roulers arrache sa place en D1B sur tapis vert, en profitant des problèmes financiers du White Star. Quand tu signes, il y a un seul joueur sous contrat. Le départ est difficile, puis le train se met en marche. C’est bien ça ?

ARNAULD MERCIER : Oui et tu peux ajouter que Roulers va chercher un entraîneur français inconnu en Flandre ! Rien que ça, c’est déjà particulier. Parce que des entraîneurs, il y en a pas mal sur le marché… Mes résultats avec Boussu Dour et Seraing ont joué pour moi. La manière de ces équipes aussi. A Boussu, il y avait peu de moyens financiers. A Seraing, ce n’était pas extravagant non plus. Au final, Roulers a 50 % de victoires et 78 % d’invincibilité. Pour un club dont le seul objectif était le maintien, je peux être content, oui…

LE FOIE GRAS ET LES CHOCOLATS DE MAMY

Après quatre matches et la claque à Tubize, vous étiez à la dernière place. A ce moment-là, tu ne te dis pas  » mission impossible  » ?

MERCIER : Comme entraîneur ou comme joueur, je n’avais jamais pris trois buts en neuf minutes comme à Tubize. Quand on reprend le bus, on a un bilan de deux nuls et deux défaites. Et pour le match suivant, on va à Lommel qui a presque tout gagné. Ils sont en pleine confiance. Là, je rappelle un momentum à mes joueurs. Je leur rappelle qu’en préparation, on a battu Bruges, 3-1. Le champion en titre, hein ! Il était en rodage ? OK mais nous aussi, et on avait des nouveaux joueurs qui venaient d’un peu partout ! Alors, quand tu prends 4-1 à Tubize, tu te remets en question, évidemment. Mais tu vois aussi ce qui a fonctionné dans d’autres matches. Cet amical contre Bruges a été le point de départ de notre saison. Amical, OK, mais tu ne peux jamais banaliser une victoire. Comme tu ne peux pas banaliser une défaite. Et on gagne sur le terrain de Lommel. Puis on enchaîne avec 16 matches sans défaite, dont 13 victoires. Et on gagne la première période. Personne ne l’attendait, celle-là…

Gagner les deux tranches et ne pas avoir besoin des matches contre l’Antwerp pour monter, tu y as pensé ?

MERCIER : On n’était pas prédestinés pour gagner les deux tranches. Même pas une seule ! On a eu un passage à vide pendant la deuxième moitié, je le redoutais. Tous mes joueurs n’ont pas compris qu’être pro, c’est être pro au quotidien et gagner des choses ! Gagner une tranche, ce n’est pas gagner un titre. On n’avait encore rien, si ce n’est la certitude de jouer, au pire, le barrage pour la montée. En janvier, j’ai compris que ça allait être difficile. Quelques gars s’étaient un peu relâchés au moment des fêtes. Tu vas chez mamy, elle t’offre un peu de foie gras, un peu de chocolat, elle te dit : -Bravo, c’est bien, t’es le meilleur… A la reprise, j’ai récupéré des joueurs en surpoids, certains ont commencé à se pointer en retard à l’entraînement. Début janvier, on va à l’Antwerp et on perd. On a en face de nous des gars beaucoup plus mordants. On n’a pratiquement jamais été battus par plus d’un but d’écart après la trêve mais nos adversaires mordaient plus. On n’avait plus la même intensité. Et là, on devient une équipe un peu plus moyenne. Il n’y a pas de star à Roulers. Par exemple, notre meilleur buteur a fini avec six goals, ça veut dire que tout le monde doit participer : aller marquer le but devant et défendre le but derrière. Si tout le monde ne le fait plus, on peut avoir directement des problèmes.

ET LES STARS DE SÉRIE B SONT… ARNAULD MERCIER ET GILBERT BODART

Tu as une carrière atypique, tu as effleuré la Série A mais tu ne l’as pas vraiment touchée…

MERCIER : L’Italie, c’était un rêve de gosse ! Déjà parce que mon grand-père a des origines méditerranéennes. Mais dans la famille, on n’a jamais su d’où il venait. Il a été adopté, on se demande toujours s’il est originaire d’Italie ou du nord de l’Afrique… L’Italie m’intéressait aussi parce qu’au moment où j’y vais, on est en 1998. La France est championne du monde, je ne suis pas en équipe de France mais j’ai quand même une étiquette de Français champion du monde ! Et puis, je suis de l’année 72, comme Zinédine Zidane et Lilian Thuram, qui enflamment le Calcio. Bref, je suis chaud… Et mon histoire italienne débute grâce à Roger Henrotay !

Explique…

MERCIER : Un club de Serie B, Fidelis Andria, lui a demandé de trouver un bon attaquant. Il en a repéré un à Marseille. Il va voir un Marseille – Boulogne-sur-Mer, et cet attaquant se fait bouffer par un défenseur de Boulogne. Il va revoir le défenseur en question, qui joue contre mon équipe, Valenciennes. Et je lui tape dans l’oeil. C’est ainsi que j’atterris à Fidelis Andria. Je termine ma première saison avec le titre de meilleur joueur de champ étranger de la Serie B. Le meilleur étranger tout court, c’est Gilbert Bodart… La Reggina me transfère et m’offre trois ans de contrat. Je suis en Serie A. Mon rêve absolu ! Je me retrouve dans un noyau avec Andrea Pirlo, il n’a que 20 ans mais on se doute déjà qu’il va aller très haut. Dans mon équipe, il y a aussi Massimo Taibi, qui rentre de Manchester United. Je joue les matches de Coupe, avant le début du championnat. La première journée de Serie A nous envoie à la Juve ! Je suis bien, installé, en pleine ascension. La veille du match, on apprend que je suis suspendu pour deux rencontres, les suites d’une exclusion à la fin de la saison précédente. La carte rouge était destinée à un autre joueur, l’arbitre s’était trompé mais le club n’avait pas jugé utile de déposer réclamation.

Ça va me coûter très cher. Bruno Cirillo est sur le point de partir en D3, le contrat est signé. Vu ma suspension, au tout dernier moment, la Reggina décide de le conserver. On déchire son contrat avec la D3. Cirillo est revalorisé, il joue contre la Juve puis il fait un match de fou la semaine suivante contre la Fiorentina de Gabriel Batistuta. Pour moi, c’est mauvais. Pour Cirillo, c’est tout bon. Quelques mois plus tard, la Reggina le vendra à l’Inter pour 15 milliards de lires et il deviendra le binôme de Laurent Blanc en défense centrale là-bas. En janvier, je suis prêté à Savoia, le deuxième club de Naples. Une expérience un peu dingue, je vis le derby napolitain avec 50.000 furieux dans le stade. Puis c’est un prêt à Cosenza, encore une équipe de Serie B. Là, je suis coéquipier de Gianluigi Lentini. Il a été le plus gros transfert de l’histoire du foot italien, c’est lui que Silvio Berlusconi était allé chercher en hélicoptère sur la pelouse de Torino pour l’amener à l’AC Milan. Mais Cosenza, c’est le début de la fin. Je prends un sale tacle à l’entraînement, au niveau du nerf sciatique. Dans la seconde qui suit, je ne sais plus marcher. Je ne m’en remettrai jamais complètement.

UNE RELATION DIFFICILE MAIS ENRICHISSANTE AVEC LECLERCQ

Tu rejoues quand même à Valenciennes.

MERCIER : Oui mais cette blessure a coupé mon élan. Quand je rentre en France, je reprends des études universitaires, je passe une licence en management du sport. Sur le terrain, c’est compliqué. Je ne suis plus jamais à cent pour cent, j’ai un genou qui devient difficile à gérer. Pour résumer, je m’entraîne deux jours puis je me repose trois… A la même période, je commence ma formation d’entraîneur. Et j’ai la chance d’avoir un coach qui peut m’en apprendre ! Daniel Leclercq. On le connaît ! Il est assez spécial ! On avait des rapports à la fois passionnels et conflictuels. Une relation difficile mais enrichissante. J’étais son capitaine. Je devais aller au rapport avant l’entraînement, jouer à l’entraîneur pendant, et parfois, j’étais à nouveau appelé au rapport après la séance si ça ne s’était pas bien passé. Il était en permanence dans une relation de conflit, c’était sa façon à lui de manager les hommes. Il lui arrivait de quitter le terrain en plein entraînement pour rentrer chez lui, ça doit être arrivé une quinzaine de fois. Mais à côté de ça, qu’est-ce qu’il a pu m’être utile dans mon apprentissage de futur entraîneur !

Tu étais tout à fait inconnu en Flandre en début de saison, maintenant tu es tout à fait reconnu. Ça fait du bien ?

MERCIER : Je me fais parfois la réflexion qu’au moment où on prend une claque à Tubize, et c’était en tout début de saison, il y avait déjà eu du mouvement chez les coaches de D1B. Parce que ça va très vite. Cette saison, il y a eu plus d’entraîneurs virés que de clubs dans cette série ! Par exemple, ça a défilé à l’Antwerp, à Tubize, au Cercle, à Lommel. Il y a des moments où je me dis que j’ai eu de la chance. La chance que ma direction continue à croire en moi. Aujourd’hui, je crois pouvoir dire que je ne me suis pas trompé en signant à Roulers. Et je dis que ce club ne s’est pas trompé en m’engageant.

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » Quand je pars jouer en Italie, j’ai une étiquette de Français champion du monde. Et je suis de la génération 72, comme Thuram et Zidane !  » ARNAULD MERCIER

 » Si certains ne prennent pas la bonne route, c’est mon devoir de les reprendre. Par les cheveux, par l’oreille ou par la peau du cul, mais il faut qu’ils aillent droit.  » ARNAULD MERCIER

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